Septembre 2020 • Note d’actualité 69 •
Le projet de loi permettant la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal va être discuté à l’Assemblée nationale. Ce projet mérite d’être repoussé pour diverses raisons. Juridiques tout d’abord, en ce qu’il s’attaque au caractère inaliénable des collections nationales françaises. Historique ensuite, car il repose sur des présupposés souvent faux. Politiques enfin, c’est le plus important, car si ces restitutions se réalisaient, elles constitueraient une victoire idéologique de groupes ouvertement communautaristes et racialistes. Cette voie dangereuse est d’autant plus à proscrire que des initiatives simples pourraient être envisagées permettant une coopération culturelle apaisée avec les pays concernés.
Le 16 juillet dernier, était enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale un projet de loi (n°3221) relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Ledit projet, qui fait l’objet d’une procédure accélérée, sera d’abord discuté en commission des Affaires culturelles de l’Assemblée le 30 septembre, puis en séance le 6 octobre.
Ce projet de loi est l’aboutissement de la volonté du président de la République Emmanuel Macron, exprimée dans son discours de Ouagadougou du 28 novembre 2017, de mettre en œuvre des restitutions d’œuvres relevant des collections nationales françaises à des musées africains. Cette idée, qui trouve son aboutissement dans le projet de loi soumis à l’approbation du Parlement, soulève pourtant de graves problèmes historiques et juridiques ainsi que des dangers idéologiques que nous allons présenter.
Nous proposerons également des pistes permettant à la France d’engager une coopération réellement utile mais sans risques pour son patrimoine en ne rompant pas, comme souhaite le faire Emmanuel Macron, le caractère inaliénable des collections nationale françaises (qui trouve son origine légale dans l’édit de Moulins de 1566). Il est en effet possible de concevoir une coopération culturelle apaisée avec les pays concernés.
L’alibi commode des « prises de guerre »
S’il est un lien qui unit les vingt-sept pièces promises par le Président Macron et qui font l’objet du projet de loi n°3221 (1), c’est qu’il s’agit de « prises de guerre « ; c’est-à-dire d’artefacts récupérés par des officiers français ayant effectué des campagnes militaires en Afrique à la fin du dix-neuvième siècle. Ainsi, le sabre dit « d’El Hadj Omar », promis au Sénégal et relevant actuellement des collections du Musée de l’Armée, fut acquis par le général Louis Archinard lors de la campagne menée contre l’Empire Toucouleur entre 1890 et 1893 ayant à l’époque comme dirigeant le fils dudit El Hadj Omar : Ahmadou Tall. Quant aux vingt-six objets promis au Bénin, relevant actuellement des collections du Musée du Quai Branly, ils furent acquis par le général d’ascendance africaine Alfred-Amédée Dodds lors de la campagne menée contre le royaume du Dahomey entre 1892 et 1894 ayant à l’époque Béhanzin comme souverain .
Le fait qu’il s’agisse d’objets récupérés dans un contexte de violence (un conflit armé), facilite, dans l’esprit des rédacteurs du projet de loi, l’idée d’une juste réparation passant par la restitution d’objets volés.
Le premier problème que pose ce raisonnement moralisant est qu’il ne prend pas en compte le fait que, à l’époque où ces prises de guerre furent effectuées, elles étaient tout à fait légales d’un point de vue des lois européennes. De fait, il faut attendre la Convention de La Haye de 1899 pour que la pratique des butins de guerre commence à entrer dans l’illégalité. De telles pratiques n’étaient pas plus illégales du point de vue des lois et coutumes de l’Empire Toucouleur et du Royaume du Dahomey dont les armées pratiquaient elles-mêmes le pillage et la mise en esclavage des prisonniers. Que l’on se place donc d’un point de vue africain ou européen, la prise de quelques objets par les officiers Dodds et Archinard en cette fin du dix-neuvième siècle n’a rien de condamnable.
On peut également ajouter que diverses recherches, comme celles de Francis Simonis (2) ou de l’historien de l’art Bertrand Goy, visent à démontrer que le sabre dit d’Hel Hadj Omar n’aurait même jamais appartenu à ce dernier. C’est Archinard lui-même qui aurait façonné la légende de cet objet pour mieux auréoler sa propre gloire. Dans ce cas précis, on justifierait donc le retour d’un objet en se basant sur une « fake news »…
L’inventaire des vingt-six pièces de la collection Dodds est également révélateur du fait que ces prises s’apparentent plus à des « souvenirs de bataille » qu’à un précieux butin. En effet, il est difficile d’imaginer l’officier Dodds saisir un pantalon en tissu, un sac en cuir, un métier à tisser et un fuseau dans un esprit de lucre (ces quatre objets figurent dans la liste des vingt-six à restituer). Par ailleurs, même en ce qui concerne les pièces les plus importantes d’un point de vue artistique, comme les trois grandes statues dites boccio, il serait tout à fait anachronique de leur supposer une valeur monétaire réelle dans les années 1890.
En ce sens, les « prises de guerre » de Dodds et d’Archinard relèvent moins d’un pillage à des fins mercantiles et ou patrimoniales que celles effectuées par les troupes françaises révolutionnaires et napoléoniennes dans différents pays européens, qui ciblaient des peintures et des sculptures bien spécifiques dont la valeur artistique et financière était déjà bien établie.
Partant de ce principe, on peut se demander pourquoi le président de la République ne répond pas favorablement aux demandes faites à la France par le Royaume de Belgique de restituer de nombreuses peintures (dont plusieurs Rubens) prises par les armées françaises à la fin du dix-huitième siècle et qui se trouvent actuellement dans les collections nationales (3). On remarquera d’ailleurs que le texte adopté à ce sujet en mars 2019 par la Chambre des Représentants de Belgique soulève le paradoxe des restitutions voulues par le Président Macron qui ne prétendent pas résoudre la question des butins de guerre mais s’attèlent seulement à en « réparer » certains (4). En ce sens, on peut ajouter que le nombre d’objets africains acquis par le biais de conquêtes militaires représente un pourcentage moins important que celui des œuvres européennes acquises dans un même contexte se trouvant dans les musées français.
Évoquons pour finir un dernier exemple qui touche à un objet bien particulier : le plus vieux drapeau français tricolore. Cet objet, important s’il en est du point de vue vexillologique et historique, ne se trouve pas en France mais en Angleterre à Norwich. Ce pavillon imposant était celui du navire Le Généreux et fut pris par la flotte anglaise de l’amiral Nelson lors de la bataille de Malte survenue le 18 février 1800. On pourrait soutenir que la place de ce drapeau est en France mais il serait malhonnête de nier qu’il est également le témoignage d’une partie de l’histoire anglaise qui prit la forme, en l’espèce, d’une défaite française.
Si cette note s’oppose à l’idée même des restitutions des œuvres d’art, disons à tout le moins que, plutôt que de vouloir restituer l’ensemble de la collection Dodds et, par la même occasion, faire disparaître la mémoire d’un donateur et réduire quasiment à néant les collections dahoméennes du Quai Branly, le président de la République aurait pu décider de n’en restituer qu’une moitié. Cela aurait permis de signifier que, si la collection Dodds relève assurément de l’histoire du Bénin, il n’est pas question non plus de nier le fait qu’elle s’inscrit pleinement dans l’histoire de France.
Une justification erronée : l’« exception africaine »
Dans le cadre de sa nouvelle politique culturelle, il apparaît que l’exécutif, avec une grande naïveté, espère limiter les restitutions aux demandes africaines. En fait, aucun critère ne le justifie. Le fait qu’il s’agisse de « butins de guerre » ? Nous venons de voir que les pays africains n’étaient pas les seuls concernés et qu’ils l’ont été de manière bien moindre que de nombreux pays européens. Le fait qu’il s’agisse de pays qui furent colonisés ? Si la colonisation, qu’Emmanuel Macron n’avait pas hésité à désigner comme un « crime contre l’Humanité » en février 2017, était le critère, pourquoi alors exclure les actuels pays issus de l’Indochine française, par exemple ?
En fait, pour circonscrire les demandes de restitutions, l’exécutif part du postulat qu’il existe une « exception africaine » se caractérisant par une disparition quasi-totale du patrimoine matériel du continent, lequel aurait été massivement capté par l’Europe. Cette pratique de « siphonage » artistique constituerait un « crime contre les peuples par voie de captation patrimoniale » : cette accusation est en tout cas soutenue par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, les deux universitaires nommés par Emmanuel Macron pour rédiger un rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Le duo de rapporteurs n’hésite d’ailleurs pas à soutenir que 90 ou 95% des objets relevant du patrimoine africain se trouveraient hors du continent (5). La réalité est que cette « exception africaine », que défendent les deux rapporteurs (qui ne sont ni des africanistes, ni des conservateurs), n’existe pas (6). Le rappel d’un certain nombre de faits indiscutables permet de la balayer.
Rappelons pour commencer que, durant la période coloniale, des pays tels que la France, la Belgique ou le Royaume-Uni créèrent des musées dans leurs différentes colonies. Pour la France, c’est par exemple le cas du Musée de l’IFAN à Dakar (Sénégal) et du Musée Historique d’Abomey (Bénin). Ces institutions possédaient leurs propres collections restées sur place après les indépendances. Cette création de musées, symbole de protection patrimoniale, s’accommode mal d’une politique de spoliation culturelle que l’on prête aux puissances coloniales.
Deuxièmement, la définition d’une captation patrimoniale comme « crime contre les peuples » impliquerait un accaparement systématique, organisé et à grande échelle des œuvres d’art se trouvant dans les pays colonisés. Or, si l’on étudie la nature des collections des musées ethnographiques européens, on ne peut définitivement être d’accord avec cette assertion. De fait, l’immense majorité des pièces qui sont dans les collections desdits musées relève des objets du quotidien ou de l’artisanat. La part de ce que l’on considère de nos jours comme « œuvre d’art » est très faible. Ainsi, au Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) à Tervuren (Belgique), les masques et les statues congolais comptent pour moins de 8% des collections. Il y a au MRAC plus de paniers à denrées et de nasses de pêche qu’il n’y a de masques. Le constat est identique au Musée du Quai Branly à Paris.
Il faut ensuite garder à l’esprit qu’en Afrique, beaucoup d’objets (masques, statues) n’avaient une importance que dans le cadre du culte pour lequel ils avaient été créés. Lorsque le culte disparaissait ou que la cérémonie à laquelle l’objet était rattaché prenait fin, la pièce pouvait être détruite. Il n’était pas rare non plus de remplacer un vieil objet abîmé par un neuf et de détruire l’ancien modèle. Le fait de garder ce qui n’a plus usage et de lui conférer une « sacralité mémorielle », pouvant aboutir au placement dans un endroit réservé tel un musée, n’était pas envisagé. Raison pour laquelle les pièces en bois se trouvant dans des musées européens, et qui furent collectées dans un contexte ethnographique et non archéologique, sont estimées dater, pour la grande majorité, du dix-neuvième et du vingtième siècles (7) et, dans une mesure moindre, du dix-huitième siècle. Les pièces sculptées datables du dixième au dix-septième siècles ayant connu à travers les âges un usage rituel, subsistant jusqu’au moment de leurs collectes par les Européens, sont rarissimes.
En rapport avec le point précédent, il faut enfin pointer le fait que beaucoup de pays africains, après les années 1960, n’ont pas vraiment pris l’initiative de mettre en place des politiques culturelles muséales d’importance telles que le financement de campagnes de fouilles archéologiques, le lancement de collectes d’objets ethnographiques sur le terrain ou bien encore l’achat d’objet présents sur le marché (8). Bien plus, nous ne pouvons que souligner le très faible nombre de demandes d’emprunts d’objets pour des expositions de la part de musées africains depuis soixante ans. Selon notre propre expérience, en douze ans d’activité au MRAC, nous n’avons eu connaissance que d’une seule demande de prêt pour des objets ethnographiques venue d’un musée africain : elle concernait le nouveau Musée des Civilisations Noires de Dakar en 2018. Par ailleurs, de nombreux pays ont vu leur musées pillés ou leurs collections vendues par des responsables publics peu scrupuleux agissant à leur guise avec les collections nationales (9).
En définitive, ces aspects ne sont certainement pas à mésestimer si l’on veut tenter de comprendre l’apparente surabondance de pièces africaines en Europe. Celles-ci y essuyèrent simplement moins de pertes, car elles furent mieux protégées par le « culte des musées » et aussi par une stabilité politique indéniable.
Le vain « soft power » de la repentance
Un autre aspect important qui cherche à légitimer les restitutions des vingt-sept objets au Bénin et au Sénégal au point de créer une loi d’exception serait celui de servir une forme nouvelle de « soft power ». À une époque où de nouveaux pays comme la Chine s’implantent irrésistiblement dans le paysage économique et diplomatique africain, l’exécutif semble tenté de miser sur une politique de restitutions visant à « réparer le passé » et à se départir de l’image d’ancien colonisateur qui nuirait aux relations avec ces pays.
On est en droit de douter de l’effet positif, voire miraculeux, qu’apporterait le retour de vingt-sept objets à deux pays africains sur fond de ressentiment mémoriel. Lorsqu’on aborde honnêtement cette question, force est de constater qu’il ne s’agit que d’une goutte d’eau dans ce que la France développe déjà en matière de « soft power » sur le continent, sans empêcher une perte flagrante d’influence et un repli économique. À titre d’exemple, rappelons qu’en 2018 l’Agence française de Développement n’engageait « que » 46% de ses fonds (5,3 milliards d’euros) en Afrique – concernant les aides spécifiques apportées par la France au Bénin et au Sénégal, nous renvoyons au site du ministère des Affaires étrangères (10).
Ce qui est également certain, c’est que la France, malgré son passé colonial, reste un pays attractif pour les ressortissants béninois (environ 30 000 présents sur le territoire) comme pour les ressortissants sénégalais (entre 200 000 et 300 000).
Pour terminer sur cette courte réflexion autour du « soft power », on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’image véhiculée par la restitution de vingt-six objets au Bénin qui représente une victoire culturelle offerte par la France au président Patrice Talon en vue des prochaines présidentielles de 2021 (11), alors même qu’il donne un tour de vis autoritaire dans son pays via notamment la censure de la presse et de l’opposition (12).
La politique de restitution au service du communautarisme
Pour bien comprendre enfin ce qui se joue avec ce projet de loi discuté au Parlement, il est indispensable de faire la genèse des revendications qui y ont conduit. Le cas du Bénin est particulièrement éclairant dans la mesure où ce n’est pas lui qui est à l’origine de la démarche, mais bien la France… ou plutôt des associations françaises.
En 2013, ce fut le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France) et son président de l’époque, Louis-George Tin (13), qui s’emparent du sujet des restitutions – dont ils devinent le potentiel médiatique (14). L’association lance alors une pétition sur Change.org intitulée « Restitution des trésors d’Abomey à la famille royale et au peuple béninois ». Toujours en ligne, elle recueille 3 162 signatures à ce jour… sept ans après son lancement (15). En 2015, le CRAN passe par sa branche béninoise, nouvellement créée, pour mettre la pression sur l’État béninois et interpeller l’État français sur ces questions (16). En août 2016, on retrouve toujours le CRAN au Bénin pour soutenir la demande officielle de restitution, formulée par le gouvernement de Patrice Talon (17).
Lorsqu’en 2018, le président Macron nomme Felwine Sarr et Bénédicte Savoy pour conduire une mission de réflexion sur « la restitution du patrimoine culturel africain » (18), ces derniers vont consulter de manière privilégiée deux personnes. La première est Marie-Cécile Zinsou, fille de l’homme d’affaire franco-béninois Lionel Zinsou, proche d’Emmanuel Macron et la seconde n’est autre que Louis-Georges Tin. Ajoutons qu’il a été établi par La Tribune de l’Art que l’une des personnalités chargées de cette mission, Felwine Sarr, entretient des relations de proximité avec le groupe communautariste des « Indigènes de la République » (19).
Doit-on rappeler ici que le CRAN s’est illustré dans des affaires peu glorieuses comme celle survenue en 2016 touchant au recrutement de Virginie Chaillou comme maître de conférences à l’Université de la Réunion (20) ? Plus récemment, en 2019, le CRAN fait partie des associations qui s’opposent à la représentation de la pièce d’Eschyle Les Suppliantes à la Sorbonne. Dans une interview au Point, Jean-Michel Blanquer avait condamné ces actes exprimant une pensée racialisée. Le ministre avait même ajouté : « La société française n’est pas assez consciente du danger que représentent ces façons de penser qui véhiculent en vérité un nouveau racisme » (21). Dans cette affaire des Suppliantes, on peut également relever qu’aux côtés du CRAN se trouvait d’autres associations, dont la Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA), tristement connue pour sa radicalité et ses opérations d’intimidations (22). Très récemment, le 1er août dernier, la LDNA a tenté une action coup de poing au Musée du Quai Branly dans le but de récupérer les « objets d’arts royaux d’Abomey ».
Alors qu’Emmanuel Macron annonce un plan de lutte contre le « séparatisme », que le gouvernement est sensé présenter dans les prochaines semaines, il est consternant de le voir soumettre au Parlement un projet de loi clairement inspiré de revendications communautaristes et racialistes. Il offre ainsi une victoire idéologique aux groupes porteurs de ces revendications.
Quatre propositions pour une coopération culturelle apaisée
En considération de tous ces aspects, le projet de loi discuté ces prochains jours à l’Assemblée nationale doit être repoussé. Il doit l’être tout d’abord dans la mesure où il est un moyen détourné de s’attaquer au caractère inaliénable des collections françaises – c’est volontairement que nous n’avons développé cet aspect, déjà abordé ailleurs (23). Pourtant, cette inaliénabilité est la meilleure garantie de leur protection contre des volontés politiques versatiles qui suivent les modes, les pressions et les intérêts du moment ainsi que de petits arrangements s’approchant au plus près de conflits d’intérêts (24).
Comme nous l’avons montré, l’inexistence d’une « exception africaine » fait de cette loi un dangereux précédent permettant à d’autres pays – d’Europe, d’Asie, des Amériques et du Moyen-Orient – de venir réclamer ce qu’ils peuvent considérer leur revenir de droit et qu’ils pourront d’ailleurs obtenir suivant les intérêts et les affinités de l’exécutif au pouvoir au moment de la demande.
Toutefois, il n’est pas question de nier pour autant l’importance d’une politique culturelle passant par une circulation accrue des objets et des œuvres venues d’ailleurs. Nous formulons donc ici quatre propositions opérationnelles permettant une coopération culturelle renouvelée avec les pays qui le souhaiteraient :
1. Faciliter les prêts d’objets et réduire les coûts pour les pays désirant exposer des objets relevant de leur culture et de leur histoire qui appartiennent aux collections nationales françaises.
2. Fixer à trois ans non-renouvelables la durée de tout prêt d’objet appartenant aux collections nationales françaises, afin d’éviter un contournement de la loi touchant au caractère inaliénable des collections nationales françaises qui s’exprime, comme on l’a vu par le passé, sous la forme de prêts à durée indéterminée tenant lieu de restitutions qui ne disent pas leur nom (25).
3. Au sein de l’Agence Française de Développement, mettre en place une cellule en charge d’achat d’objets sur le marché de l’art (qui est très important en France) afin d’aider à compléter les collections muséales de différents pays. Ce point est primordial car il permet d’effectuer des dons pouvant avoir une réelle valeur symbolique et historique comme en témoigne le cas du sceau du Dey d’Alger acheté lors d’une vente aux enchères et offert par la France sous la présidence de Jacques Chirac en 2003 (26). Le président Macron aurait pu lui-même expérimenter cette manière de faire lorsqu’en mars 2019 fut mise en vente à Nantes une vingtaine de pièces historiquement liées à la campagne d’Abomey pour un coût de 24 000 euros seulement (27).
4. Organiser en Afrique des expositions touchant à l’art et aux cultures européennes de différentes époques, dans des lieux aux normes muséales requises. Le vrai échange ne serait-il pas de donner à découvrir une part de l’Europe en Afrique de la même manière qu’une part de l’Afrique est donnée à voir en Europe ?
Dans cette optique de partage réfléchi, les musées français auraient un rôle de premier plan à jouer qui serait bien plus en rapport avec leur fonction, héritée des Lumières, que celui de garde-meuble diplomatique ou de bouc-émissaires de revanches et de frustrations recuites que l’on veut actuellement leur faire jouer…
Notes •
(1) Projet de loi n° 3221 relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, 16 juillet 2020, disponible ici.
(2) Francis Simonis, « La première œuvre qui est « restituée » à l’Afrique est un objet européen », Le Monde, 24 novembre 2019, disponible ici et « Au Sénégal, Édouard Philippe se prend les pieds dans son sabre », Charlie Hebdo, 25 novembre 2019, disponible ici.
(3) « Résolution votée pour le retour des oeuvres d’art pillées par la France », RTBF, 19 février 2019, disponible ici.
(4) Résolution relative aux œuvres d’art « translocalisées » et à l’entame d’un dialogue avec l’État français, Chambre des Représentants de Belgique, 14 mars 2019, disponible ici.
(5) Felwine Sarr, Bénédicte Savoy, Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, novembre 2018, disponible ici.
(6) Voir Julien Volper, intervention lors du colloque pluridisciplinaire « Restitution des biens culturels » organisé par l’Institut français de conservation préventive, MuséoParc Alésia, 14-15 novembre 2019, disponible ici et « Patrimoine africain : le mythe des 90 % », La Tribune de l’Art, 20 janvier 2020, disponible ici. D’autres spécialistes ont également traité de cette question, comme Manuel Valentin, maître de conférences et chargé des collections anthropologiques au Musée de l’Homme, « Restituer le patrimoine « africain » », Les Nouvelles de l’Archéologie, 155, 2019, pp. 47-51, disponible ici.
(7) Ainsi, les trois grandes statues boccio prises par le général Dodds en 1892 et se trouvant actuellement au Musée du Quai Branly sont datées pour la première d’entre-elle de la seconde moitié du XIXème siècle et pour la deuxième du début des années 1890. Quant à la troisième elle fut sculptée vers 1890.
(8) « Romuald Hazoumé : « Cela fait cinquante ans que la culture béninoise est à l’abandon » », Télérama, 17 septembre 2016, disponible ici.
(9) Voir, par exemple, « Côte d’Ivoire : 4,2 millions d’euros d’oeuvres d’art dérobés à Abidjan », Jeune Afrique, 14 juillet 2011, disponible ici et « Un site du Patrimoine mondial attaqué au Cameroun », HRW, 11 octobre 2019, disponible ici.
(10) Ministère des Affaires étrangères, « Dossier Pays, Bénin », disponible ici et « Dossier Pays, Sénégal », disponible ici.
(11) Ce qui n’empêche pas le Président Talon d’en vouloir plus…preuve s’il en est que ce projet de loi n’apaise rien mais aiguise plutôt les appétits. Voir « Restitution de biens culturels : Patrice Talon insatisfait du projet de loi en débat à Paris », Bénin Web TV, 28 septembre 2020, disponible ici.
(12) Voir par exemple « Bénin : la tentation autoritaire », Jeune Afrique, 10 mars 2019, disponible ici et « Au Bénin, les médias en ligne sommés de cesser leur activité », Le Monde, 15 juillet 2020, disponible ici.
(13) Louis-George Tin n’est plus président du CRAN mais se présente toujours régulièrement comme le « Premier ministre de l’État de la diaspora africaine ». Cette imposture fut d’ailleurs dénoncée par l’Union Africaine.
(14) « Le CRAN manifeste au Quai Branly pour la restitution des « biens mal acquis » », Le Journal des Arts, 12 décembre 2013, disponible ici.
(15) « Restitution des trésors d’Abomey à la famille royale et au peuple béninois », Change.org, disponible ici.
(16) « Trésors volés : le CRAN-Bénin et le CRAN-France interpellent François Hollande », Bondamanjak, 1er juillet 2015, disponible ici.
(17) « Cran Benin et Cran International parlent des raisons de la visite de Louis Georges TIN au Bénin », A Cotonou, 24 août 2016, disponible ici.
(18) Voir note de bas de page 5.
(19) Didier Rykner, « Rapport sur les restitutions : rendons tout, Dieu reconnaîtra les siens », La Tribune de l’Art, 20 novembre 2018, disponible ici.
(20) « À La Réunion, une universitaire nantaise dénonce sa « stigmatisation » », Le Monde, 4 juillet 2020, disponible ici.
(21) « Blanquer : son programme pour relancer le quinquennat de Macron » », Le Point, 25 avril 2020, disponible ici.
(22) « Rassemblements contre le racisme : trois choses à savoir sur la Ligue de défense noire africaine », Le Parisien, 7 juin 2020, disponible ici.
(23) Sur cet aspect du problème, voir Yves-Bernard Debie, « « Restituer le patrimoine africain » : l’intenable promesse d’Emmanuel Macron », FigaroVox, 4 décembre 2017, disponible ici, et Julien Volper et Yves-Bernard Debie, « Restitutions d’art africain : « Au nom de la repentance coloniale, des musées pourraient se retrouver vidés » », Le Monde, 28 novembre 2018, disponible ici.
(24) Didier Rykner, « Emmanuel Macron met fin à l’inaliénabilité des collections publiques », La Tribune de l’Art, 23 novembre 2018, disponible ici.
(25) C’est de cette manière que le président Sarkozy a « restitué » officieusement un ensemble de manuscrits à la Corée du Sud en 2010. Voir « La France accepte de rendre à la Corée les 287 manuscrits de la discorde », Le Monde, 12 novembre 2010, disponible ici.
(26) « Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, à l’occasion de la remise du sceau du Dey d’Alger aux autorités algériennes », Alger, 2 mars 2003, disponible ici.
(27) « Polémique sur la restitution des objets d’art africains », Le Monde diplomatique, août 2020, disponible ici.
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L’auteur
De nationalité française, Julien Volper est titulaire d’un doctorat en histoire de l’art obtenu à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Il exerce la profession de conservateur en charge des collections ethnographiques au Musée Royal de l’Afrique Centrale (Tervuren/ Belgique). Il est également Maître de conférences en histoire des arts de l’Afrique à l’Université Libre de Bruxelles. Membre du comité de rédaction de la revue Afrique : Archéologie & Arts et expert CITES, il a également été le commissaire de plusieurs expositions. Il est l’auteur d’une soixantaine d’articles et d’ouvrages touchant notamment à l’Histoire à l’art et aux religions du Congo. Au sein de l’Institut Thomas More, qu’il a rejoint en septembre 2020, Julien Volper travaille sur les questions touchant aux politiques culturelles, aux politiques mémorielles et aux problèmes politiques, muséaux, culturels et moraux posés par les restitutions d’oeuvres et d’objets d’art • |