Pourquoi la France risque de sortir de la crise plus tard que les autres

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

8 janvier 2021 • Opinion •


Pour Sébastien Laye, le vrai effet de rattrapage de l’économie française ne peut intervenir qu’au dernier trimestre 2021 et surtout en 2022, c’est-à-dire plus lentement que certains de nos voisins européens.


Il est difficile en début d’année de s’extirper des traditionnels exercices de prévisions économiques et politiques, opérations confinant souvent à l’art divinatoire qui disent parfois plus sur le devin lui-même que sur la prédiction… Mais cette année, les polémiques sur la gestion sanitaire de la crise, l’incompétence réelle ou supposée de notre haute administration ou de la classe politique, ont éludé ce traditionnel exercice.

Et pourtant, il n’a jamais été aussi impérieux car l’année économique et sociale qui s’ouvre, année charnière dans certains pays, sera cruciale pour d’autres. En 2020, la pandémie a brisé net une phase d’expansion mondiale qui s’affadissait déjà depuis dix mois (rappel : la France au dernier trimestre 2019 enregistrait un recul de son PIB de 0,1%). Au lieu d’une récession classique qui nous était promise, le PIB mondial s’est effondré de 4%, avec des situations diverses, dépendant non pas tant de la gestion sanitaire de la crise, mais plutôt de la solidité des économies ex ante : ainsi, la Chine a finalement eu une croissance positive en 2020, les États-Unis auront reculé de 3,6%, l’Europe de 8%, la France de 10%.

On pourrait polémiquer ad nauseam sur les mauvaises décisions du gouvernement, le fait est que la même France dont le chômage, en janvier 2020, était encore supérieur d’un point à la moyenne de l’Union européenne, loin derrière l’Allemagne, avec une croissance fade durant toute la décennie, ne pouvait que faire moins bien que la moyenne européenne : l’échec à reformer la France depuis trois ans a au moins autant joué que le vaudeville sur les masques, les tests et les vaccins.

Les économistes sont de curieux animaux qui prévoient toujours un retour à l’équilibre naturel et des mouvements de balancier. Ainsi, pour notre INSEE, en France, au violent choc (mais choc externe, dit exogène) de 2020 doit succéder un fort rebond de 6-7% en 2021. Disons-le avec clarté, il s’agit d’une vue de l’esprit. Non seulement la poursuite de la pandémie au moins au premier trimestre et la lente vaccination obèreront une partie de l’année, mais le tissu productif, qui va enregistrer ses premières vraies faillites avec le déphasage des mesures gouvernementales, n’est pas en mesure de répondre à une telle demande, si vraiment cette demande devait exposer après la pandémie.

La théorie économique aussi considère que contraint par les confinements, le consommateur va finir avec la fin de la pandémie par puiser dans son épargne accumulée et créer un effet de rattrapage. Cet argument serait pertinent en sortie totale de crise, mais de longs mois après le choc sanitaire, les faillites continueront à se multiplier et le chômage à s’envoler.

Le vrai effet de rattrapage ne peut intervenir qu’au dernier trimestre 2021 et surtout en 2022 pour la France. D’autres pays à l’économie plus résiliente s’en sortent déjà mieux : la Chine et l’Inde ont déjà retrouvé un sentier normal de croissance. Si les États-Unis se débattent toujours avec la pandémie, leur économie a été moins affectée que celle de l’Europe (recul du PIB de 3,6% seulement), et le chômage, après une envolée au printemps dernier, a régressé vers 6,5% ; c’est certes trop pour les États-Unis mais avec à l’heure actuelle un sentier de croissance tendancielle annuelle déjà à 2%, et une campagne rapide de vaccination, le redressement devrait être réel d’ici le second trimestre.

Ainsi, les économistes, jamais à court d’acronymes ou de sigles pour décrire le réel, parlent pour le redressement mondial de scénario en K : pour faire simple, la grande bifurcation avec des gagnants et des perdants, et le camp français, au moins pour 2021 paraît clair. Chaque mois d’écart avec l’Allemagne en termes de nombres de vaccination va se traduire en perte de PIB et de pauvreté accrue, car pour l’instant seule l’immunité collective via la vaccination ou la circulation du virus permet aux gouvernements de lever les mesures de confinement.

À l’heure actuelle, le gouvernement français ne peut toujours pas annoncer de dates de réouverture des restaurants ou des lieux festifs : notre crainte est que seule la saisonnalité du virus (qui disparaît quand les températures augmentent et revient avec leur baisse) définisse sa décision, la renvoyant au printemps. Les comparaisons internationales, déjà biaisées par les différences de trajectoire ex ante des différents pays, pourraient à nouveau être impactées par ce premier trimestre. Pour faire simple, le premier confinement a touché tout le monde, le second presque tout le monde mais à des degrés de magnitude divers, et le troisième risque de ne concerner que quelques pays qui de facto seront en décrochage.

La France n’est sauvée de sa propre impéritie que par la grande inondation monétaire au niveau européen, mais celle-ci, si elle devait être mal gérée, continuerait à avoir des effets délétères à corriger : euthanasie des épargnants, bulles spéculatives notamment immobilières (le logement pose toujours problème aux ménages français), accroissement des inégalités, etc.

Le scénario en K pour 2021 est celui de la grande divergence : une fois l’acmé du risque sanitaire passé avec la fin de l’hiver, et une vaccination rapide, le redressement pourrait être très fort dans certains pays. Il y a d’ailleurs des raisons d’être optimistes sur le long terme pour ces pays qui auront effacé les scories de la crise dès mi-2021. Les conditions (nouvelles technologies, adaptation rapide des économies, nouvelles politiques monétaires et budgétaires) d’une belle décennie (parlerons nous des « années 20 rugissantes » ou Roaring Twenties comme au siècle dernier ?) économique et politique (avec la résolution des revendications des classes populaires grâce à une meilleure redistribution des fruits de la croissance) leur seront à portée de main.

La France, elle, a probablement dix-huit mois difficiles devant elle. Le rattrapage post-crise sera lissé sur cette période, avec des incertitudes politiques (la prochaine campagne présidentielle va bloquer toute réforme pendant six mois) et sociales (on ne peut exclure une explosion de mouvements sociaux et populaires en sortie de crise sanitaire) menaçant en permanence un potentiel chemin de croissance enfin retrouvé.

Il faut s’interroger, à travers les différentes phases du cycle économique, sur nos successifs échecs et notre retard constant sur les autres pays : négation des questions économiques ? Désintérêt de la part des politiques et des citoyens ? Défaillances de la gouvernance publique ? Notre État hyper-centralisé et super-administré, qui faisait notre fierté, aurait dû être notre soupape de sécurité face à une telle crise sanitaire. Il n’en a rien été, nous n’avons pas mieux fait que les États anglo-saxons qui eux ne se targuent pas d’avoir le meilleur système de santé au monde. Sauf que ce supposé système a un prix, qui se solde aussi en millions de chômeurs et de pauvres.

Alors que faire durant cette période ? Comment enrayer cette spirale du déclin rapide ? En premier lieu, l’heure n’est pas à l’austérité. Il ne faut pas hésiter à investir de manière contracyclique pour soutenir notre économie. À cet égard, un vrai plan d’investissement public-privé est plus que jamais nécessaire. Le plan de relance de Castex n’est guère plus qu’un plan de soutien durant les confinements. Il faut aller au-delà et investir dans nos infrastructures : les infrastructures physiques vieillissantes, mais aussi les infrastructures de l’immatériel (fibre, data centers, clouds), ainsi que le logement.

Le secteur privé a besoin ici d’une impulsion de l’État en matière de commande publique. Plutôt que d’alimenter le tonneau des Danaïdes de l’État social, l’État doit cibler ses interventions sur celles qui peuvent rapidement élever le PIB et créer des emplois. Il peut le faire en accord avec la Banque Centrale Européenne. La seconde priorité devait être de restructurer les bilans des sociétés affaiblies par le Covid.

On sait que toutes les entreprises ne pourront rembourser les PGE ; l’État doit vite s’atteler à établir une typologie des situations. Pour les entreprises viables et en forme, ces prêts doivent rester des prêts à rembourser sur les cinq ans à venir. Pour les entreprises déjà fragilisées avant le Covid, il faudra accompagner des dépôts de bilan en écrasant les créances. Et pour l’immense majorité des entreprises ayant reçu ces prêts d’État, viables mais affaiblies par le Covid, il faudra réduire leur dette en convertissant une partie de cette dette en fonds propres. Cette conversion exigera de peut-être transformer les anciens PGE en fonds d’investissements, gérés par la BPI et possiblement offerts comme produits d’épargne aux Français si l’État peut garantir un rendement d’au moins 4-5%.

Avec la crise du Covid, nous avons passé le seuil symbolique des 10 millions de pauvres au sens des principaux indicateurs internationaux. Il y a urgence à se mobiliser, pour aider les entrepreneurs et les indépendants à créer des emplois, pour retrouver un chemin macroéconomique de croissance vertueuse, afin d’éviter un appauvrissement généralisé qui nous menace en sortie de crise.