10 décembre 2005 • Analyse •
L’Afrique ne demande pas l’aumône. Voilà l’idée que les dirigeants français devraient se mettre en tête. L’Afrique veut pouvoir, comme cela se fait ailleurs, capitaliser les fruits de ses propres efforts. Elle n’en a pas la capacité parce que ses habitants sont totalement exposés à des risques divers qu’ils ne peuvent ni prévenir, ni transférer, ni réparer. L’Afrique a besoin d’assurance.
Il fut un temps où, à défaut d’avoir du pétrole, la France avait des idées. Mais quand la France n’a plus d’idées, elle invente un nouvel impôt ! Le projet de taxation sur les billets d’avion rapporterait, dit-on, 200 millions d’euros. C’est assez pour déstabiliser l’industrie déjà fragile du transport aérien. Mais, pour l’Afrique, c’est une aumône de 2 centimes par mois et par habitant et c’est 0,02% de la dépense publique française. Autant dire qu’il ne devrait pas être difficile de trouver une telle somme en puisant quelques idées au hasard parmi les milliers de pages que publie un auteur aussi peu facétieux que la Cour des Comptes !
Le temps est venu de rompre avec la logique de dépendance qui prévaut encore, logique descendante – trop souvent condescendante – qui va de l’impôt des riches vers le besoin des pauvres, en passant par une coûteuse redistribution. Oui, le temps est venu d’expérimenter la logique ascendante qui va de la vulnérabilité des personnes vers les ressources financières existantes, en passant par l’exécution d’une chaîne d’obligations légales ou contractuelles.
La pauvreté est un symptôme. Les pauvres sont et demeurent pauvres parce qu’ils sont vulnérables. L’Afrique a moins besoin de la distribution de subsides que d’une « capabilité » accrue pour ses acteurs et le tissu de leurs unités de production. Croit-on pouvoir atteindre les Objectifs du Millénaire sans renforcer d’abord la capacité des personnes face aux risques qui les menacent (maladie, destruction de l’outil de travail, perte de récoltes, aléas climatiques, catastrophes naturelles…) ?
Les risques… Le maître mot est lâché. Il est le grand absent des théories macro-économiques du développement, mais ce qu’il désigne est le lot quotidien des populations pauvres, entre deux catastrophes humanitaires capables d’ébranler périodiquement la bonne conscience internationale.
Lutter contre la pauvreté est d’abord affaire de sûreté. Regardons comment un alpiniste prend soin d’assurer chaque étape de sa progression avant d’engager la suivante. Sa sécurité en dépend, comme celle de ses compagnons. C’est aussi une façon d’économiser ses forces. De même, le choix d’un dispositif d’aide ou la création d’une nouvelle source de financement devrait toujours respecter deux conditions simples : renforcer la capacité des individus-acteurs, et consolider les résultats acquis grâce aux efforts antérieurs. Si ce n’est pas le cas, les résultats de l’aide seront aléatoires, et une nouvelle aide sera nécessaire demain. Apporter une aide monétaire et matérielle aux pauvres résout un problème ponctuel, et dans les situations d’urgence humanitaire, c’est souvent la seule manière de répondre aux besoins. Mais cela ne les renforce pas pour l’avenir, car ils demeurent exposés au risque de perdre cet apport et, pire, de perdre le produit qu’ils pourraient tirer de sa bonne utilisation.
Voilà pourquoi il est urgent de mettre en place un système permanent de gestion des risques : pour autant que ce système soit suffisamment intégré et connecté aux marchés financiers, il a naturellement vocation à prendre en charge la gestion des crises graves, aussi bien que la protection courante des acteurs du développement, réconciliant ainsi les exigences du très court terme avec celles du développement à moyen terme. Au regard des objectifs de lutte contre la pauvreté, les mécanismes d’assurance possèdent trois vertus qui sont cruciales pour le développement : désignation rapide et précise des bénéficiaires, restauration des capacités économiques, renforcement de la responsabilité. Faute d’assurance, les populations des pays pauvres n’ont pas d’autre alternative que : gâcher le produit de leur travail dans de stériles encaisses de précaution, ou s’en remettre à l’aide extérieure.
Depuis plus de dix ans, le couple risques/développement a donné lieu à des études nombreuses et remarquables au sein des organisations internationales. On dispose ainsi d’une base considérable de données issues du terrain et d’une « boîte à outils » richement remplie. A ceux qui disent « maintenant, il faut faire mieux », disons : chiche ! Cessez de bricoler à la marge les vieux schémas qui ont échoué, et ouvrez les tiroirs où de nouveaux schémas attendent d’être expérimentés. Pour commencer, on a l’embarras du choix : appui aux micro-assurances d’initiative locale, capacités régionales de réassurance, assurances climatiques, couverture des risques de marché, etc., sans oublier le niveau global où le fait de créer une capacité mondiale de réassurance (décrite dans ma Note de l’Institut Thomas More « Réassurer la planète » sous le nom de Planète Ré) mettrait la capacité financière mondiale au service des systèmes locaux de gestion des risques. Ainsi serait enfin ouverte aux pauvres la possibilité de recourir en dernier ressort aux marchés financiers comme le font les pays riches pour couvrir la charge des dommages extrêmes.
Voilà bien un terrain sur lequel la France pourrait jouer un rôle pionnier, en évitant les questions qui fâchent quand on les pose trop tôt (la querelle des sources de financement) et en apportant une idée neuve au projet plus urgent et plus consensuel de casser le cercle infernal pauvreté/vulnérabilité.