Union européenne-Afrique · Contrôle migratoire et partenariat, mission impossible ?

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

7 janvier 2009 • Opinion •


On a beau souvent répété que l’Afrique n’est pas, ou peu, touchée par les transformations induites par la mondialisation, elle en est quand même un acteur qui compte du fait, mais pas seulement, de l’importance du phénomène migratoire. L’émigration africaine est un phénomène de la compétition internationale, tant il est vrai que désormais tout ce qui bouge met en compétition tout ce qui est immobile : par définition, les flux financiers, technologiques ou humains mettent en compétition ce qui ne bouge pas, à commencer par les Etats. Il convient donc d’aborder la question migratoire africaine avec ces réalités nouvelles en tête. L’émigration peut dans ce contexte se révéler une chance, si elle est maîtrisée, si elle est contrôlée, si elle est fait l’objet de concertation entre pays de départ et pays d’arrivée.

Les pays de l’Union européenne sont en train, non sans tâtonnements, non sans maladresses parfois, de bâtir une stratégie commune à l’égard des pays de départ africains. La signature, le 15 octobre 2008 à Bruxelles, du Pacte européen sur l’immigration, si elle a parfois été mal ressentie par certains acteurs de la société civile tant en Europe qu’en Afrique, a le mérite de clarifier et d’offrir un cadre à une politique qui a autant besoin de raison que de concertation. De même peut-on saluer l’ouverture du CIGEM (Centre d’information et de gestion des migrations), projet piloté par la Commission européenne et le gouvernement malien, à Bamako au début de ce même mois d’octobre 2008.

Ce qu’il convient de promouvoir dans ces deux initiatives récentes, c’est la dynamique de partenariat, encore insuffisante. Il s’agit en somme de donner du contenu, et un contenu gagant-gagnant, au concept d’« immigration concertée » défini lors du sommet de Rabat de décembre 2006. On n’a pas assez avancé sur des pistes concrètes depuis lors. Or c’est possible : les pays européens, touchés par le vieillissement, ont besoin d’une immigration de travail et les pays africains, à condition que cela ne provoque pas de véritable fuite généralisée des cerveaux, ont besoin de formation. Les conditions de l’entente sont réunies (l’un possède ce que l’autre n’a pas et réciproquement), ce sont sur les modalités en termes de nombre, de conditions d’entrée, de séjour, de qualité de formation que doivent porter les négociations.

Partenariat aussi dans un codéveloppement renouvelé et ambitieux. Là aussi la « relation spéciale » que l’histoire et la géographie ont nouée entre pays européens et pays africains doit trouver à s’épanouir dans de nouvelles pratiques : la logique verticale de l’aide au développement doit faire place à des logiques horizontales et circulaires. Circulaires ? On appelle ainsi les nouveaux flux migratoires à double sens, avec un accroissement significatif du nombre de nationaux européens originaires d’un pays d’émigration qui y retournent pour des périodes plus ou moins longues (des simples vacances en famille aux séjours de plusieurs mois). Dans ces conditions, le migrant, avec son épargne, et plus largement la diaspora, avec sa solidarité et son dynamisme, deviennent des acteurs-clés des échanges entre pays d’accueil et pays de départ, et du développement de ces derniers. Ce sont ces nouveaux moyens, humains et financiers, qui peuvent être mobilisés dans des projets de développement au plus prêt des besoins et des opportunités.

Développer un codéveloppement axé sur le local et la société civile, c’est aussi limiter autant qu’il est possible les risques d’enlisement administratif, qui guette tout projet étatique, et de corruption, propre à de nombreux régimes africains. C’est donc apporter un élément de réponse – modeste mais concret – au désespoir qui pousse une part de la jeunesse africaine, qui n’a plus confiance dans ses élites, à l’émigration. Car il ne faut pas négliger le critère politique dans les motivations au départ : le désaveu des dirigeants par les populations et leur incapacité à offrir des perspectives d’avenir à leurs jeunesses n’y sont pas étrangers. C’est là sans conteste la question la plus délicate qu’aurait à affronter un renforcement d’un partenariat entre les membres de l’Union européenne et les pays africains. Mais la gestion apaisée et concertée des flux migratoires entre les deux continents est à ce prix. Le prix d’une gestion responsable.