Le problème de l’immigration clandestine en Europe : le cas chypriote

Magali Gruel-Dieudé, docteur en histoire contemporaine de l’Université Paris III Sorbonne Nouvelle

3 juin 2009 • Entretien •


Magali Gruel-Dieudé, docteur en histoire contemporaine de l’Université Paris III Sorbonne Nouvelle, est consultante auprès d’une Mission diplomatique auprès des Nations unies à Genève, spécialiste de l’espace méditerranéen, de la Turquie et de la question chypriote. Elle est l’auteur de deux ouvrages : Chypre et l’Union européenne : mutations diplomatiques et politiques (L’Harmattan, Paris, 2007) et Chypre : perspectives historiques, culturelles et internationales (L’Harmattan, Paris, à paraître).


Depuis le traité de Maastricht en 1992, la politique d’immigration représente une question d’intérêt commun pour les pays membres de l’Union européenne (UE), mais elle n’a relevé de la compétence communautaire qu’après le traité d’Amsterdam en 1999. Bien que des programmes nationaux de contrôle de l’immigration en direction des Etats membres de l’UE existent depuis des décennies, la politique européenne d’immigration a donc été mise en place tardivement. C’est le Conseil européen de Tampere (Finlande) qui a décidé en 1999 de s’attaquer à l’immigration clandestine et à la criminalité organisée et donc de ce fait, d’instaurer une politique d’immigration et d’asile commune à l’échelle européenne. En février 2002, unPlan d’action global en matière de lutte contre l’immigration clandestine a été adopté par le Conseil des ministres. Ce plan comprend des initiatives relatives à la politique des visas, la réadmission et le rapatriement, la gestion des frontières et le trafic d’êtres humains. En septembre 2005, la Commission a adopté de nouvelles mesures. Il est difficile de comptabiliser les entrées illégales sur le territoire européen. Toutefois, selon l’estimation de l’Office européen de police (Europol), l’immigration irrégulière s’élèverait à 500 000 personnes par an environ. Selon l’Organisation internationale des migrations (OMI), près de trois millions de personnes en situation irrégulière vivraient en Europe. Chaque mois, il continue d’affluer des dizaines de clandestins sur les rives du Sud de l’Europe. En cherchant à échapper aux difficultés, parfois aux drames, de leur terre natale, ils se représentent l’Europe comme un eldorado de richesses et de vie meilleure.

En moins de trois ans, l’Union européenne a intégré douze nouveaux pays. Pour mieux traduire l’ampleur de cet élargissement, il suffit de prendre la mesure de deux chiffres : les douze nouveaux Etats membres représentent 40% du territoire de l’UE et comptent 103 millions d’habitants. Si l’élargissement est un défi dans tous les secteurs, les aspects liés à la sécurité revêtent une importance toute particulière. En effet, l’UE compte désormais 6 000 km de frontières terrestres et 85 000 km de frontières maritimes. Les spécialistes de la sécurité en Europe se demandent si l’élargissement de l’UE est compatible avec le maintien du même niveau de sécurité au sein de l’espace Schengen au vu du niveau de délinquance, du niveau de vie des nouveaux membres ou encore de leurs frontières communes avec les Etats comme l’Ukraine ou la Russie.

Les nouveaux Etats membres, en appliquant les normes communautaires, ont intégré l’espace Schengen qui présente un certain nombre de garanties. Le groupe d’évaluation Schengen, mis en place par l’Union européenne, a procédé aux vérifications des nouveaux Etats membres en 2007 et ont décidé que Chypre ne ferait pas partie de l’espace Schengen. Son intégration aurait mis à mal le niveau de sécurité de cet espace. La question migratoire n’y est pas étrangère non plus. L’élargissement de l’UE de 15 à 27 membres en un peu plus de deux ans n’est évidemment pas sans poser d’importants problèmes en matière d’immigration clandestine. Afin d’éviter d’éventuelles déconvenues, Chypre a été mis de côté en raison de son statut particulier : il a fallu prendre en compte la situation singulière de ce pays européen divisé en deux (1).

La situation chypriote

Chypre est une île de la Méditerranée orientale, située à 75 kilomètres des côtes turques, à 100 kilomètres des côtes syriennes et libanaises et à 1 000 kilomètres du sud-est d’Athènes. Avec une superficie de 9 251 km², Chypre est la troisième île de la Méditerranée après la Sicile et la Sardaigne. Elle s’étend sur 240 kilomètres d’Est en Ouest et sur 100 kilomètres du Nord au Sud. L’île est peuplée d’environ 800 000 habitants dont l’élément grec est prédominant à 78%. Depuis 1974, date de « l’invasion » ou de « l’intervention » (2) par l’armée turque de la partie Nord-Est de l’île, celle-ci est divisée en deux parties par la « ligne verte » qui divise également sa capitale Nicosie. Au Sud de l’île, à Akrotiri et à Dhekalia se trouvent également deux bases militaires britanniques « souveraines » qui ne relèvent pas de la législation chypriote (3).

Le 1er mai 2004, Chypre est entrée dans l’UE. La République de Chypre, rappelons-le, est la partie sud de l’île de Chypre sous influence grecque et rappelons aussi qu’elle seule a adhéré à cette date à l’Union européenne en signant au nom de l’île entière. La République turque de Chypre Nord n’a pas pu la rejoindre à cause de son statut d’occupation et de la non-reconnaissance de la présence turque par la communauté internationale. Pourtant, les Chypriotes turcs ont démontré lors du référendum de 2004 (4) leur souhait d’aboutir à un règlement et à en finir avec la division de l’île (5). Selon le protocole 10 du traité d’adhésion (2003), l’acquis communautaire ne s’est appliqué qu’à partir du 1er mai 2004 à la partie sud de Chypre et a donc été suspendue dans la partie nord en raison du problème politique. Il faut quand même considérer que la RTCN est de facto reconnue de part ses multiples relations économiques avec plus de 80 pays. En 2006, selon les indicateurs économiques et sociaux chypriotes turcs (6), la RTCN avait une balance déficitaire de plus de un milliard de dollars (7), les importations étant bien supérieures aux exportations. L’économie du nord a longtemps souffert d’un embargo commercial international sur les exportations suite à un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes en 1994 qui empêchait les exportations de cette partie de l’île de bénéficier du traitement douanier préférentiel accordé au reste de Chypre par l’accord d’association. Ce problème se résout progressivement depuis 2004. La partie nord de Chypre bénéficie de mesures de soutien de l’UE pour favoriser son développement économique. Toujours selon le protocole 10, les modalités de contrôle à la ligne de démarcation ne devraient pas entraver le développement économique de la partie Nord de l’île (8). Afin d’aider les deux communautés de l’île à se réunifier et surtout la RTCN, la Commission européenne a installé des bureaux dans le Nord de l’île en 2006 et a travaillé ces deux dernières années en collaboration avec les autorités chypriotes turques sur six chapitres de l’acquis communautaire. Les Nations-Unies, l’UE et la communauté internationale contribuent donc à alimenter la dynamique constructive des pourparlers et à faire avancer le règlement global de la situation.

En terme d’immigration clandestine, l’île de Chypre est assez convoitée du fait de sa situation géographique très accessible par voie maritime, et ce, surtout depuis son adhésion à l’UE. L’emplacement de Chypre, au croisement de trois continents et sa proximité avec des pays pauvres où la population éprouve le besoin d’émigrer, fait de la partie nord de Chypre une destination extrêmement fréquente pour des personnes cherchant la protection internationale au Sud de l’île. Les immigrés proviennent pour la plupart de pays arabes. Ils arrivent de manière légale soit par voie maritime soit par avion le plus souvent via la Turquie. En effet, les autorités turques ne demandent pas de visa à leurs confrères musulmans pour entrer sur le territoire turc et de ce fait, les migrants entrent légalement en République turque de Chypre du nord (RTCN) puisqu’il y a libre circulation entre la Turquie et la RTCN.

Lorsque les clandestins arrivent de manière illégale sur l’île, ils arrivent aussi par le Nord. Alors qu’au sud, la République de Chypre emploie des dispositifs efficaces de contrôles tels les radars, les interventions de police en mer, les survols des côtes en hélicoptères, entre autres, afin de dissuader les immigrés clandestins d’entrer sur ce territoire européen, le nord de l’île dispose de moyens beaucoup plus rudimentaires – faute de moyens financiers. L’arrivée en RTCN est donc plus facile. La police chypriote turque guette nuit et jour les côtes maritimes mais le personnel et les équipements sont insuffisants. De ce fait, les côtes chypriotes turques ne sont pas entièrement sous contrôle. Elles deviennent alors de véritables terres de débarquement pour les clandestins. Seulement 4% des immigrés sont arrêtés au Nord de l’île. Ils entrent sur l’île par la péninsule des Carpas ou par le port de Famagouste et la majeure partie des clandestins tentent de passer au Sud en traversant la ligne de démarcation de 180 km de long. La Force de paix des Nations unies (UNFICYP) est composée de 1 400 casques bleus chargés de surveiller la « ligne verte » entre les deux secteurs. Les polices chypriotes grecque et turque contrôlent aussi cette partie de l’île. Cependant, les réfugiés passent outre. En sus, des réseaux de trafics humains se développent sur l’île, point difficile à gérer pour les administrations chypriotes.

Selon les données récemment présentées par les autorités de la République de Chypre, le nombre total d’immigrés illégaux est passé de 2 819 à 5 844 entre mai 2007 et avril 2008. Ces immigrés seraient pour la plupart syriens (37%), palestiniens (16%) et iraniens (9%). 3 470 sur 5 844 auraient par la suite fait une demande d’asile (9).

De juillet à octobre 2008, 317 personnes (294 adultes et 23 enfants) ont été jugées au tribunal de Famagouste. En effet, lorsque les clandestins sont arrêtés en RTCN, ils sont envoyés en prison faute de centre d’accueil au Nord de l’île. Les autorités chypriotes turques n’ont pas de contacts officiels avec l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Elles demandent cependant une collaboration avec cette organisation dans le cadre du droit humanitaire pour résoudre le problème des immigrés clandestins, afin qu’elle prenne en charge d’une manière décente les réfugiés et décèle si ce sont des réfugiés politiques ou de simples clandestins.

Dans les années 1950 à 1970, les Chypriotes eux-mêmes émigraient. Cette situation s’est retournée, l’immigration à Chypre commence à devenir un problème extrêmement sensible car Chypre ne s’est pas préparée, comme par exemple la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, à des conditions d’entrées de migrants bien définies. L’île de Chypre a eu au cours des dernières années une vague d’immigration très différente, à commencer par des immigrés illégaux, avec ou sans qualification, jusqu’à des ouvriers sous contrat de travail pour exercer dans des sociétés Offshores. Ainsi, Chypre se trouve dans une situation très particulière.

La gestion des migrants

Outre les personnes en provenance des pays arabes, depuis que la République de Chypre est un territoire européen, plusieurs milliers de Turcs de Turquie sont aussi intéressés par l’UE et entrent clandestinement en RTCN, espérant passer la « Ligne verte » vers le sud. C’est la raison pour laquelle, dès juillet 2005, le parlement chypriote turc a voté une loi sur l’immigration, appelant les ouvriers clandestins à se déclarer aux autorités jusqu’à la date limite du 1er juillet 2005, sous peine d’être renvoyés vers leur pays d’origine et soumis à une amende. Les commerces employant des ouvriers non déclarés ont également été pénalisés. Le gouvernement de la RTCN visait ainsi à lutter plus sévèrement contre l’immigration clandestine. Et cela eu de l’effet : entre le 1er et le 4 juillet 2005, près de 8 000 clandestins turcs quittèrent la RTCN depuis les ports de Kyrénia et de Famagouste afin de rejoindre le continent. Par ailleurs, le ministre chypriote turc du Travail et de la Sécurité sociale, Sonay Adem, a déclaré que plus de 27 000 ouvriers clandestins avaient été légalisés depuis le 1er juillet 2005.

Selon un rapport de la Fondation chypriote turque pour les droits de l’homme, le problème des réfugiés est humainement délicat à traiter. Afin d’éviter de choquer les émigrants, d’éviter une possible aggravation de leur état psychologique, les contrôles de police devraient se faire sur les côtes plutôt qu’en mer. Des précautions doivent être prises pour ne pas mettre les clandestins en danger, trop de personnes ont été découverts noyés sur les côtes chypriotes turques.

Les migrants se ruinent pour le voyage : entre 4 000 à 8 000 euros le passage. Selon le Ministre de la justice chypriote grec, Doros Theodorou, en proportion d’habitants, Chypre a le nombre de demandeur d’asile le plus élevé de l’UE. Selon le Ministre de la justice et le ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre, Marcos Kyprianou, l’augmentation de l’immigration clandestine incombe principalement à la Turquie qui encourage ce phénomène. Seul 2% des clandestins obtiennent le statut d’asile politique. La République de Chypre a dû mettre en place un centre d’accueil pour pallier à cet afflux de clandestins.

Carences et insuffisances au nord comme au sud

La première loi sur l’immigration et l’asile en République de Chypre date des années 1930, à l’époque où Chypre était toujours une colonie britannique. Depuis, elle fut modifiée à plusieurs reprises pour être harmonisée avec la loi communautaire. Cependant, les réfugiés sont toujours considérés comme étant des sujets d’obligations et non de droit. Les autorités chypriotes grecques restent discrètes sur l’expulsion des immigrés, les détentions ou les permis de résidence. On observe aussi un manque de statut juridique pour certaines catégories d’immigrés. La politique d’immigration reste un sujet tabou comprenant de nombreuses failles que les autorités chypriotes grecques ne semblent pas chercher à combler.

La position du gouvernement chypriote ne semble pas en adéquation avec une politique d’immigration qui assurerait le respect des droits de l’homme conformément au droit international et européen. En ne s’intéressant pas à la politique d’intégration, le gouvernement laisse croître des problèmes qui affectent non seulement les immigrés mais aussi la société dans son ensemble. Le fonctionnement du gouvernement va à l’encontre du Plan de Développement Stratégique national qui a été établit pour la période 2007-2013, dans lequel il a été présenté une stratégie pour les employés étrangers, dans le but de mettre en oeuvre des objectifs de développement pour l’emploi.

Selon le rapport du Réseau européen contre le racisme (ENAR) (10), des points problématiques concernant les réfugiés ont pu être observés à Chypre. En effet, les autorités chypriotes grecques n’expulsent pas systématiquement les demandeurs d’asile qui s’adressent à l’Agence des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR). Cette politique n’est mise en oeuvre que quand les organisations non gouvernementales interviennent.Bien qu’en 2007 cinq enfants irakiens aient pu être scolarisés, les réfugiés n’ont pas l’autorisation de travailler et l’on remarque un manque d’une structure légale pour la protection de chercheurs d’asile et des réfugiés.

Dans la partie du nord de Chypre, malgré des amendements à la politique d’immigration, comme le durcissement de l’octroi de permis de travail et une meilleure mise en oeuvre de la loi sur l’immigration, ce serait une utopie de dire que la RTCN ait d’avantage mis en place une politique d’immigration. L’immigration de la Turquie vers le nord de l’île a toujours été une question délicate à traiter pour la RTCN. Selon la loi chypriote turque, la libre circulation entre la RTCN et la Turquie est légale mais n’est pas sans poser problème. Par ailleurs, le gouvernement a imposé des clauses restrictives concernant les permis de travail pour éviter l’emploi illégal. Bien que de nouvelles lois protègent les travailleurs immigrés de l’exploitation, de nombreuses difficultés sont observées quant à leur mise en oeuvre.

En fin de compte, les trafics humains à Chypre sont malheureusement traités comme un problème dérisoire et l’augmentation du nombre de victimes est, selon les autorités chypriotes, une « exagération »…

La question migratoire pose la question de l’unité chypriote

Début septembre 2008, la Commission européenne a critiqué Chypre en raison de la faible efficacité des contrôles au niveau de la « ligne verte ». En effet, ceux qui réussissent à passer la « ligne verte » demandent l’asile politique dans ce nouveau pays de l’Union européenne. Ils étaient 12 000 demandeurs d’asile en 2007 alors qu’ils étaient 200 en 2002. Le problème migratoire chypriote est bien une question européenne.

Déjà, dans son rapport de novembre 2003, avant l’adhésion de Chypre, la Commission européenne avait constaté un retard dans l’alignement de la législation chypriote sur l’acquis communautaire en matière de droit d’asile, surtout en ce qui concerne le renforcement des structures administratives. L’immigration clandestine est devenue un problème important sur l’île. A cet effet, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européennes (Frontex) a mis en œuvre l’opération Nautilus III en 2008 qui consiste à déployer des patrouilles en Méditerranée. Son objectif est de renforcer le contrôle des frontières maritimes de la Méditerranée centrale en utilisant les moyens naval et aéronautique de plusieurs Etats membres participants. L’opération a coûté 5 millions d’euros, ce qui représente un budget considérable pour cette agence européenne toute récente. Dans son rapport annuel sur la « ligne verte », la Commission recommande aux autorités chypriotes de renforcer « sans tarder » la surveillance de la ligne de démarcation.

Mais cette question de la « ligne verte » pose un problème politique majeur. En effet, comme le notait le Cyprus Mail en novembre 2007, si l’on considère la ligne de division comme une « frontière », l’Etat chypriote grec devrait reconnaître de manière indirecte ce pseudo-Etat du nord, la RTCN, quelque chose qu’il refuse de faire. Si ce problème s’installe dans la durée et qu’aucune solution n’est trouvée dans un proche avenir, Chypre pourrait être contrainte par Bruxelles de gérer, pour des raisons de sécurité, la ligne de démarcation comme une « frontière », ce qui reviendrait à reconnaître sur la scène internationale la partition de l’île. En un mot, la question migratoire pose la question de l’unité chypriote. Et si la République de Chypre est réticente à une entente avec la RTCN, surtout dans un domaine aussi lourd que celui de l’immigration clandestine, les négociations pour une réunification commencées en mars 2008 sont alors un non-sens.

Les Chypriotes grecs se montrent en effet encore réticents quant à un travail commun avec leurs « compatriotes » turcs alors que les Nations unies, et encore récemment le Conseil de l’Europe (11), essaient de désamorcer la situation. En effet, par 99 votes contre 20, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a voté le 1er octobre 2008 une résolution sur la situation à Chypre et a appelé « tous les acteurs internes et externes concernés » à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour optimiser les chances de succès : « le Président Dimitri Christofias et Mehmet Ali Talat sont conscients de ne pouvoir se permettre d’échouer ». Bien que les nationalistes soient réticents à une solution, le président chypriote a plaidé pour une « convergence d’intérêts entre les différentes catégories de population » et a souligné sa « communauté de vue » avec le président de la partie nord de l’île, Mehmet Ali Talat, qui est intervenu pour la première fois devant l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe le 1er octobre 2008. Pour sa part, l’Assemblée est consciente que malgré l’instauration d’un nouveau climat plus positif entre les deux communautés, une profonde méfiance règne encore entre elles. Il est indispensable de prendre des initiatives supplémentaires pour rétablir les contacts intercommunautaires, favoriser le dialogue, promouvoir la réconciliation et rétablir la confiance. L’action menée par le Conseil de l’Europe pour instaurer un climat de confiance à Chypre, à savoir le Forum européen de Chypre et la coopération établie dans le domaine de l’enseignement de l’histoire, doivent bénéficier d’un soutien politique européen sans faille. Ces changements auront un impact en interne pour une évolution positive de la situation à Chypre mais aussi en externe, comme par exemple sur la question de l’arrivée de masse des immigrés clandestins sur l’île.

Les pourparlers directs entre la RTCN et la République de Chypre avec pour but de résoudre le problème chypriote ont commencé le 3 septembre 2008. Les deux leaders de Chypre, Mehmet Ali Talat et Dimitris Christofias, se réunissent seuls et négocient sous l’égide des Nations unies. Le 12 janvier 2009, le chapitre concernant « la gouvernance et le partage du pouvoir »était clos et dés le 16 janvier 2009, les deux leaders commencèrent à négocier « la question des propriétés ».Talat et Christofias ont réaffirmé leur position politique en se mettant d’accord pour une fédération bi-zonale, bi-communale avec une égalité politique comme la résolution du Conseil de sécurité l’a défini. Le Gouvernement fédéral serait alors constitué d’un Etat constitutif chypriote turc et d’un Etat Constitutif chypriote grec qui auraient des statuts égaux. Les élections législatives en RTCN ont été avancées d’une année et auront lieu le 19 avril 2009, et rappelons que les élections présidentielles dans la partie turque de l’île se tiendront en 2010. Ces évènements politiques motivent Mehmet Ali Talat à avancer les négociations et à trouver des solutions. Il a choisi d’établir un agenda précis afin qu’une solution puisse enfin être trouvée à Chypre.

En effet, les spécialistes peuvent déceler une lueur d’espoir à travers les négociations entre Christofias et Talat. Les deux leaders politiques sont du même bord politique, ils peuvent donc négocier plus facilement et les deux hommes souhaitent en finir avec la partition de l’île. Par ailleurs, il reste cinq chapitres à négocier en moins d’une année et la pari sera difficile. En outre, il est probable que le parti politique de droite (National Unity Party) gagnera des voix en RTCN à la prochaine élection législative et qu’une coalition se formera. Dans ce cas, il sera plus difficile pour l’actuel « président »chypriote turc d’agir et de convaincre en RTCN, d’autant plus que les deux partis politiques auront alors à mener ensemble les négociations. Quant à Dimitris Christofias, il se trouve déjà dans ce cas de figure. En effet, la République de Chypre a une coalition parlementaire entre les deux principaux groupes qui mènent les décisions, le parti communiste de Christofias AKEL et le parti de droite DIKO. Bien que Christofias ait des idées positives pour une réunification, la coalition altère les négociations.

Même si les négociations ont commencées d’une manière positive, une solution aux problèmes n’est pas encore trouvée à Chypre. Depuis 1968, les parties grecques et turques de l’île négocient en vain sous l’égide des Nations-Unies. Il est nécessaire d’avoir des références claires afin d’aboutir à une résolution de conflit et sans cela les pourparlers deviennent, comme pour le cas israélo-palestinien, une industrie. D’un point de vue diplomatique, s’il n’y a pas de pression politique de la part des grandes puissances internationales, Chypre verra au mieux naître une confédération sur son territoire, et  au pire un statu quo ou une partition définitive.

La résolution du problème des réfugiés à Chypre se trouverait idéalement dans la recherche d’une solution au problème chypriote. Mais vu le cas d’urgence de la situation, il est préférable de se positionner sur une politique de collaboration, de coordination et de coopération entre le nord et le sud de l’île afin de lutter contre l’immigration clandestine. Bien que les deux entités, la République de Chypre et la RTCN aient pris des mesures juridiques contre l’immigration clandestine, la mise en œuvre effective n’est pas encore acquise.

Notes •

(1) La Roumanie et la Bulgarie, les deux dernier pays à avoir rejoint l’UE en 2007, ont également un statut particulier de pays signataires sans applications des accords. De même l’adhésion des Etats des Balkans candidats à l’UE se présente-t-elle d’ores et déjà comme source d’affaiblissement potentiel de l’espace sécuritaire européen.

(2) Selon les Chypriotes grecs, l’arrivée des troupes militaires turques représente une invasion du territoire chypriote et selon la communauté Chypriote turque et les Turcs, une intervention de droit.

(3) Les bases militaires britanniques représentent 2,8% du territoire. Dans la plan Annan présenté en 2004 par les Nations unies, le Royaume-Uni avait proposé de transférer la propriété d’une partie du territoire des bases militaires au profit des Chypriotes grecs, afin de faciliter les compensations territoriales qui doivent faire l’objet de négociations entre les deux parties dans le cadre d’un règlement global de la question.

(4) Magali Gruel-Dieudé, Chypre et l’Union européenne : mutations diplomatiques et politiques, L’Harmattan, Paris, 2007, p. 17.

(5) Les résultats des référendums : vote positif des Chypriotes turcs en faveur de la réunification à 65% des voix et rejet par les Chypriotes grecs du plan Annan à plus de 75%.

(6) State planning organization, Economic and social indicators, RTCN, 2006.

(7) Exportation de la RTCN 2006 : 68 063 000 USD. Importation de la RTCN 2006 : 1 376 000 000 USD et balance commerciale : 1 307 937 000 USD.

(8) Protocole 10 annexé du traité d’adhésion (Athènes, 2003). I – L’article 1 du protocole n°10 sur Chypre, annexé au traité d’adhésion, prévoit qu’en l’absence de règlement :

« 1. L’application de l’acquis est suspendue dans les zones de la République de Chypre où le gouvernement de la République de Chypre n’exerce pas de contrôle effectif.

2. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, décide de la levée de la suspension visée au paragraphe 1. »

II – Conformément à l’article 2 du protocole 10, un règlement définissant les modalités de contrôle à la ligne de partage, sera adopté par le Conseil avant le 1er mai 2004. Un accord est intervenu au COREPER sur un dispositif relativement souple.

III – L’article 3 du protocole 10 sur Chypre prévoit que « rien […] n’empêche l’adoption de mesures visant à favoriser le développement économique » de la partie Nord de Chypre, pour autant qu’elles n’affectent pas l’application de l’acquis dans d’autres parties de l’île. II a « recommandé que les 259 millions d’euros déjà prévus pour la partie Nordde Chypre en cas de règlement » pour la période 2004-2006 soient utilisés à cette fin.

(9) Press Information Office, RTCN, septembre 2008.

(10) European Network against Racism (ENAR), Shadow Report 2007, Racism in Cyprus, Antoula Papadopoulou, Andriana Kossiva, Oncel Polili, KISA – Action for Equality, Support, Anti-racism, TCHRF – Turkish Cypriot Human Foundation, p. 42.

(11) Résolution 1628 (2008) – discussion par l’Assemblée et texte adoptée le 1er octobre 2008 en 32ème séance.