Pyongyang-Téhéran · La diagonale du fou

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

17 juin 2009 • Analyse •


En réponse à la fuite en avant du régime nord-coréen, le Conseil de sécurité des nations unies a voté la résolution 1874. Le fait n’implique pas la modification en profondeur des politiques sino-russes sur le front de la contre-prolifération. La constitution d’une ligue regroupant les nations qui partagent les mêmes règles de juste conduite doit donc être envisagée.


Saisies dans la longue durée, la géopolitique comme l’histoire offrent maints exemples de synchronies irréductibles à de simples et commodes coïncidences hasardeuses. Le 12 juin 2009, le Conseil de sécurité adoptait à l’unanimité, avec l’accord de la Russie et de la Chine donc, une résolution empreinte de fermeté à l’encontre de la Corée du Nord qui s’est engagée dans une fuite en avant balistique et nucléaire ; ce même jour, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, se faisait réélire à une forte (et factice ?) majorité, déjouant une nouvelle fois les pronostics d’orientalistes amoureux de leur objet d’étude et de commentateurs sujets aux effets de miroir.

Le temps presse. Selon le dernier rapport de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie atomique), quelque 7000 centrifugeuses tournent et l’Iran dispose d’ores et déjà de plus d’une tonne d’uranium enrichi (5 juin 2009). Diplomaties publiques et stratégies de communication ne sauraient occulter la gravité de la situation ; les négociations « 5 plus 1 » (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne) durent depuis six ans et l’arme nucléaire est aujourd’hui à la portée de la république islamique.

Les faux-semblants sino-russes

A l’encontre de Pyongyang, la résolution 1874 des Nations unies prévoit la mise en place d’un régime d’inspection renforcé des cargaisons aériennes, maritimes et terrestres à destination ou en provenance de Corée du Nord, y compris en haute mer, et un élargissement de l’embargo sur les armes. Le texte est aussi porteur de nouvelles sanctions financières et il frappe d’interdit un plus grand nombre d’entités nord-coréennes.

La Russie et la Chine confirmeront-elles cette nouvelle fermeté ? Sur ce théâtre, Moscou a d’ores et déjà échoué à prouver sa capacité d’influence et à jouer les « honnêtes courtiers » ; Pyongyang est un vague allié régional, virtuellement instrumentalisé pour mettre en scène le pouvoir de nuisance de la diplomatie russe.

Quant à la Chine populaire, elle a certes les moyens d’exercer de fortes pressions sur une Corée du Nord isolée dont le sort repose en partie sur d’étroites relations économiques, diplomatiques et militaires avec son protecteur attitré. Pékin considère que ce régime-bunker relève de la sphère d’influence exclusive qu’elle revendique sur ses approches géopolitiques et au-delà. Les risques et menaces générés par Kim-Jong-il et les processus de prolifération l’emporteraient-ils donc sur la crainte d’une Corée réunifiée sous l’égide de la « démocratie de marché », avec d’inévitables contrecoups en Chine comme dans l’ensemble de l’Asie orientale ? A l’instar de Moscou, Pékin s’est employé à vider de substance les sanctions internationales adoptées après le premier essai nucléaire nord-coréen (octobre 2006). L’hypothétique nouveau cours de la diplomatie chinoise reste à confirmer.

Sur le front nucléaire iranien, la Russie dispose de leviers d’action importants alors que l’intérêt de Pékin pour le golfe Arabo-Persique ne va guère au-delà des questions énergétiques et du renforcement de la présence navale chinoise sur les routes du pétrole, du détroit d’Ormuz à la mer de Chine méridionale ou « Méditerranée asiatique » (la stratégie du « collier de perles »). Depuis les années 1990, Moscou et Téhéran ont développé de multiples liens – dans les domaines de l’armement, de l’énergie (hydrocarbures et nucléaire) et du spatial –, avec un « pacte de coopération civile et militaire », signé en 2001, pour couronner ce partenariat géopolitique global.

Une ligue de nations comme ultime recours ?

L’Iran est un pays clef dans la géopolitique eurasienne et il n’est pas évident que la Russie soit prête à sacrifier de tels acquis diplomatiques à la lutte contre la prolifération. Certains de ses dirigeants semblent considérer que l’accès de Téhéran au nucléaire guerrier, loin de les concerner au premier chef, constituerait principalement une menace sur les positions occidentales dans le golfe Arabo-Persique. On se souvient par ailleurs que Moscou et Pékin ont, ces dernières années,
étendu leur aile protectrice sur Mahmoud Ahmadinejad, invité à participer aux travaux de l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS).

Le 16 juin dernier, la Russie et la Chine n’ont pas mis à profit le sommet d’Iekaterinbourg pour modifier leur politique iranienne. Le leader islamiste – dont les pratiques politiques intérieures et extérieures menacent de faire basculer l’Iran dans une « troisième révolution » (islamojusticialiste), au risque du chaos -, a reçu de la part de Dmitri Medvedev, son homologue russe, un accueil chaleureux. Faut-il s’en étonner ? L’OCS a les allures d’un club de régimes autoritaristes dont les dirigeants confisqueraient la chose publique à leurs fins propres.

Au total, la Russie comme la Chine ont largement négligé les responsabilités internationales qui leur échoient, bruyamment revendiquées par ailleurs, pour exploiter les conflits émergents entre les Occidentaux d’une part, certaines puissances agressives du « Sud » d’autre part. En se posant sur le fléau de la balance, elles entendent engranger les gains diplomatiques liés à cette stratégie indirecte.

Si le vote de la résolution 1874 n’était pas le prélude à une révision des politiques sino-russes sur les deux principaux fronts de la contre-prolifération, il appartiendrait aux Occidentaux de privilégier d’autres voies politiques. Une ligue de libres nations qui conjuguerait les efforts diplomatiques et militaires des régimes constitutionnels-pluralistes ? La perspective doit être sérieusement envisagée. Sans complexes.