22 juin 2009 • Opinion •
Jean-Sylvestre Mongrenier explique pourquoi les événements en Iran sont la preuve de l’échec d’une stratégie : celle qui assurait que la chute de Saddam Hussein en Irak pacifierait l’ensemble de la région et la ferait évoluer vers la démocratie.
Après l’« injuste guerre » d’Irak, le théâtre afghan et la guerre que l’OTAN y mène étaient censés absorber une bonne part de l’effort politique et militaire américain. Pour l’administration Obama, l’Iran et son programme nucléaire relevaient en revanche d’une approche diplomatique, fondée sur les intérêts bien compris des protagonistes. Le durcissement du « système Khamenei-Ahmadinejad » et la sécession mentale d’une partie des Iraniens ébranlent cette Realpolitik sommaire et sans doute réductrice.
En 2003, William Kristol et Lawrence Kaplan, deux figures emblématiques du mouvement néo-conservateur, avaient publié un essai intitulé Notre route commence à Bagdad. La menace islamo-terroriste y était interprétée comme le produit des maux qui frappent le Moyen-Orient – tyrannies, mal-développement et enfermement psycho-culturel – aggravés par le « réalisme » des chancelleries occidentales et leur obsession du statu quo. L’effondrement du régime criminel de Saddam Hussein devait être le point de départ d’une entreprise de libéralisation et d’émancipation du « Grand-Moyen-Orient », une immense aire qui s’étire des rivages atlantiques du Maghreb jusqu’au golfe Arabo-Persique et à l’Afghanistan, partie prenante des géopolitiques méditerranéennes depuis l’invasion soviétique de 1979-1980 et les conflits qui ont suivi. Paix, prospérité et démocratie de marché pointaient à l’horizon.
Cette version renouvelée de la théorie des dominos et le rêve de « pax democratica » qui inspirait l’action régionale des Etats-Unis ont bien vite buté sur les réalités politiques et stratégiques moyen-orientales : perpétuation de la guerre en Irak, poussée de l’islamisme sur le plan électoral, islamo-guérillas au Liban et à Gaza. Bagdad et les territoires à l’Est de Suez semblent alors basculer vers l’Iran et le monde islamo-persan.
A la tête d’une alliance entre chiites (Iran, Syrie, Hezbollah), Téhéran parraine le Hamas et se pose en chef de file d’un front panislamique en opposition à l’« axe américano-sioniste ». Sous couverture diplomatique russe et chinoise, Téhéran poursuit sa marche obstinée vers le nucléaire guerrier, voie et moyen d’une stratégie de sanctuarisation agressive, du Golfe à la Méditerranée orientale.
Le coup de force d’Ahmadinejad, l’amorce d’une nouvelle révolution islamo-justicialiste et les chocs en retour invalident le scénario de la « superpuissance » régionale. Sous embargo international, l’économie iranienne est épuisée et le comportement des hommes au pouvoir contredit chaque jour le moralisme d’Etat qui tient lieu de formule politique, nonobstant le zèle coercitif des Pasdarans et Bassidjis. Aux frontières orientales, le djihadisme taliban menace de déborder sur le Baloutchistan ; aux frontières occidentales, l’expérimentation par l’Irak d’une forme de « gouvernement décent », certes fragile, pourrait exercer des influences positives jusqu’à Téhéran.
Il serait hâtif de miser sur le succès d’une version iranienne des « révolutions de velours » – le sang a déjà coulé – et de tenir pour acquis les bouleversements géopolitiques qu’impliquerait l’effondrement du « régime des mollahs ». Le temps du monde et les rythmes politiques ne sont pas ceux de la logique et des chaînes de raisonnement ; c’est par là que certains théoriciens néo-conservateurs ont péché. De même ne faut-il pas négliger le poids des enracinements anthropo-culturels, cédant ainsi aux délices et poisons de l’ingénierie socio-politique. Il n’en reste pas moins que les attentats du 11 septembre et le cycle de conflits alors déclenché ont brisé le statu quo régional, libérant des forces qui se jouent des calculs politiques et des stratégies étatiques. Que l’Iran bascule dans le chaos ou que le régime se durcisse, la diplomatie de la main tendue, ses tenants et ses aboutissants, sont bousculés par la dynamique des événements. Le Moyen-Orient est en ébullition, les mots doivent céder la place à d’autres mots et il faut passer au plan B.