L’ombre portée de la Russie sur l’Europe

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

28 juillet 2009 • Analyse •


D’un mal peut sortir un bien, vérité d’expérience dont il ne faut pas abuser. En l’occurrence, la guerre russo-géorgienne d’août 2008 a montré, au vu et au su de tous, que la Russie n’avait pas renoncé à l’usage de la force armée pour atteindre ses objectifs politiques et tenter de conserver le contrôle de ce que les cercles de pouvoir moscovites nomment l’« étranger proche ». Au vrai, la guerre de Tchétchénie et la destruction de Grozny par la puissance de feu de l’armée russe étaient déjà une démonstration sur le terrain de la résolution politique de Vladimir Poutine. Tout comme la philosophie depuis Platon, la géopolitique est une « ophtalmologie », une histoire de vision : connaître, c’est voir. Ainsi dans le monde antique la géographie était-elle considérée comme l’« œil du roi ».

En Tchétchénie et dans l’aire géopolitique caucasienne, il se trouve que les gouvernements occidentaux n’ont pas voulu voir les choses telles qu’elles sont ; ils ont détourné le regard des champs de bataille et négligé la gravité des conflits dits « gelés ». Lorsqu’en décembre 1999, Vladimir Poutine déclenche une nouvelle offensive en Tchétchénie, dans des circonstances qui demeurent obscures, le président français de l’époque, Jacques Chirac, se montre des plus réservés quant au bien-fondé de cette guerre. Il fait part de ses critiques mais se retrouve alors isolé parmi ses pairs. Des mois durant, Vladimir Poutine se refuse à le rencontrer et la relation franco-russe est mise à mal. In fine, Jacques Chirac sacrifie la cause tchétchène à son projet de « monde multipolaire harmonieux » et remise ses critiques. Reçu à Saint-Pétersbourg en mai 2003, il se fait même le héraut de la « démocratie russe » donnée en exemple pour le « respect dû aux peuples premiers », le « dialogue des cultures » et « tout simplement le respect de l’autre ». Les autres chefs d’Etat et de gouvernement du monde occidental ne seront pas aussi dithyrambiques mais la « guerre contre le terrorisme » et la coopération militaro-sécuritaire avec Moscou ont leurs contraintes. « Cachez ce sein que je ne saurais voir ». Il en va de même dans le Caucase du Sud – la guerre russo-géorgienne n’éclate pas comme un orage dans un ciel d’été – jusqu’à ce que les faits sautent aux yeux. Et encore… Il est toujours de bon ton d’expliquer, mezzo voce, que les Géorgiens ne sont pas gens raisonnables. Charitable euphémisme dans l’esprit de personnes qui se veulent au fait des choses mais sont moins disertes sur les déclarations menaçantes des chefs politiques et militaires russes. Serait-ce donc là un simple particularisme culturel, sans autre portée qu’ethnologique ? « C’est comme un vieux travers de la Russie, écrit Alain Besançon, presque un élément du folklore, comme le samovar. C’est leur habitude et nous nous y habituons ».