Barack Obama et Nicolas Sarkozy · Des politiques d’un nouveau genre ?

Sophie Damay et Delphine Menasche, chargées de mission à l’Institut Thomas More

10 août 2009 • Analyse •


Barack Obama, Nicolas Sarkozy, deux hommes qui, à des échelles différentes, ont su capter plus qu’aucun de leurs prédécesseurs l’attention du public, des médias et de l’étranger – du monde pour le premier, de l’Europe pour le second. Outre leur jeunesse, les deux hommes ont en commun de s’être posés, pendant leur campagne électorale et après, en rupture avec les modèles politiques établis dans leurs pays respectifs. Tous deux se sont fait élire sur un très grand espoir de changement… Espoir vite terni puisque six mois après leur entrée en fonction, ils n’étaient respectivement plus qu’à 55 et 54% d’opinion favorable (1). Les deux hommes apparaissaient pourtant dans leur pays comme les précurseurs d’une nouvelle manière de faire de la politique : plus volontaristes et plus pragmatiques à la fois ; mieux capables de comprendre les attentes diffuses et parfois contradictoires de sociétés de plus en plus fragmentées et anxiogènes ; ayant intégré le rapport horizontal, et non plus vertical, que les citoyens veulent désormais entretenir avec le pouvoir ; prêts enfin à jouer à fond le jeu du « tout médiatique », de la « société du spectacle » et du story telling.

Des différences notables existent bien sûr entre les deux hommes : Barack Obama est à la tête de la plus grande puissance mondiale, élu en pleine crise économique et financière alors que Nicolas Sarkozy dirige depuis bientôt deux ans et demi une « vieille nation européenne » et aspire à lui redonnerune place majeure dans les affaires européennes et internationales. Pourtant, au regard de leurs discours de campagne et de présidents élus, de leur activisme et de leur mode d’exercice du pouvoir, on ne peut nier qu’un parallèle entre les deux hommes s’impose à l’esprit de l’observateur. Il ne saurait bien sûr s’agir de décerner les bons et les mauvais points ou de dire lequel est « le meilleur » ! Cela n’aurait pas de sens et l’ambition de cet article est ailleurs. Elle est de chercher à décrypter cette « nouvelle manière de faire de la politique » qu’incarnent les deux hommes à travers l’emploi de nouveaux concepts répondant de près aux attentes de la société contemporaine, une pratique politique se voulant novatrice et une exploitation habile d’une surexposition médiatique admise et même recherchée…

La révolution des concepts

Barack Obama et Nicolas Sarkozy, qui eurent l’un et l’autre vingt ans après mai 68, ressemblent à leur époque, la nôtre – que les philosophes appellent « modernité », « modernité tardive » ou « post-modernité » –, dont l’une des caractéristiques est la mort des idéologies et des grands courants de pensées politiques. Après la disparition des fascismes et du communisme, on voit s’effilocher en ce début de 21e siècle les pensées politiques structurantes de la deuxième partie du 20e, socialisme, social-démocratie et libéralisme. Porteurs d’idées politiques généralement bien identifiées et facilement identifiables, souvent antagonistes, ces courants représentaient des offres politiques claires à l’esprit du plus grand nombre et structuraient un débat démocratique dans le cadre strict de l’espace politique national. Tout cela n’est plus, ou est en passe de n’être plus. Ces classifications sont en effet progressivement rendues obsolètes par l’évolution de nos sociétés contemporaines – caractérisées par l’individualisation, la fragmentation et la prégnance de l’esprit de consommation – qui ne demandent plus à leurs dirigeants d’indiquer, dans un rapport vertical, la voie commune mais, dans une relation de plus en plus horizontale, de faire la synthèse des aspirations individuelles et de groupes. L’exercice contemporain du pouvoir est de moins en moins politique et de plus en plus sociétal. Dans ce contexte, les idées politiques, entendues comme propositions d’organisation de la Cité, laissent place aux concepts politiques, entendus comme propositions d’aménagement de la société.

Si l’on admet cette distinction, on conviendra que Barack Obama et Nicolas Sarkozy apparaissent comme de savants et habiles manieurs de slogans et de concepts à la mode… L’un et l’autre ont bâti leur succès sur l’utilisation des concepts de rupture, d’ouverture et de changement. A la lecture de leurs programmes officiels (2), il ne s’agit plus tant de ce que contiendra leur projet politique proprement dit que de la manière dont celui-ci sera perçu et accueilli par les électeurs, de l’engouement et de la mobilisation qu’il suscitera. L’emploi de ces concepts repose généralement sur un contenu vague propre à être adapté à l’interlocuteur ou à la situation du jour. Nicolas Sarkozy put ainsi utiliser son célèbre « Travailler plus pour gagner plus » aussi bien devant des médecins, des enseignants, des chefs d’entreprises que des ouvriers… La flexibilité du concept permet de toucher un électorat plus large sans courir le risque du clivage doctrinal ou de l’opposition de catégories sociales. De tels procédés conviennent en outre parfaitement au principe du « pick and choose », trait caractéristique de la société individualisée et de consommation. Ces affirmations peuvent néanmoins être nuancées : pendant leurs campagnes, on a vu aussi bien Barack Obama que Nicolas Sarkozy faire appel à des valeurs politiques plus classiques comme le patriotisme, ou morales comme la notion de devoir. Mais on peut affirmer sans risque que la mobilisation qu’ils réussirent à produire autour de leurs candidatures fut largement le fruit de l’utilisation de ces concepts simples et séduisants. Concepts qui permettent de continuer après l’élection à rassembler l’électorat autour de la figure présidentielle, comme le montre le site mybarackobama.com aux États-Unis (3).

Muni de son argumentaire politique modulable et à faible teneur idéologique, le responsable politique est ainsi en mesure de fournir des réponses « adaptées », presque « taillées sur mesure » aux attentes et revendications de tout ou partie de l’électorat. Les concepts employés sont en quelque sorte la matérialisation des aspirations identifiées par le leader politique et son équipe et façonnent les discours à la manière d’un « panel marketing ». Il ne s’agit plus de tenir un « discours à la nation » mais d’additionner les discours à l’attention des différents segments de la population qu’on souhaite atteindre. A l’exemple du « Vote for change » de Barack Obama, qui résonne en chaque citoyen ou groupe de citoyens selon ses attentes particulières, le flou des concepts permet de conserver la cohérence du propos global. Chacun loge ce qu’il veut dans de tels non-lieux conceptuels… Et le pilotage d’une campagne électorale par des sondages quotidiens assure que le candidat « colle » toujours aux attentes exprimées. En obtenant des données précises et journalières sur les aspirations ou les réactions à tel événement ou telle déclaration des différents segments de la population, les responsables politiques sont capables d’ajuster et de rectifier leurs discours quasiment en temps réel. Ainsi se souvient-on que, pendant la campagne présidentielle française de 2007, Ségolène Royal, constatant le bon accueil réservé aux propos de celui-ci, n’avait pas mis deux jours à imiter Nicolas Sarkozy dans de grandes envolées patriotiques… Comme le soulignait déjà Jean-Marc Ferry il y a vingt ans, l’accès aux médias et la multiplication des sondages permettent à « un principe de sélection de la valeur sociale » d’opérer à plein (4). Ce qu’ont parfaitement compris et intégré à leur démarche Barack Obama et Nicolas Sarkozy.

La révolution des pratiques politiques

En fondant leur campagne sur le maniement et la mise en scène de ces nouveaux concepts politiques à la fois simples, non clivants et globaux, les deux présidents savaient qu’ils devraient être conséquents et faire suivre la révolution du discours qu’ils avaient opérée par une révolution de leur exercice du pouvoir.

Le premier signe de cette révolution des pratiques politiques tient en ce que les présidents élus demeurent pour une bonne part les candidats qu’ils furent. Les deux hommes ont inventé la figure du « président candidat »… Ni l’un ni l’autre n’a en effet déserté la scène médiatique depuis son élection et chacun entretient sa surexposition en continuant notamment de participer à des réunions publiques – du jamais vu aussi bien dans le contexte politique américain que français. Barack Obama, pendant ses six premiers mois à la Maison Blanche, a participé presque chaque semaine à des meetings « face aux citoyens », répondant sans chichi aux questions de Monsieur tout-le-monde. Nicolas Sarkozy, lui, a continué, une fois élu, à prendre la parole à l’occasion de meetings organisés par l’UMP. Ces rendez-vous, « populaires » et médiatiques, sont pour eux l’occasion de marteler encore et encore les slogans de leur campagne. Délaissant le schéma classique en deux temps, qui distingue celui de la conquête de celui de l’exercice du pouvoir, ils les fusionnent et continuent, une fois élus, à chasser les voix des électeurs. A l’Elysée depuis pourtant plus de deux ans, Nicolas Sarkozy répète inlassablement qu’il souhaite bel et bien être « le président de tous les Français » et Barack Obama continue, face aux conséquences de la crise, de battre la campagne avec l’un de ses principaux slogans de 2008 : « A new spirit of patriotism ».

Un autre trait intéressant est d’observer que l’un et l’autre présidents conservent la stratégie sémantique du candidat qu’il a été. Tout deux ont adopté pendant leur campagne une langue simple et claire, accessible au plus grand nombre ; ils la conservent à la Maison Blanche et à l’Élysée. Un distinguo mérite néanmoins d’être fait ici. Alors que Barack Obama réussit à véhiculer un ensemble de concepts qui ne donnent pas à sa propre personne la place centrale et qu’au contraire il a mené une « campagne caritative » selon la bonne formule de la Fondation Terra Nova (5), Nicolas Sarkozy est, quant à lui, beaucoup plus personnel, voire égocentrique… Son concept politique le plus fort est en quelque sorte sa propre personnalité, qui rompt véritablement avec celle de son prédécesseur. Alors que le président américain utilise le plus souvent le « on » et le « nous », qui cherchent à marquer une unité entre le président et ses concitoyens, Nicolas Sarkozy veut apparaître comme un chef authentique et capable et emploie le « je » sans modération (6).

Mais c’est l’usage des deux concepts phares de leurs campagnes – la rupture et l’ouverture – qu’il convient d’interroger pour étudier la réalité des changements de pratiques qu’opèrent les deux présidents. L’idée de rupture souligne une volonté de tourner résolument la page avec le passé et de prendre le contre-pieds des politiques menées jusqu’ici par son prédécesseur. Ainsi, le pari de Barack Obama était-il de faire oublier au peuple américain les années de présidence de Georges W. Bush, définies comme des « années noires » marquées par les guerres en Irak et en Afghanistan, et de redéfinir un American Dream quelque peu fatigué…Pour Nicolas Sarkozy, « la rupture tranquille » symbolisait une volonté de rompre avec l’immobilisme des années Chirac et d’incarner un volontarisme et un réformisme oubliés. Comment cette rupture s’est elle concrétisée pour les deux hommes ? La présidence de Barack Obama n’a débuté que depuis un peu plus de six mois mais les premières actions entreprises par la nouvelle administration montrent clairement la volonté de faire passer le message de la rupture – réelle ou supposée – et d’envoyer des signaux en ce sens. Elle s’est concrétisée notamment par le choix affiché du multilatéralisme et du retour des États-Unis au sein des instances internationales, par le discours du Caire et une politique dite « de la main tendue » à l’égard de pays comme l’Iran ou Cuba, par le lancement du plan « développement durable » et celui de la réforme du système de santé américain présentée comme historique. Toutes ces initiatives ont été globalement bien accueillies mais, à l’instar d’une presse américaine qui commence à montrer quelques doutes sur l’efficacité du Président, il convient de rappeler que les déclarations d’intention ne font pas une politique et que les résultats concrets obtenus jusqu’ici sont minces. La rupture sur le fond est encore à venir aux États-Unis… Constat identique à celui qu’on peut faire en France, mais cette fois après bientôt deux ans et demi de mandat. En effet, si la rupture dans la forme et le style est indéniable, on sera plus mesuré quant à celle observée dans la politique conduite et les choix retenus depuis 2007. Nicolas Sarkozy est incontestablement parvenu à rompre avec ses prédécesseurs dans sa manière d’incarner la fonction présidentielle et de s’adresser aux Français. Mais au-delà, point, ou peu, de rupture(7). Constat partagé par Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, quand il juge que « l’essentiel de la rupture réside dans le style ». Ce qui a poussé certains observateurs à affirmer que cette « fausse » rupturemenaçait la vraie, celle qui devait conduire aux réformes en profondeur.

Autre concept clé pour les deux hommes, la notion d’ouverture a été présentée comme une mise en œuvre concrète de la rupture qu’ils souhaitaient incarner. C’est en effet essentiellement dans leur politique de nominations à des postes majeurs qu’ils ont pu donner corps au concept. Dans sa volonté affichée de rompre avec les « méthodes du passé », Nicolas Sarkozy se définit encore aujourd’hui comme le « Président de l’ouverture » et souhaite réunir autour de son projet le plus grand nombre de figures, de son camp ou d’ailleurs, possibles. Pour lui, « l’ouverture est la réponse aux attentes des Français et un besoin vital dans un pays qui a besoin de modernité ». Dans cette perspective, des ministres de gauche ont rejoint le gouvernement comme Bernard Kouchner, Martin Hirsch ou Eric Besson. A cette « ouverture politique »s’est ajoutée ce qu’on appellera une « ouverture à la diversité » avec la nomination de ministres issus de la diversité comme Rachida Dati, Rama Yade et Fadela Amara. En ce qui concerne Barack Obama, l’ouverture a été présentée presque comme un outil de maïeutique permettant de faire naître de bonnes idées de la confrontation de points de vue politiques divergents, voire même opposés. C’est la raison pour laquelle le président américain a tendu la main à trois Républicains : le Sénateur Judd Gregg (nommé Secrétaire au Commerce), le Sénateur John M. McHugh (nommé Secrétaire pour l’armée de terre) et Ray La Hood (nommé Secrétaire aux transports). Plus étonnant encore a été le maintien de Robert Gates, Secrétaire à la Défense, qui occupait déjà ce poste stratégique sous Georges W. Bush. A cela s’ajoute que le président américain a composé une équipe de vingt membres dont neufs sont issus des minorités noire, hispanique et asiatique. La question se pose, pour les deux présidents, de la sincérité de cette démarche ? Est-elle politicienne ou relève-t-elle d’une authentique éthique politique et d’une vision particulière de la société ? Un peu des deux sans doute, personne ne se privant de relever le « coup médiatique » joué par chacun des présidents, mais il convient d’observer que la démarche de Barack Obama a été bien mieux accueillie que celle de Nicolas Sarkozy. Cela s’explique d’une part par le fait que l’ouverture à un membre du parti opposé représente une tradition ancienne dans le jeu politique américain, d’autre part par le contexte de l’« Obamania » généralisée. Seul doit pourtant être jugé le résultat et c’est le travail accompli qui permettra de dire si l‘ouverture a rendu des services aux deux pays.

La révolution de l’hypermédiatisation

Certes le phénomène médiatique n’a pas attendu les élections de Barack Obama et de Nicolas Sarkozy pour s’imposer à nos sociétés occidentales. Les médias constituent désormais un pouvoir considérable et, sans que la question de la légitimité de celui-ci ne soit clairement tranchée, participent intensément à la vie démocratique de nos pays. On trouverait avec peine prescripteurs plus puissants… Ce que tous les responsables politiques ont bien compris. Ce que les présidents américain et français ont pleinement intégré à la pratique de leur fonction. Ainsi le phénomène de surexposition médiatique constitue-t-il un outil essentiel de l’hyperprésidence assumée. En étant quotidiennement sous le feu des caméras et des micros, en déplacement plusieurs fois pas semaine, en annonçant de nouvelles initiatives presque chaque jour, en un mot en « faisant l’actualité » à proprement parler, l’hypermédiatisation confère aux deux hommes une image de président dynamique, prenant à bras le corps tous les sujets, seul acteur de la réforme, personnalisant puissamment l’échec ou le succès du pouvoir.

Le but premier de ce choix risqué – puisque ainsi le président est seul responsable – est de bénéficier et de retourner à leur avantage la force prescriptrice des médias : l’ensemble des corps politique, social et médiatique sont obligés de se déterminer par rapport aux initiatives du président, de commenter ses faits et gestes, de répondre à ses propositions. Barack Obama et Nicolas Sarkozy dirigent le débat démocratique comme un chef d’orchestre. L’impulsion vient toujours d’eux. Pour l’électeur, le président devient le point focal, le référent de la vie politique nationale. En France, Jacques Chirac avait théorisé et pratiqué la « parole rare » du président ; Nicolas Sarkozy, même si on constate une inflexion en cours de cette stratégie, fait le choix inverse et nourrit les médias d’une parole prolixe, désacralisée et sans cesse renouvelée. Comme Barack Obama, il fait le show : le président américain signe sous l’œil médusé des caméras un mot d’absence pour un petite fille ayant fait l’école buissonnière pour venir l’écouter ; le président français, peut-être moins habile, plus impulsif en tout cas, multiplie les paroles choc et triviales. Si certaines ont pu (à juste raison) choquer, elles ont l’avantage de donner à voir un président « comme tout le monde ». Et c’est là l’autre trait du choix de la surexposition médiatique, montrer ce que monsieur tout-le-monde a du mal à croire : que le président est un homme comme lui. Nicolas Sarkozy annonce sur un plateau de télévision en 2006 que « son couple, comme tous les couples, traverse une passe difficile », Barack Obama va déguster un hot-dog, l’air de rien, dans une rue de Washington…

Exercice du leadership médiatique, simplicité et accessibilité du « produit » : les règles du marketing s’adaptent à la politique pour convaincre le citoyen consommateur de faire le bon choix. Cela est particulièrement frappant dans le cas de Barack Obama. Dès avant sa candidature, la machine marketing s’est mise en route pour faire émerger une véritable « marque Obama » ayant vocation à la fois à faire oublier « l’ère Bush » et à imposer un discours, un vocabulaire, des concepts, une personnalité et son background. Les ressources de l’Internet furent mises à contribution : alors qu’il n’était pas encore lancé dans la course aux primaires démocrates, l’outsider était soutenu par une communauté « électronique » mise en réseau et multipliant pétitions en sa faveur et messages de soutien. C’est cette force venue de la base, mais habilement orchestrée et mise en valeur, qui a imposé sa candidature et l’a rendue crédible aux yeux de grands électeurs d’abord sceptiques. L’outil mybarackobama.com (prononcez MyBO…) en particulier constitue une modernisation politique sans précédent. Plus qu’un simple site Internet, il s’agit d’un réseau social et « participatif » permettant aux membres d’entrer en contact, de proposer des initiatives concrètes et de se réunir pour les réaliser. Moins politique que sociétal, l’outil permet au « président candidat » de faire venir à lui aussi bien les citoyens engagés que ceux qui se désintéressent de la politique mais qui « veulent agir ». C’est le triomphe de la politique mise au service de « la cause de la quotidienneté » (8).

Existe-t-il un « phénomène Obama » et un « phénomène Sarkozy » ?

A l’issue de ce rapide tour d’horizon des novations politiques qu’incarnent Barack Obama et Nicolas Sarkozy, interrogeons-nous sur les « phénomènes politiques » qu’ils constituent. Et marquons pour commencer une différence de taille : alors que l’engouement pour le nouveau président américain a tout de suite pris une dimension planétaire, la curiosité pour le président français est quant à elle demeurée à une échelle nationale et secondairement européenne.

Des phénomènes, donc, et d’abord dans les urnes. Tous deux ont en effet pu compter sur des victoires larges et sur des taux de participation remarquables. L’élection présidentielle française de 2007 a rassemblé près de 85% de l’électorat, niveau le plus élevé depuis l’après-guerre, et a garanti à Nicolas Sarkozy une victoire confortable à 53%. En ce qui concerne Barack Obama, son triomphe à la Maison Blanche fut qualifié d’historique avec 52% des votes en sa faveur et surtout avec un taux de participation estimé à 66%, score jamais atteint depuis 1908 dans un pays habitué à ne voir qu’un tiers de l’électorat se déplacer aux urnes. Cette mobilisation dans les deux pays montrent que les deux candidats ont su capter l’attention des électeurs, susciter leurs espoirs et recueillir leur confiance. Aux prophètes qui annoncent la « fin de la politique » dans nos démocraties avancées, il faut répondre qu’ils se sont trompés ou plus exactement que les nouvelles formes de la politique, sociétales et horizontales, semblent convenir aux attentes des populations.

Phénomène encore, aux Etats-Unis, avec l’image véritablement messianique que certains ont donné à Barack Obama. Son élection, événement de politique intérieure américaine, a donné lieu à des manifestations de joie et de sympathie à travers toute la planète, en Afrique, en Asie comme en Europe. Les Européens se sont particulièrement distingués par une ferveur« obamaniaque » unanime, engouement presque irrationnel n’exprimant aucune exigence particulière envers le candidat victorieux. Des sondages étonnant indiquaient que, s’ils avaient voté, les Européens auraient élu Barack Obama à 69%… Les Français à 95%. Comment expliquer un tel phénomène ? Encore une fois, tout d’abord par le rejet de son prédécesseur. L’Amérique détestée de Georges W. Bush laissait place à une Amérique enfin aimable et fraternelle. Mais un ressort puissant dut aussi être une sorte de mauvaise conscience mêlée de fascination : les Etats-Unis sont parvenus, avant l’Europe, à atteindre un objectif qui paraissait impossible en élisant un président noir. L’élection de Barack Obama fait figure d’exploit politique et sociétal.

A côté d’un tel phénomène, l’élection de Nicolas Sarkozy, déjà presque ancienne, paraît un événement plus terne, plus classique et plus strictement national. Il sut certes incarner le renouveau du discours et de la pratique politiques mais ce sont des caractéristiques qu’on dira « traditionnelles » (en particulier son expérience des affaires de l’Etat) qui lui permirent de faire la différence avec sa rivale Ségolène Royal. A quoi il faut ajouter qu’à la différence de Barack Obama il n’incarnait pas dans sa chair et son histoire personnelle une novation radicale. Le « phénomène Sarkozy » fut donc pour l’essentiel affaire de style et de manière de se conduire. On peut juger qu’il eut bel et bien sa réalité en France mais sur des bases moins spectaculaires et médiatiquement moins exploitables. On peut de plus considérer qu’il a fait long feu – ce dont le président semble avoir lui pris conscience depuis qu’il a modifié quelque peu son comportement public et sa stratégie médiatique (9). A cela s’ajoute un contexte politique et économique de crise qui a sans doute porté préjudice à l’action présidentielle en faisant la démonstration qu’« il ne pouvait pas tout ». De son côté, Barack Obama a certes entamé son mandat en mobilisant un capital sympathie phénoménal, mais au bout de six mois les courbes des sondages commencent à fléchir… Signe peut-être que si les nouvelles manières de faire de la politique qu’incarnent les deux présidents sont efficaces pour gagner, elle le sont moins, face aux défis du réel, pour durer.

Notes •

(1) Pour Barack Obama, sondage Gallup/USA Today, 22 juillet 2009 ; pour Nicolas Sarkozy, sondage LH2/Libération, 12 novembre 2007.

(2) Voir http://www.barackobama.com/issues/index_campaign.phppour Barack Obama et http://www.sarkozy.frpour Nicolas Sarkozy.

(3) Voir www.mybarackobama.com.

(4) Jean-Marc Ferry, « Les Transformations de la Publicité Politique », revue Hermès, 1989, N°4, pp.15-26, disponible sur http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/2042/15352/1/HERMES_1989_4_15.pdf.

(5) « Moderniser la vie politique : innovations américaines, leçons pour la France », Terra Nova, janvier 2009, disponible sur http://www.tnova.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=560.

(6) Voir Louis-Jean Calvet et Jean Véronis, Les mots de Nicolas Sarkozy, Le Seuil, 2008.

(7) Pour un diagnostic complet de l’action du président français, voir le « Baromètre des réformes de Nicolas Sarkozy », Institut Thomas More, mai 2009, disponible sur http://www.barometre-sarkozy.com/.

(8) Chantal Delsol, La République, une question française, PUF, 2002, p. 141.

(9) Voir notamment « Sarkozy, face à l’Obs », entretien, Le Nouvel Observateur, 2-8 juillet 2009.