7 décembre 2009 • Opinion •
Le report du sommet d’Istanbul, qui devait réunir les ministres des affaires étrangères euro-méditerranéens les 24 et 25 novembre prochain, suite à un contentieux israélo-égyptien, est un échec retentissant pour l’Union pour Méditerranée (UpM). Lancée en grande pompe par Nicolas Sarkozy en juillet 2008, les interrogations persistent sur l’avenir de l’UpM : entre blocages politiques, difficultés institutionnelles et doutes persistants de nombreux partenaires européens, l’UpM patine et est au bord de la sortie de route. Bloquée au plus haut niveau, elle s’en retrouve bloquée à sa base (au niveau des projets), limitant de facto leur foisonnement, leur financement et la confiance en une réelle efficacité et crédibilité de l’institution. Un constat qui mérite cependant d’être nuancé, puisque même privés de réunions, certains projets voient tout de même le jour, d’autres ont été clairement identifiés, certains sont en discussion, et différents bailleurs de fonds sont déjà mobilisés.
D’autant que l’opportunité d’un tel projet reste totale puisque l’idée initiale part de trois constats justes : le premier est économique et commercial et établit que la région sud de la Méditerranée s’est marginalisée et périphérisée dans l’économie mondiale ; le deuxième fait état d’un vide institutionnel puisqu’aucune organisation ne réunit jusqu’à présent tous les pays du pourtour autour d’une même table au plus haut niveau ; le troisième souligne le manque de volonté politique, d’appropriation et de responsabilisation dans les pays du sud de la Méditerranée.
Mais la question cardinale qui doit être posée est de savoir si l’UpM, qui remplace le processus de Barcelone, améliore véritablement ce processus, puisque certains projets peuvent évoluer de manière positive sans le volet politique instauré par l’UpM. Pis, l’UpM semble nuire au développement de projets qui auraient pu voir le jour sans son existence, c’est-à-dire sans les conflits politiques qu’elle est susceptible de créer dans un contexte déjà tendu – on pense en particulier au conflit israélo-arabe. Le boycott de la réunion d’Istanbul par le ministre égyptien des affaires étrangères (du fait de la présence du ministre israélien Lieberman), source du report du sommet, en est l’exemple patent : l’UpM passe à côté de concrétisations importantes du fait de discordes diplomatiques.
Les avantages et les risques de la nouvelle approche politique sont bien connus : en voulant responsabiliser les Etats membres en élevant sa légitimité politique, l’UpM est devenue intégralement dépendante du contexte politique régional et international, et en ressort donc nécessairement affaiblie. Les effets de la crise de Gaza sur l’UpM ont d’ailleurs été immédiats. D’autant que l’idée selon laquelle on pourrait coopérer économiquement de manière approfondie et durable sans avoir trouvé la paix au préalable est un pari audacieux. L’Union européenne, elle, est d’abord passée par une phase de réconciliation avant d’engager la coopération par le charbon et l’acier. La thèse selon laquelle la Méditerranée pourrait se réconcilier en coopérant sur des questions énergétiques, environnementales, universitaires et sociétales apparaît un pari à haut risque.
Des propositions méritent cependant d’être avancées afin de surmonter les obstacles auxquels l’UpM est confrontée. A la politisation excessive de l’institution doit être intégrée l’idée de dépolitiser et d’apolitiser ses structures opérationnelles par la nomination de personnalités issues du monde privé ou entrepreneurial. Ensuite, le cantonnement de l’UpM à l’Elysée tend à devenir un handicap et pèse sur le bon fonctionnement de celle-ci : elle doit continuer le travail permanent de négociation et de conviction avec les partenaires européens et devra s’accommoder avec la nouvelle gouvernance européenne imposée par le traité de Lisbonne, donc « passer la main » au haut représentant et aux autres présidences. Enfin, peut-être faut-il avoir l’audace, et l’honnêteté, de reconnaître qu’une institution comme celle-ci ne peut fonctionner qu’avec moins de pays-membres et dans une logique subrégionale de coopérations renforcées, en revenant à des formules plus simples du type « 5+5 ». L’UpM doit tirer les leçons d’organisations à vocation régionale similaires lancées au nord ou à l’est de l’UE et de l’histoire européenne, passée par la paix et la réconciliation, avant d’engager la reconstruction et la coopération.
Si la France, l’Europe et les pays méditerranéens veulent d’abord sauver l’UpM, il faut sortir de la vision idéaliste qui voit la Méditerranée comme une seule et même région, alors qu’elle est avant tout un espace complexe composé d’au moins trois sous-espaces différents, difficilement appréhendable selon une même approche. L’Union du Maghreb ou du Machrek sont déjà utopies sans grande réalité concrète. Il convient, en prenant enfin les bonnes décisions opérationnelles, de tout faire pour que l’Union pour la Méditerranée ne prenne pas le même chemin.