11 juin 2010 • Analyse •
Au début de l’année 1979, l’atypique révolution menée par l’imam Khomeiny, révolution simultanément cléricale et gauchisante, a mis en place un régime islamique dont les orientations et les pratiques internationales sont tout autres que celles de l’Iran impérial, un temps dans l’orbite occidentale, de l’éviction de Mossadegh, en 1953, jusqu’à la chute du Shah. Malgré la disparition du Guide Suprême (l’imam Khomeiny), en 1989, la révolution iranienne n’a pas connu son « Thermidor » et elle n’en finit pas de développer ses effets négatifs. Forgé sur fond de fraudes électorales et de violences politiques internes, en juin 2009, l’axe politico-idéologique entre l’actuel Guide Suprême, Ali Khamenei, et le Président de la République, Mahmoud Ahmadinejad, radicalise plus encore un régime qui est au coeur d’une grave crise diplomatico-nucléaire. Cette crise, sur fond de contestations politiques internes, doit être saisie selon différents niveaux d’analyse.
Une « puissance pauvre » en marche vers l’atome guerrier
L’effondrement du régime impérial et l’accès au pouvoir de l’imam Khomeiny ont d’emblée engagé l’Iran dans une voie révolutionnaire radicale mêlant des éléments hétérogènes, religieux et tiers-mondistes. La prise d’otages de l’ambassade américaine, en novembre 1979, inaugure une « seconde révolution » (selon les termes mêmes de Khomeiny) et depuis, l’Iran islamique est sous l’effet de sanctions internationales, renforcées ensuite par le Congrès des Etats-Unis (D’Amato-Kennedy Act, 1996). Les trois résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies adoptées de 2006 à 2008, avec pour objectif de refouler les ambitions balistico-nucléaires de Téhéran, sont venues renforcer cet arsenal (1). Bien que les sanctions internationales aient mis à mal la croissance économique et le développement, l’Iran n’en fait pas moins figure de puissance régionale.
L’Iran est un vaste pays (1 648 000 km²), fortement peuplé (74 millions d’habitants), aux racines historiques anciennes (la Perse de l’Antiquité). La conscience historique et plus encore la spécificité religieuse (Islam chiite) nourrissent les ambitions extérieures du régime et des dirigeants. La diversité ethnique de la population iranienne – 7 millions de Kurdes, 6 millions d’Azéris, 800 000 Arabes, entre autres (voir aussi les Baloutches, les Turkmènes, etc.) est compensée par sa forte homogénéité religieuse, le chiisme d’Etat fondant la singularité de l’Iran dans le monde arabo-musulman (2). Doté d’importantes réserves d’hydrocarbures, l’Iran mène un programme nucléaire dont la dimension strictement civile est contestée par la « communauté internationale », représentée en l’occurrence par le Conseil de sécurité des Nations unies et l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique).
Lancé à l’époque du Shah, le programme nucléaire civil(3) a souffert du chaos révolutionnaire mais, dès le milieu des années 1980, le régime islamique a développé des liens occultes avec le Pakistan, un Etat que l’on sait engagé dans d’actives logiques de prolifération. Le 14 août 2002, le Conseil national de la révolution iranienne (le CNRI est une émanation des Moudjahidine du Peuple, un groupe d’opposition clandestin) révèle l’importance de l’« archipel nucléaire » iranien avec notamment le site de Natanz, tourné vers l’enrichissement de l’uranium et le réacteur à eau lourde d’Arak (filière du plutonium). Menée en bonne intelligence avec les Etats-Unis, l’action diplomatique de l’Union européenne (UE) a pu momentanément aboutir au gel provisoire du programme nucléaire mais la marche en avant a très vite repris, trois mois après la signature du protocole additionnel du TNP sur les inspections intrusives (signé le 18 décembre 2003).
Parallèlement, les essais balistiques (le « Shahab 3 » et ses versions modifiées) et la mise sur orbite d’un satellite ont mis en évidence la puissance des lanceurs iraniens (4) : l’ensemble du Moyen-Orient et l’Europe du Sud-Est sont à leur portée. Les menaces de destruction à l’encontre d’Israël proférées par Mahmoud Ahmadinejad peuvent d’autant moins être ignorées que Téhéran fournit des fusées au Hezbollah libanais, comme au Hamas palestinien, armes offensives dont ces mouvements islamistes ont fait un large usage ces dernières années. Aussi la question nucléaire iranienne constitue-t-elle un défi majeur pour la sécurité de ses voisins et des puissances occidentales, légitimement soucieuses de garantir le libre accès au golfe Arabo-Persique et le pluralisme géopolitique du Moyen-Orient (5).
Le bouleversement des équilibres moyen-orientaux
La volonté de Téhéran d’accéder à la maîtrise de la filière nucléaire et la forte probabilité de la dimension militaire de ce programme (les rapports des services occidentaux et ceux de l’Agence internationale de l’énergie atomique convergent) soulèvent bien des questions quant aux objectifs ultimes de l’Iran islamique et, consécutivement, aux vertus supposées automatiques de la dissuasion nucléaire. En effet, les règles de la dissuasion (« dissuader » signifiant empêcher de passer à l’acte) ne sont pas des lois de nature qui s’imposeraient inexorablement à tous les acteurs géopolitiques nucléarisés, indépendamment des hommes au pouvoir et de leurs ressorts (idéologiques ou autres), de la nature du régime et du contexte géopolitique dans lequel il s’inscrit (6). Le débat doit être géopolitiquement situé : qui dissuade qui, de quoi et dans quel contexte ? Ainsi certains experts pensent-ils que l’Iran islamique pourrait développer une stratégie de coercition nucléaire, avec usage de l’arme nucléaire comme moyen d’action (et non de dissuasion), ou encore une stratégie de « sanctuarisation agressive », mise au service d’une politique d’hégémonie déployée depuis le golfe Arabo-Persique jusqu’à la Méditerranée orientale. Abrité par la menace de recourir à l’arme nucléaire en cas de représailles, le régime pourrait recourir en toute impunité au terrorisme.
La perspective d’un l’Iran nucléarisé entre en résonance avec le thème de l’ « arc chiite », une représentation géopolitique très prégnante dans les régimes arabes-sunnites du Moyen-Orient (7). A l’abri de son parapluie nucléaire, Téhéran pourrait instrumentaliser les Chiites d’Irak, du Golfe et du Liban, voire d’Afghanistan, pour déstabiliser les monarchies conservatrices du Golfe et une large part du « Grand Moyen-Orient » (de la Méditerranée orientale à l’Afghanistan). Quant aux liens avérés de Téhéran avec le Hamas palestinien (sunnite), qui tient la bande de Gaza, ils préfigureraient la formation d’un front panislamique révolutionnaire. La nature du régime et ses orientations ne sont pas seuls en cause. Indépendamment de la question des hommes au pouvoir à Téhéran et de leurs pratiques, la nucléarisation de l’Iran pourrait en retour accélérer les logiques de prolifération au Moyen-Orient. Outre la Syrie, des pays comme l’Arabie Saoudite (très liée au Pakistan) et l’Egypte envisageraient de contrebalancer le potentiel iranien par leurs propres capacités nucléaires, qu’il leur faudrait dès lors acquérir (8). Bien que membre de l’OTAN et candidate à l’Union européenne, la Turquie serait, elle aussi, susceptible d’emprunter cette voie, ce qui remettrait en cause le TNP (9).
L’Occident face au nucléaire iranien
Face à la menace d’un Iran nucléarisé, avec les effets en retour de ce scénario du pire, les puissances occidentales ne sont pas restées inertes. Dès 2003, la négociation avec l’Iran est amorcée par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne (l’UE-3) – avec l’accord de Washington –, au nom du « 5+1 » (les membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne). Venant après l’affaire irakienne, les chancelleries européennes voulaient aussi démontrer à Washington les vertus de l’art diplomatique et du pouvoir d’influence (le « soft power »). Force est de constater que la phase européenne de la négociation n’a pas atteint ses objectifs et il est très vite apparu que Téhéran recherchait le contact direct avec Washington, ce qui a nourri l’espoir d’un vaste « deal » américano-iranien permettant de sortir par le haut de cette crise rampante ; l’Iran pourrait accepter de renoncer à son programme d’enrichissement moyennant la normalisation de ses rapports diplomatiques avec les Etats-Unis et la reconnaissance de son rang de puissance régionale.
Pourtant, la politique de la « main tendue » de Barack Obama n’a pas porté ses fruits. Au début de l’année 2010, l’Iran a refusé les propositions du « groupe de Vienne » (Etats-Unis, France, Russie) élaborées en octobre 2009 : un plan de transfert du stock iranien d’uranium enrichi (à 3,5%) en Russie et en France, sous supervision de l’AIEA, moyennant la livraison par ces pays d’un uranium enrichi à 20% (à l’extérieur du territoire iranien), spécifiquement destiné à des applications scientifiques (pour le réacteur à finalité médicale de Téhéran) (10). En février 2010, les dirigeants iraniens ont décidé d’amplifier leur programme d’enrichissement pour atteindre le seuil de 20%, une étape décisive vers l’obtention du matériau nécessaire à la fabrication d’une arme nucléaire (elle requiert un uranium enrichi à 93%).
Brandie dès les débuts de la crise, l’option militaire reste d’actualité mais le bombardement des sites nucléaires iraniens pourrait ouvrir un troisième front, en addition à ceux de l’Irak et de l’Afghanistan, déstabilisant plus encore l’ensemble du Grand Moyen-Orient. Aussi les Occidentaux cherchent-ils à rallier la Russie et la Chine à une politique de sanctions renforcées. Moscou et Pékin ont certes voté les précédentes résolutions des Nations unies qui exigent de Téhéran l’arrêt de son programme mais après avoir largement vidé les sanctions internationales de leur contenu. Dans la géopolitique eurasienne, l’Iran est un pays clef avec lequel Moscou entretient des liens étroits, sur les plans militaire (ventes d’armes), énergétique (coopération nucléaire civile ; vague projet d’ « OPEP du gaz ») et diplomatique.
Quant à la Chine, elle importe de gros volumes de pétrole depuis le golfe Arabo-Persique et investit dans le secteur pétrolier iranien. A Pékin comme à Moscou, on éprouve aussi la tentation de se poser sur le fléau de la balance. Le jeu occidental consiste donc à s’assurer le soutien de la Russie pour convaincre la Chine de ne pas s’isoler du concert des puissances et isoler ainsi l’Iran. La partie est complexe et il s’agit d’obtenir une couverture internationale pour développer en parallèle, avec un nombre réduit d’Etats volontaires, des sanctions renforcées dites « sanctions paralysantes ». Le 9 mai 2010, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité ont voté la résolution 1929, avec le soutien de la plupart des membres non-permanents (la Turquie et l’Irak ont voté contre ; le Liban, où pèse le Hezbollah, s’est abstenu) (11).
L’irruption du « sud émergent » dans la diplomatie nucléaire
Bien que repoussée par le « groupe de Vienne », l’initiative turco-brésilienne du 17 mai 2010 inaugure l’irruption du « Sud émergent » dans le champ de la diplomatie nucléaire, jusqu’alors sous le contrôle d’un oligopole de grandes puissances historiques. A rebours de leurs étroites relations avec les Etats-Unis, Ankara et Brasilia ont proposé à Téhéran de transférer sur le territoire turc une partie de l’uranium enrichi moyennant la livraison d’uranium à vocation médicale (enrichi à 20%), sans obtenir pour autant que Téhéran obtempère aux résolutions des Nations unies (cessation du programme iranien d’enrichissement) (12). Aussi les pays membres du « 5+1 » ont-ils souligné les lacunes de cet accord et accéléré leurs négociations sur le texte d’une nouvelle résolution prévoyant un embargo (sélectif) sur les ventes d’armes à destination de l’Iran (13).
Des officiels américains ont regretté la légèreté de la diplomatie brésilienne, non sans réactions à Brasilia où l’on aspire à un rôle diplomatique mondial plus en phase avec le rang de « Global Trader » qui est celui du Brésil (la France, soucieuse de vendre ses « Rafale », a remercié le Président Lula pour son action diplomatique …). Quant à la diplomatie turque, le rapprochement opéré en direction de l’Iran pose question, tant au sein de l’OTAN que de l’UE. La Turquie semble sortir de l’orbite occidentale pour privilégier une voie qualifiée de « « néo-ottomane » (l’appellation est contestable dans le détail mais exprime bien les ruptures à l’œuvre avec l’orientation occidentale d’Ankara au cours de la Guerre froide et dans les années 1990 encore).
De l’Egypte à l’Afrique du Sud et du Nigeria à l’Indonésie, nombre de pays relevant du « Sud » marquent leur hostilité aux initiatives occidentales contre la prolifération nucléaire, dénoncent ce qu’ils considèrent être une politique du « deux poids, deux mesures » et stigmatisent l’Etat hébreu, bien qu’Israël ne soit pas signataire du traité de non-prolifération, contrairement à l’Iran qui enfreint des obligations librement contractées (on remarquera par ailleurs la discrétion vis-à-vis de deux autres puissances nucléaires non signataires du TNP : l’Inde et le Pakistan). Réunie en mai 2010, la conférence du TNP a mis en évidence cette version nucléaire du clivage Nord-Sud : le statut d’Etat nucléaire des puissances historiques, moyennant l’engagement de ces Etats à pratiquer le désarmement, est plus ou moins vigoureusement contesté.
Ces faits soulignent la dimension tiers-mondiste et nationaliste-radicale du régime islamique iranien qui, au-delà de l’axe Cuba-Venezuela-Bolivie, bénéficie de soutiens non négligeables dans l’ensemble du « Sud ». Nombre de dirigeants de ce que l’on appelait il y a peu encore le Tiers-monde voient en Téhéran le champion de l’indépendance et de la souveraineté des Etats postcoloniaux (14). Il serait erroné de sous-estimer la puissance des ressentiments historiques à l’égard de l’Occident (voir le déferlement de haine ouverte contre Israël, sans équivalent vis-à-vis de divers régimes meurtriers et liberticides) et, en retour, la sympathie des opinions publiques de ces pays pour la cause nucléaire iranienne. A cet égard, les positions respectives de la Turquie et du Brésil – des pays réputés amis, historiquement situés à la périphérie du système occidental –, sont significatives.
Vers une épreuve de force ouverte
L’horloge politique interne sera-t-elle plus rapide que l’horloge nucléaire ? Voilà un an déjà, Mahmoud Ahmadinejad se maintenait au pouvoir à l’issue d’élections frauduleuses, avec le parrainage du Guide Suprême et l’appui militaro-policier des Pasdarans (relayés par les milices de Bassidjis), la colonne vertébrale d’un régime qui recourt à la violence armée contre ses citoyens. A ce jour, la « révolution verte » n’a pu ébranler le pouvoir en place (des troubles ponctuels en lieu et place d’une révolution) et il serait illusoire de compter sur une divine surprise interne qui permettrait de faire l’économie de l’épreuve de force avec les idéologues radicaux qui tiennent l’Iran.
Cette quatrième résolution n’est qu’une nouvelle étape dans les développements d’une crise qui pourrait bien se muer en un conflit ouvert. Dans une telle perspective, il serait hâtif de miser sur les vertus de l’unanimisme et du multilatéralisme ; les fragiles équilibres atteints au sein de la dite « communauté internationale » pourraient ne pas résister aux vents mauvais. L’axe euro-atlantique, sur la question iranienne comme sur d’autres enjeux, doit être consolidé plus encore. Les décisions du prochain Conseil européen sur la question des sanctions additionnelles, le 17 juin 2010, seront à suivre au plus près.
Notes •
(1) Le 31 juillet 2006, la résolution 1696 exige la cessation de l’enrichissement de l’uranium et menace l’Iran de sanctions internationales. Suivent les résolutions1737 (23 décembre 2006) et 1803 (3 mars 2008).
(2) C’est au XVIe siècle, après l’arrivée au pouvoir de la dynastie des Séfévides, que le chiisme devient religion d’Etat, en 1501. Avant que cette dynastie ne se fasse le champion de l’idée nationale perse, l’Iran est majoritairement sunnite. L’Empire Séfévide se forme en réaction à l’Empire Ottoman, sunnite, qui fait de l’arabe et du turc les langues officielles. Face aux Ottomans, les Séfévides font du persan la langue officielle, du chiisme la religion officielle, et un clergé d’Etat de théologiens-juristes est reconnu par le pouvoir. Aujourd’hui, la population iranienne est à 90% chiite.
(3) Les accords entre les Etats-Unis et l’Iran sur le nucléaire civil (programme américain « Atom for Peace », 1953) datent de 1957. Pays fondateur du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), signé le 1er juillet 1968, l’Iran a officiellement renoncé à l’arme nucléaire. L’Iran impérial est ensuite partie prenante de l’ambitieux programme Eurodif, à l’origine d’un contentieux aux effets meurtriers entre Paris et Téhéran sous Khomeiny.
(4) Le 3 février 2009, l’agence iranienne Irna annonce la mise sur orbite du satellite Omid (« Espoir ») au moyen de la fusée Safir-2 (« Ambassadeur »). L’Iran se pose en nouvelle puissance spatiale du Moyen-Orient, avec Israël. Ce lancement spatial atteste de la capacité iranienne à construire des missiles balistiques de longue portée (le lanceur Safir est une version améliorée du Taeopodong nord-coréen).
(5) Le dispositif militaire américain dans le Golfe, renforcé par de nouveaux déploiements de systèmes antimissiles pour réaffirmer la protection des régimes arabes-sunnites de la région, a été complété par l’ouverture d’une base interarmées française à Abu-Dhabi.
(6) Rappelons simplement les affrontements armés indo-pakistanais du printemps 1999, un an après les essais nucléaires croisés de New Delhi et Islamabad. L’existence de part et d’autre d’armes nucléaires n’a pas incité les deux capitales à l’abstention militaire et ce sont les fortes pressions américaines qui ont imposé la retenue.
(7) Historiquement, le chiisme est né dans le monde arabe et l’on trouve d’importantes communautés chiites en Irak (60% de la population), au Liban (40%), au Bahreïn, au Yémen, au Qatar, au Koweït et en Arabie Saoudite (15%). On trouve aussi des Chiites en Azerbaïdjan (ils y sont majoritaires), au Pakistan, en Afghanistan et, dans une moindre mesure, en Inde et en Asie centrale. Ces communautés se divisent en divers groupes qui ne reconnaissent pas les mêmes imans et ne suivent pas les mêmes pratiques.
(8) L’Egypte soutient le projet de « Moyen-Orient exempt d’armes nucléaires » (une perspective plus ou moins entérinée lors de la conférence sur le TNP, en mai dernier) mais l’idée d’une nucléarisation de la posture stratégique nationale a été officiellement débattue au parlement, en 2009. Commencées dans les années 1950, les activités nucléaires iraniennes ont attiré l’attention de l’AIEA mais Le Caire refuse tout régime d’inspection renforcé. Quant à la Syrie, alliée de l’Iran, elle est aussi soupçonnée d’activités nucléaires clandestines et l’aviation israélienne a bombardé le site d’Al-Kibar (un réacteur nucléaire de technologie nord-coréenne), le 6 septembre 2007, dans le désert syrien.
(9) Lors d’une visite de Dmitri Medvedev à Ankara, le 12 mai 2010, la Russie et la Turquie ont signé un contrat de 16 milliards d’euros pour la construction d’une centrale nucléaire turque, près de Mersin, sur la côte méridionale turque. L’agence fédérale russe de l’atome, Rosatom, sera chargée d’y exploiter 4 réacteurs nucléaires.
(10) Ce plan de règlement de la crise nucléaire iranienne a été présenté à Vienne le 21 octobre 2009. Téhéran accepterait de transférer 70% de son stock d’uranium enrichi (à moins de 5%) – soit 1200kg sur 1500 kg – en Russie puis en France, pour enrichissement à 20% et transformation en combustible.
(11) Cette quatrième résolution limites les investissements extérieurs iraniens, autorise l’inspection de navires iraniens en haute mer, interdit les importations de huit types d’armement et frappe une quarantaine d’entreprises et de banques liées aux Pasdarans, au complexe nucléaire et au secteur militaro-industriel. L’un des principaux responsables de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique ne pourra plus voyager à l’étranger. Ces sanctions ne concernent pas les missiles antiaériens russes S-300 et ne prévoient pas d’embargo sur l’essence (40% de l’essence iranienne est importée, faute d’investissements dans les infrastructures). Il ne s’agit donc pas de « sanctions paralysantes »susceptibles de faire reculer le régime iranien et ce malgré plus de deux années de pénibles négociations avec la Russie et la Chine, entre mars 2008 et juin 2010.
(12) Il s’agissait donc d’une version édulcorée des propositions formulées par le « groupe de Vienne » le 10 octobre 2009, cette version ne tenant pas compte du fait que le stock iranien d’uranium enrichi s’était entre-temps accru d’une part, que l’Iran avait réaffirmé d’emblée ne pas arrêter son programme d’enrichissement d’autre part.
(13) En cela, on peut considérer que cette manœuvre de dernière minute, qui a indisposé la Russie comme la Chine (soucieuses de ne pas voir leur statut de grande puissance entamé par des pays du « Sud émergent »), aura paradoxalement accéléré certains reclassements sur la question iranienne. En définitive, l’Iran se trouve plus isolé qu’il y a quelques semaines, encore que Moscou et Pékin aient pris soin de ne pas remettre en cause leurs relations propres avec Téhéran (Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de Russie, a explicitement souligné que les S-300 pourraient être livrés à l’Iran, en tant qu’armes défensives). Le jeu de ces puissances tierces et pour le moins ambiguë et consiste à lier diplomatiquement Washington ainsi que les capitales occidentales tout en maintenant d’autres fers au feu en Iran, au Moyen-Orient (voir les liens croissants entre Moscou et Ankara) et dans l’ensemble eurasiatique.
(14) Rappelons cependant que la Perse n’a pas été colonisée, en dépit de la forte influence anglaise et russe, puis soviétique, dans la première moitié du XXe siècle.