Bahreïn · Lutte d’influence dans le golfe Arabo-persique

Antonin Tisseron, chercheur associé à l’Institut Thomas More

18 avril 2011 • Analyse •


Les difficultés des autorités tunisiennes et égyptiennes à construire un gouvernement et à clore la période de bouleversements politiques rappellent que, derrière le temps court de l’irruption du peuple dans la rue, les révoltes et les révolutions s’inscrivent dans des processus de longue durée. Le royaume de Bahreïn, secoué par quatre semaines de manifestations entre février et mars, ne fait pas exception. Aussi bien les mécontentements que la réaction des monarchies sunnites et de l’Iran doivent être replacés dans une géohistoire régionale. On ne peut, sans cela, comprendre les enjeux et les motivations sous-jacents à l’intervention dans le royaume de Bahreïn, le 14 mars, de 1 000 soldats saoudiens et de 500 policiers émiratis de la force conjointe du Conseil de coopération du Golfe.

Alors que depuis le 14 février Bahreïn était l’objet de manifestations, cette intervention visait à mettre fin aux troubles, à empêcher leur extension et un royaume allié de basculer dans l’orbite de Téhéran. Nombre de religieux chiites exerçant à Bahreïn ont en effet été formés en Iran. Surtout, la politique étrangère iranienne constitue une source de préoccupation pour les monarchies sunnites, dont le programme nucléaire n’est que le principal élément. Depuis la mort de l’imam Khomeiny – l’Iran se voulait alors le leader mondial de la révolution islamique au nom du pan-chiisme –, Téhéran a en effet développé avec efficacité et pragmatisme son influence vers le Proche Orient, l’Asie Centrale, le Caucase ou encore le Sahel, non sans soutenir d’ailleurs des mouvements sunnites, tout en modernisant son outil militaire.

Loin d’avoir apaisée la situation, l’intervention saoudienne et émiratie a cependant fait monter d’un cran la tension dans le Golfe. De plus, pour Téhéran, l’intervention saoudienne et émiratie a offert l’opportunité de stigmatiser la politique de ses voisins et des États-Unis. Malgré les distances prises par une diplomatie américaine appelant les pays de Conseil de coopération des États arabes du Golfe à faire preuve de retenue et à agir de manière à soutenir le dialogue, l’Iran a dénoncé derrière l’intervention des États du Golfe le rôle des États-Unis dans la région, renforçant ainsi sur la scène régionale son image d’un pays défenseur de la rue arabe contre les tentatives hégémoniques extérieures, tout en nourrissant une dynamique interne de mobilisation. Quelques jours après l’intervention des troupes saoudiennes, le consulat saoudien à Mashhad, dans le nord-est de l’Iran, était d’ailleurs attaqué par plusieurs centaines de manifestants.

Pire, l’intervention du Conseil de coopération du Golfe ne règle en rien la question des nécessaires réformes à Bahreïn et risque de voir posée une chape de plomb sur les propositions de réformes faites par la monarchie en février et mars. Alors que le nombre d’emplois demeure insuffisant et que les chiites s’estiment l’objet de discriminations, la Constitution est en effet fortement critiquée par une grande partie de la population. Malgré l’approbation par les Bahreïnis, au cours d’un référendum, d’une Charte d’action nationale prévoyant une démocratisation du système politique et des amendements à la constitution de 1973, le roi promulgua en février 2002 une nouvelle constitution lui permettant notamment de légiférer par décret et de nommer la moitié des parlementaires. Ce n’est pourtant qu’avec un climat pacifié que les réformes économiques et sociales entamées par la monarchie pourront être poursuivies et attirer des investisseurs et des entreprises étrangères.

Faire revivre le souffle de la Charte d’action nationale de 2001 à Bahreïn est en cela l’un des meilleurs moyens d’associer sécurité, stabilité et développement dans la région, d’empêcher l’Iran d’accroître son audience auprès des populations du golfe et d’assister à une radicalisation des positions. Reste que la question des relations entre le pouvoir monarchique et les populations chiites, l’un des nœuds des troubles de février et mars à Bahreïn, dépasse le cadre de ce seul royaume. Ainsi en Arabie Saoudite, bien que le régime ait engagé un dialogue et reconnaît un certain pluralisme religieux, les chiites restent l’objet de discriminations et manifestent régulièrement dans la province orientale, où se trouvent les principales réserves de pétrole du royaume. À l’heure où le Yémen semble sombrer dans le chaos, la région n’a rien à gagner à perpétuer les processus de radicalisation et de violence, à Bahreïn ou ailleurs