Novembre 2011 • Analyse •
Intervention de Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More et chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis), lors du Forum MEDays, Tanger (Maroc), du 16-19 novembre 2011.
Je suis honoré de pouvoir traiter en ces lieux du rôle de l’OTAN en Méditerranée et souhaiterais tout d’abord remercier l’Institut Amadeus et les organisateurs de MEDays pour leur invitation. De par sa situation et son histoire, Tanger participe pleinement de ces problématiques atlanto-méditerranéennes.
J’ai parcouru avec soin le document-cadre de la matinée, plus spécifiquement celui de ce panel, pour tenter de bien délimiter le champ de cette intervention. L’ensemble des textes invite à une large réflexion sur le thème du « nouveau désordre mondial » ou sur celui du déclin de l’Occident. A propos de cette question, éminemment existentielle, je rappellerai simplement que l’idée de déclin est un puissant ressort dans l’histoire de l’Occident. Ce retour sur soi conduit à prendre la mesure de ses fautes, afin de se ressaisir : « Challenge and response ».
Dans la présente intervention, je privilégierai les trois points qui suivent : l’OTAN comme structure adéquate pour la coopération dans le Bassin méditerranéen ; le conflit afghan et ses contrecoups comme fil conducteur d’une « grande Méditerranée » composée de parties antagoniques; la capacité de l’OTAN et de ses Etats membres à se mettre à la hauteur des défis qui leur sont jetés.
Un « Dialogue Méditerranéen » à rehausser
Si l’on se met en quête d’une base solide et éprouvée pour organiser au plan multilatéral les relations politiques, stratégiques et militaires dans le Bassin méditerranéen, l’erreur serait de céder au constructivisme pour prétendre tout réinventer. Il faut partir de ce qui est, à savoir du « Dialogue Méditerranéen » (1994) mis en place entre l’OTAN et les PSEM (Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée). Laissons là nos réserves sur l’emploi du terme de « dialogue » pour désigner ce business diplomatique et militaire interétatique (l’anglais « dialog » serait peut-être mieux traduit par « concertation »). L’appellation officielle de cette instance de coopération sécuritaire renvoie à des formules souples et flexibles, adaptées à chaque partie prenante, et elle est potentiellement ouverte à de nouveaux pays. Ainsi se posera bientôt la question de la Libye, si les nouvelles autorités se montrent intéressées par la formule et témoignent de leur capacité à gouverner.
Dans un proche avenir, il faudra probablement travailler à rehausser le niveau de ce « dialogue » pour en faire un véritable partenariat, à l’instar de celui que l’OTAN a mis en place dans l’Est européen et l’hinterland eurasiatique (le Partenariat pour la Paix). Quoiqu’il en soit, l’importance de ce type de coopération – diplomatie de défense, réformes militaires et développement de l’interopérabilité – doit être soulignée. La coopération génère une confiance réciproque entre les participants et c’est là le fondement d’une plus grande stabilité au plan international, tout comme la confiance est à la source de la croissance et de la prospérité dans le domaine de l’économie. Ainsi l’idée émise par la diplomatie marocaine d’une « Charte méditerranéenne », charte qui serait élaborée en commun par l’OTAN et les PSEM, pourrait-elle jouer en ce sens.
De l’Afghanistan à la « Grande Méditerranée »
Le second point soulevé par le document-cadre porte sur l’issue incertaine du conflit afghan et ses possibles retombées à l’intérieur de la zone euro-atlantique comme dans le Bassin méditerranéen. Il faut ici insister sur le fait qu’il n’est pas question d’un repli pur et simple depuis ce théâtre d’opération. Présentement, l’OTAN passe d’une logique de contre-insurrection à une logique de contre-terrorisme, avec des but et objectifs politiques plus modestes et mieux circonscrits. L’« état final recherché » (le « but de guerre ») est l’instauration d’un niveau de sécurité permettant au gouvernement de prendre le relais et d’empêcher la reconstitution d’un émirat islamique, centre nerveux du terrorisme international. L’enjeu pour Kaboul et ses alliés est aussi d’être en mesure de pratiquer une sorte de défense de l’avant vis-à-vis de la zone « AfPak ». Ne nous dissimulons pas la difficulté de la chose. Sur la durée, un partenariat stratégique OTAN-Afghanistan est en cours de négociation et l’on ne saurait se désintéresser du devenir de ce pays.
Si l’on se place sur un plan plus général, la prise en compte de la situation en Afghanistan dans nos débats ouvre sur une vision large de l’ « espace-mouvement » méditerranéen, conformément à la géohistoire de Fernand Braudel et aux analyses géopolitiques d’Yves Lacoste. Il s’agit d’une « grande Méditerranée » qui s’étend bien au-delà de ses Etats riverains. Elle inclut les approches atlantiques du Bassin méditerranéen, le golfe Arabo-Persique et un Moyen-Orient élargi jusqu’à l’Indus et aux routes qui mènent à l’Asie centrale, ainsi que le Bassin de la mer Noire. Ces différentes régions sont solidarisées entre elles par des flux d’échange et de menaces, l’enjeu au plan intellectuel étant de développer une pensée à la fois large et précise de cet « espace-mouvement », des situations particulières mais aussi des liaisons et articulations entre ses parties. Toujours est-il que l’OTAN couvre ce vaste ensemble géopolitique à travers le « Dialogue méditerranéen », l’ « Initiative de Coopération d’Istanbul » (2004) dans le Golfe et diverses formes de coopération en mer Noire. Une « initiative maritime » axée sur la sécurité des flux semble requise, avec pour socle l’opération « Active Endeavour » lancée en 2001.
L’OTAN est bien plus qu’une alliance
Cela nous mène aux interrogations répétées sur le devenir de l’OTAN et la capacité des Etats membres à la perpétuer. D’emblée, nous rappellerons les scénarios excessivement pessimistes développés par les uns et les autres lors de l’engagement militaire en Libye. L’expérience a mis en évidence un certain nombre de lacunes capacitaires chez les alliés européens ainsi que la difficulté à élaborer un consensus fort autour d’une opération conduite sur un théâtre extérieur. Il n’en reste pas moins que cette opération a été menée à bien. L’OTAN a fait plus que survivre et elle s’est révélée indispensable dans son « grand Sud », aux approches géographiques de l’Europe. A cet égard, il faut comprendre que l’OTAN est beaucoup plus qu’une simple coalition défensive. Si l’article 5 sur la défense mutuelle est le cœur historique et fonctionnel de l’OTAN, cette dernière est aussi une communauté de sécurité entre Etats membres, un concert des nations euro-atlantiques et d’une plate-forme de coopération avec des pays tiers (les « partenaires »). De ce fait, l’OTAN constitue un formidable « actif » géopolitique pour ses membres qui y sont très attachés. Cet avantage comparatif l’inscrit dans la durée tandis que les logiques de situation poussent à un large investissement dans la « grande Méditerranée ».
Si l’Alliance est toujours l’instance multilatérale adéquate pour les questions militaires et sécuritaires, il faut pourtant se garder du « tout-OTAN », l’organisation atlantique ne pouvant couvrir la totalité du spectre des défis en Méditerranée, notamment sur le plan civil et économique. En ces domaines, l’Union européenne (UE) a ses ressources et avantages comparatifs propres. Il appartient donc à l’UE et à ses Etats membres – dont le plus grand nombre appartient aussi à l’OTAN –, de repenser leur commune politique de voisinage en Méditerranée, comme dans l’Est européen et le Sud-Caucase par ailleurs. Cette politique doit être plus ciblée sur les Etats engagés dans de véritables réformes politiques et économiques afin de promouvoir ensemble des formes étroites et poussées de coopération sur une base bilatérale. De fait, la Commission a amorcé le processus, avec le soutien du Conseil européen (voir les « communications » du 8 mars et du 25 mai 2011). Les temps nouveaux nous amènent donc à sortir du « méditerranéisme » creux et unitariste. Il ne s’agit plus, dans les rhétoriques du moins, de prétendre construire une nouvelle tour de Babel.
Pour conclure
Au final, une simple réflexion d’ordre général. Si l’on peut s’interroger sur la volonté et la capacité des puissances occidentales à « maintenir » et agir sur le monde, les faits montrent à l’évidence qu’il n’y a guère de nouveaux compétiteurs prêts à assumer des responsabilités internationales dépassant une lecture étroite et à court terme des intérêts nationaux-étatiques. C’est là une des limites du concept de « multipolarité ».
Je vous remercie de votre attention.