24 novembre 2011 • Opinion •
Antonin Tisseron vient de publier l’étude Élections législatives du 25 novembre au Maroc : Enjeux pluriels et attentes autour d’un scrutin.
Le 14 novembre dernier, les résultats définitifs des élections tunisiennes du 23 octobre ont été rendus publics. Avec 89 sièges dans l’Assemblée constituante sur 217, les islamistes modérés du parti Ennahda arrivent largement en tête, suivis par le parti de gauche du Congrès pour la République (29 sièges) et le mouvement « Pétition populaire » (26 sièges). En Tunisie, mais aussi en Egypte et en Libye, les basculements de pouvoir constituent en effet une opportunité historique de gouverner pour des partis et mouvances écartées du pouvoir voire pourchassés et emprisonnés, mais dont l’influence est restée à peu près intacte. Ainsi en Tunisie, Ennahda a su conserver ses réseaux sociaux de proximité malgré la répression du régime de Zine el-Abidine Ben Ali, lui permettant de disposer de représentants dans la quasi-totalité des villes et villages tunisiens.
Si le Maroc n’échappe pas à la progression des thèses islamistes, il présente toutefois un visage très différent de ses voisins nord-africains. Ainsi, alors qu’Ennahda symbolise la fin de l’ordre ancien et la nouvelle Tunisie, le principal parti islamiste marocain, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), dispose de représentants élus depuis plusieurs années. Mieux, en tant que principal parti d’opposition avec une quarantaine de députés lors des élections législatives en 2002 puis en 2007, il participe à la vie politique nationale et locale, gérant notamment plusieurs municipalités. Deuxième différence, les dernières élections marocaines ont montré une scène politique très fragmentée, bien plus que celles de pays comme la Tunisie et la Turquie. En 2002, les quatre principaux (sur les vingt-six qui se sont alors présentés) totalisaient à peine plus de la moitié des 325 sièges. Cinq ans plus tard, le parti arrivé en tête, l’Istqlal, occupait 52 sièges, suivi du PJD avec 46 sièges.
Dans un paysage politique régional en reconfiguration et sur fond d’attentes encore fortes, les islamistes marocains devraient bénéficier de l’effet d’entrain liés à la situation régionale. Cependant, l’hypothèse d’un raz-de-marée des électeurs en faveur du PJD sous l’effet du « printemps arabe » doit être replacée dans une histoire des pratiques et des implantations. Les résultats électoraux des législatives de 2007 ont montré un PJD urbain, très présent dans les villes suivant un axe Tanger-Casablanca, mais bien moins implanté dans les campagnes et le sud du pays. Ensuite, en acceptant d’entrer dans le jeu électoral, le PJD s’est éloigné d’électeurs plus radicaux, à commencer par les nombreux partisans de l’association Justice et Bienfaisance, interdite mais tolérée par les autorités. « À part la référence à l’islam, soulignait d’ailleurs en 2007 Nadia Yassine, fille du fondateur de Justice et Bienfaisance, l’association n’a aucun point commun avec le PJD ». Durant les premiers mois de l’année, les manifestations organisées par Justice et Bienfaisance aux côtés du mouvement du 20 février ont d’ailleurs rappelé les revendications de cet islamisme radical ancré au sein d’une partie de la population, ainsi que les divisions derrière les demandes de changement politique.
Derrière la résonnance des discours islamistes, le principal défi réside en tout cas dans la capacité des partis marocains à réduire le décalage qui les sépare d’une jeunesse ne se reconnaissant pas en eux. Avec seulement 37 % de votants lors des élections législatives de septembre 2007, les Marocains avaient largement tourné le dos au choix qui leur était proposé, tout comme d’ailleurs les électeurs algériens, alors qu’en 2002, premières élections sous le règne de Mohammed VI, le taux de participation avait été de 48 %. De ce point de vue, dans un contexte marqué par le « printemps arabe », le référendum constitutionnel et le récent scrutin tunisien, on peut s’attendre à une mobilisation en hausse. Mais reste à voir quels partis en profiteront.