18 avril 2012 • Analyse •
La campagne pour le premier tour de l’élection présidentielle se termine sans avoir répondu à la vraie question que se posent les Français : où va-t-on ? Les candidats se sont contentés de les abreuver à satiété de fiscalité : sous couvert d’arguties pseudo-morales, c’est en effet la voie choisie par tous, pour se conformer à l’obligation de réduire nos déficits publics. Jamais on n’a parlé de solutions à nos problèmes, parce qu’on se refuse toujours à en reconnaître les racines. Celles-ci sont à chercher dans nos dépenses et notre gouvernance publique qui relèvent de modes de pensée et de fonctionnement d’une époque révolue. Tel est l’objectif de cet article : revenir sur ces deux dysfonctionnements majeurs, pour montrer qu’une voie est possible, qu’un discours de vérité capable de fédérer les Français existe, et qu’un vrai processus de réforme peut être élaboré.
Notre excès de dépense publique
En quoi est-il à la racine de nos difficultés ?
Dans les 10 ans qui ont précédé la crise, la France a connu en moyenne 40% de chômeurs en plus que les autres pays développés. 700 000 personnes en France n’auraient donc pas dû être au chômage. Ajoutez à cela le surcroît de chômeurs partiels ou en formation, l’excès de travail précaire pour les jeunes et le record de seniors inactifs… au total ce sont des millions d’individus directement touchés. Si l’on y ajoute les peurs que ce sur-chômage engendre chez les autres, c’est toute notre société qui est impactée : cet excès de chômage, engendre pessimisme, peur de l’avenir, blocages, etc.
Il y a ainsi derrière cette anxiété nationale, une réalité pesante, lourde, qu’aucun « modèle social » ne parviendra jamais à soulager. Celui-ci n’apparaît alors que comme un pis-aller, un emplâtre sur la jambe de bois du chômage.
Le problème n’est donc pas, comme on le croit dans ce pays, de savoir comment soulager cette misère, mais de savoir comment faire en sorte qu’on n’ait pas à la soulager. Tel aurait dû être le sujet de l’élection présidentielle.
Force est de constater que nos voisins n’avaient pas laissé, comme nous, ce fléau gangrener leur société. Notre intelligentsia nous explique depuis des lustres que nos tristes performances sont dues à notre économie « libérale » si « injuste »… et qu’il donc faut toujours plus d’intervention de l’État pour nous en protéger. Seulement, ça ne marche pas : nous avons en même temps le système qui fabrique structurellement le plus de chômeurs et… le plus étatisé : les plus forts taux de dépense publique et de prélèvements obligatoires au monde, l’une des réglementations sur le travail et les entreprises les plus protectrices, les plus contraignantes et les plus encadrées par l’État.
Notre surcroît de dépense publique a été financé en grande partie par nos entreprises, qui payent en proportion du PIB 150 milliards d’impôts, taxes et cotisations obligatoires de plus que leurs concurrentes d’outre Rhin. Ainsi, la rentabilité de notre industrie est devenue l’une des plus faibles d’Europe : entre 2000 et 2010, le profit des entreprises industrielles allemandes a augmenté de 45% quand il baissait de 20% en France. Et notre recherche privée est devenue 2 fois moindre qu’en Allemagne. Comment sans moyens financiers innover et faire face à la concurrence ? Notre commerce extérieur enfin s’est effondré nous faisant perdre 20% de croissance moyenne depuis 1998.
A la différence d’autres pays, la dégradation de notre compétitivité ne vient pas d’une inflation des salaires, mais de leur sur-taxation : les prélèvements sociaux sur les salaires sont près de 80% supérieurs en France à ceux de l’Allemagne. Ainsi avec les mêmes prélèvements nous pourrions augmenter les salaires nets de 6% tout en baissant le coût du travail de près de 15% et améliorer notre compétitivité et augmenter le pouvoir d’achat.
L’enchaînement est implacable : excès de dépense publique financé sur le dos des entreprises, chute de leurs profits, insuffisance de moyens pour financer leur innovation donc leur croissance, affaiblissement du tissu économique donc de sa compétitivité, détérioration de notre balance extérieure, faible croissance globale et perte d’emplois. Ainsi, contrairement à ce que pensent encore beaucoup trop de gens dans notre pays, la dépense publique obère la croissance en pesant sur la vitalité du tissu économique : la sous-compétitivité de notre appareil d’État engendre la sous-compétitivité de nos entreprises par la courroie de transmission de la fiscalité.
Au delà de tout clivage politique, réduire ces dépenses devient alors une obligation morale : se donner à terme les moyens de briser enfin la pire des injustices de notre pays, le fléau du chômage.
Là-dessus est venue la crise
Elle a obligé tous les pays développés à injecter massivement de l’argent dans l’économie pour éviter dans un premier temps qu’elle ne s’effondre. Ce faisant, ils ont augmenté significativement leurs dettes publiques, au point qu’elles risquent maintenant de devenir incontrôlables, et conduire au défaut. Il nous faut donc impérativement réduire nos déficits à zéro et ce, pendant une quinzaine d’années si nous voulons revenir aux exigences des critères de Maastricht (60% du PIB).
Pour réduire un déficit on peut soit baisser les dépenses soit augmenter les recettes. Or, tout le discours public actuel, les programmes des candidats à l’élection présidentielle ainsi que les engagements pris auprès de Bruxelles se concentrent sur les ressources, c’est-à-dire sur la fiscalité. Selon ce dernier plan, les prélèvements obligatoires vont encore augmenter de 3,5 points entre 2010 et 2016, nous amenant à un écart de 9,5 points avec l’Allemagne. Nous ne serons donc pas en mesure d’alléger significativement les prélèvements sur les entreprises et le travail. Nous ne nous donnons ainsi aucune chance de restaurer notre compétitivité, donc notre commerce extérieur. Comme il ne faudra pas compter sur un redémarrage de la consommation intérieure, grevée d’une augmentation lourde de la fiscalité, notre croissance restera atone. D’où, moins de recettes pour l’État et plus de besoin de protection sociale. Pour respecter notre engagement budgétaire, il faudra augmenter encore la pression fiscale ou réduire sérieusement les prestations de notre État providence : tout cela pèsera sur notre consommation intérieure et impactera négativement encore la croissance. Nous irons de crise en crise jusqu’au jour où nous nous ferons imposer un plan d’austérité drastique. On sait ce que cela veut dire.
Il est donc impératif de baisser nos dépenses publiques quand il en est encore temps.
De combien les baisser, et lesquelles réduire ?
Notre écart de dépenses publiques avec l’Allemagne représente 10,7 points de PIB, soit 210 milliards. Cela donne une idée de ce qui nous sépare ! Les analyses de l’Institut Thomas More montrent qu’une part substantielle de cet écart ne provient pas tant de prestations additionnelles versées par l’État français, que de différences de productivité : autrement dit notre coût de production des services de notre État est trop élevé.
Ainsi en améliorant notre gestion, on pourrait réduire vraiment nos dépenses : des gains de productivité de 20% dans les collectivités territoriales, 10% dans la fonction publique d’État, 15% dans la santé, assortis d’une refonte des politiques du logement, sont loin d’être hors de portée… et représenteraient déjà 5% du PIB – soit plus de 100 milliards d’euros. Ce devrait être notre objectif. Améliorer la productivité de l’État permettrait alors d’alléger les prélèvements sur les entreprises, de restaurer leur compétitivité, de réduire le déficit de la balance commerciale et de se mettre sur une autre pente de croissance. Laquelle permet plus de ressources pour l’État et moins de chômeurs, donc moins de besoins de prestations. C’est donc l’amorce d’une nouvelle dynamique, vertueuse cette fois. Et l’on n’aura pas, jusque là, touché à la qualité des services ni aux prestations dont les Français bénéficient, c’est-à-dire qu’on aura bien mieux protégé ce à quoi ils sont très attachés, leur « modèle social ».
Comment faire adhérer les Français à ces politiques ?
La crise a fait naître un besoin de sens : nous sommes confrontés à la double nécessité de réformer et de répondre aux interrogations profondes des Français. Le discours des candidats à l’élection présidentielle aurait donc dû être bien autre chose qu’un discours d’expert sur la macro-économie ou un catalogue de mesures techniques. Il aurait dû être sous-tendu par une seule idée : faire la part entre nos vraies valeurs et une philanthropie de façade. C’est à partir de là qu’on peut donner une justification et un sens à l’ampleur des réformes à mettre en œuvre. Ainsi, dire et expliquer que :
- plus de dépenses ne veut pas dire plus de croissance et une meilleure protection, bien au contraire, nos voisins nous le montrent ;
- notre modèle n’est autre qu’un modèle pseudo-social. C’est justement cet État dispendieux qui nous affaiblit collectivement ;
- cet excès de dépenses masque en fait mauvaise gestion et corporatismes : sous couvert de générosité, il trahit nos valeurs profondes ;
- c’est cela qui crée cette injustice fondamentale et inacceptable, la plus lourde d’entre elles, celle du sur-chômage, dans un pays pourtant épris de justice ;
- les réformes à entreprendre sont le gage d’une plus grande justice sociale ;
- c’est enfin le seul moyen de protéger notre vrai modèle social.
La réforme de la fonction publique et la baisse de nos dépenses s’appuient donc sur une obligation morale vis-à-vis des Français et de toute la misère créée par notre sur-chômage.
Notre piètre gouvernance publique
… facilite-t-elle de bonnes politiques ?
Nos institutions – contradictoires et à géométrie variable – sont déséquilibrées, créent inefficiences et conflits d’intérêts et souffrent au final d’un déficit démocratique. Ce système porte une lourde responsabilité dans la cristallisation des pouvoirs, le poids des corporatismes et donc dans la difficulté de ce pays à se réformer, et celle de ses élites à se renouveler. Si l’on veut redonner de la fluidité à notre vie politique et faciliter les évolutions de notre pays, il apparait indispensable d’en améliorer significativement la gouvernance, en s’inspirant cette fois de modèles qui ont fait leurs preuves.
Comment la réformer ?
Un referendum sur le thème de l’amélioration de la gouvernance politique et publique peut représenter une exceptionnelle opportunité :
- d’élever le débat public en se plaçant au dessus de ces catalogues de mesures miracles, s’obligeant à poser la question des grands principes autour desquels réorganiser nos institutions, donc notre État, et du rôle que nous voulons leur donner ;
- de fédérer autour d’une question transcendant clivages, idéologies et antagonismes traditionnels : qui peut s’opposer à mettre un terme à tous ces dysfonctionnements ainsi qu’à la régénérescence du tissu politique et de ces élites, si fortement décridibilisées aujourd’hui ?
- de se reconnecter avec la crise et les préoccupations qu’elle suscite : celle-ci a relancé partout une réflexion sur le rôle des États ;
- donc de parler de ce qui intéresse véritablement les Français : quel projet cet État va-t-il devoir servir ? Quelle forme veut-on donner à notre démocratie ? En quoi de nouvelles institutions pourront-elles vraiment y répondre ? Pour quelle philosophie d’action et en quoi cela répond-il aux défis actuels ?
- C’est enfin une autre manière d’aborder la question de nos valeurs fondamentales et de la façon de les faire vivre, ou revivre. On peut alors parler de revitaliser le contrat social, dans une période qui va nécessiter une très forte cohésion collective, condition sine qua non pour rebondir vraiment.
Annoncer ce référendum, pour début 2013 par exemple, c’est :
- ouvrir d’autres perspectives, parler d’autres choses, moins anxiogènes que crise, Allemagne, marchés, sommets de la dernière chance, nouveaux traités, pilonnage fiscal, etc.
- parler enfin de l’avenir du pays tout en calmant le jeu, en prenant du recul par rapport au tourbillon actuel ;
- se donner le temps de construire un discours de la réforme, la vraie cette fois, et de brasser en profondeur la société française pour la préparer, et fédérer autour d’elle ;
- se donner le temps et les moyens de construire un consensus autour d’une réforme globale de notre système ;
- au plan international enfin, c’est envoyer tout de suite un signal fort qu’enfin la France bouge et qu’elle se donne les moyens de l’incontournable réforme. Cela contribuera à apaiser les tensions sur notre dette donc son coût, et nous renforcera vis-à-vis de nos partenaires.
En quoi les deux réformes sont-elle liées ?
Quelles contraintes pour baisser les coûts ?
Le cœur des priorités demeure la baisse du coût de fonctionnement de notre État. Réduire les coûts est ce qu’il y a de plus difficile et ingrat. Ici, en plus, c’est heurter de front ces redoutables corporatismes liés à l’État, le corporatisme politique n’en étant pas un des moindres. Depuis plus de trente ans on parle de réforme de l’appareil d’État, on n’y arrive pas ; voire, toutes les lois de décentralisation n’ont eu d’autre effet que d’en alourdir le coût.
Comment tourner ces contraintes ?
La réforme institutionnelle n’a pas pour objet de réformer le fonctionnement de l’appareil d’État, mais de la préparer et de lui donner une cohérence. Les débats et les discussions auxquels elle donnerait lieu, permettraient de commencer à remuer les idées au sein de la société française. Il s’agit d’un travail préalable indispensable pour commencer à dépasser antagonismes et féodalités et fédérer sur des thèmes de bon sens.
Ainsi en rebattant les cartes on se donne les moyens de faire bouger les corps sociaux en profondeur, par delà des corps intermédiaires. N’est-ce pas le moyen utilisé par De Gaulle en 1958 pour mettre fin aux blocages inextricables nés de la guerre d’Algérie, et régénérer la vie publique du pays ? Et dans le prolongement du débat institutionnel apparaitra naturellement, on l’a vu, la question de l’appareil d’État. On sera alors par exemple en mesure d’inclure des éléments de réforme des collectivités territoriales permettant de sérieuses économies de fonctionnement, notamment :
- réduction de moitié du nombre de régions ;
- réduction des échelons administratifs : suppression des départements, fusion de communes, intégration des communes dans les communautés de communes.
A quoi on ajoutera enfin certaines mesures de gouvernance politique :
- réduction du nombre d’élus, quitte à augmenter leurs rémunérations ;
- suppression du cumul des mandats, problème de gouvernance majeur ;
- durcissement des principes sur les conflits d’intérêt des élus.
Quels bénéfices à attendre de ce processus ?
Le processus consiste d’abord à hiérarchiser les thèmes – institutions, puis collectivités locales et gouvernance politique, enfin État et fonction publique – en partant du plus évident et du plus consensuel. L’objectif d’amélioration de leur fonctionnement ou de la baisse de leur coût ne devrait pas laisser les Français indifférents, voire recueillir un large consensus. D’autant plus dans un contexte de crise : il apparait juste que tout le monde participe à l’effort, y compris au sein de l’appareil d’État.
On aura alors construit les fondements de l’édifice, commencé à faire percevoir sa cohérence d’ensemble, toute la chaîne de commandement et d’exécution étant prise en compte. On sera alors en mesure de projeter une vision de là où l’on veut amener la société française. C’est alors qu’on pourra parler de la réforme de l’État autour de grands principes :
- le recentrer sur sa vocation de service au public et non de service de lui-même, c’est-à-dire développer une éthique d’économie et de responsabilisation à tous les niveaux ;
- un appareil d’État plus resserré, plus léger et plus gérable, plus conscient enfin de ses responsabilités dans le devenir de notre pays ;
- ce qui a pour conséquence de simplifier les structures administratives, les hiérarchies et les statuts, de revoir les procédures internes, de simplifier réglementations, aides, subventions, d’externaliser toute mission qui peut être rendue plus efficacement ou moins cher par le privé, de réduire les carcans, les législations complexes bien souvent inutiles voire inapplicables ou inappliquées ;
- s’obliger à simplifier et stabiliser la fiscalité, pour faciliter l’investissement ;
- revaloriser le travail.
Même si ces principes ne peuvent faire l’objet même du référendum, ils auront été suffisamment débattus avant, pour acquérir une assise et une force incontournables après, donc la légitimité pour leur mise en œuvre. C’est ensuite le moyen le plus fort de donner au politique l’assise indispensable à l’exécution d’une politique difficile : quelle crédibilité a-t-on pour s’attaquer aux corporatismes quand on ne s’est pas soi-même défait de ses réflexes corporatistes ? A l’inverse, commencer par donner l’exemple de la réforme de ses propres pratiques, réduire ses avantages ou ses coûts, est le gage indispensable pour demander des efforts aux autres. Améliorer la gouvernance politique est ainsi le plus sûr moyen de se doter d’une véritable autorité et d’un vrai soutien populaire, donc une plus grande capacité de réforme.
Notre pays ne pourra se relever de cette crise sans une transformation en profondeur de la société française, et celle-ci ne pourra s’opérer si ce n’est dans le prolongement d’une réforme de la gouvernance politique et publique : c’est le plus puissant levier à notre disposition. Cette réforme est au cœur d’une dynamique de renouveau économique, de son succès et du nôtre collectivement.
Conclusion
Mais au-delà de notre pays, l’heure est grave à bien des égards. Le monde a changé, pas nous. Il va encore profondément changer, que ferons-nous ? L’heure exige autre chose que de seulement gérer, administrer. Elle exige une vision et du sens si nous voulons être en mesure de relever les énormes défis qui sont devant nous. L’humanité va être confrontée à de graves problèmes de climat, d’eau, d’énergie, de matières premières, de ressources alimentaires, des problèmes démographiques avec des migrations massives de populations. Par ailleurs, nombre des questions ayant engendré la crise financière ne sont toujours pas résolues, ni même sur le point de l’être ; des déséquilibres économiques majeurs persistent, avec les risques qui leurs ont attachés. A quoi l’on peut ajouter des risques d’explosions sociales ou de guerres dans certaines régions sensibles.
Traiter de ces biens publics planétaires nécessite la mise en place d’une véritable gouvernance mondiale. Que pèserons-nous, que pèseront notre expérience et nos valeurs, si notre économie continue de s’affaiblir, entrainant l’Europe dans son sillage ? Tels sont les enjeux. Les enjeux oubliés de cette campagne.
Il est vital que la France se mette sur la voie d’un renouveau : pour nous-mêmes d’abord, c’est-à-dire afin que nous retrouvions un peu plus de prospérité, de confiance et de cohésion, en libérant notre grande capacité créatrice. Pour retrouver ensuite notre rôle au sein d’une Europe dont le leadership n’est plus assuré aujourd’hui que par l’Allemagne. Pour redynamiser enfin cette Europe et renforcer son influence dans les grands bras de fer à venir. Telles sont les vraies questions… et les perspectives de solution que l’on aurait pu offrir aux Français. On ne les a pas abordées. Aussi ne faut-il pas s’étonner d’une immense déception.
Nous reste-t-il encore assez de temps ?