Avril 2012 • Note 1 (nouvelle édition) •
Contre la pauvreté, on n’a pas encore tout essayé… Le monde académique a souvent dressé le panorama ou l’histoire des théories économiques du développement : la notion de vulnérabilité n’y joue aucun rôle explicatif et, s’agissant des stratégies de développement, on ne trouve aucune trace de l’idée, préconisée jadis par Condorcet, de « combattre les causes aléatoires d’inégalité et de misère en opposant le hasard à lui-même ». C’est peu de dire que la croissance des pays riches a amplement tiré profit des applications de ce principe, tant dans le monde des affaires que dans l’élaboration des systèmes de protection sociale. Bien sûr, l’extension de ce principe aux politiques de gestion des risques en faveur des pauvres se heurte à des difficultés concrètes qui portent la marque des handicaps des pays pauvres. Mais ces obstacles ne sont pas d’ordre logique ou idéologique ; ils sont d’ordre pratique : alors, pourquoi n’essaierait-on pas de les surmonter ? et n’y aurait-il pas là une voie nouvelle pour l’aide au développement ?
Dans l’histoire de l’humanité, la croissance économique n’a jamais été aussi forte qu’au cours du dernier demi-siècle et, avec l’émergence de nouveaux géants économiques, le phénomène tend à s’accélérer. Pourtant, l’ampleur du défi à relever pour réduire la pauvreté dans le monde ne diminue pas, bien au contraire. Dans le même temps, on observe une augmentation de la fréquence des catastrophes (naturelles ou causées par l’homme) ainsi que de la concentration des dommages provoqués par elles. Au milieu de ce sombre tableau, il y a au moins une bonne nouvelle : la globalisation des marchés, et l’innovation financière qui va de pair. De fait, la dimension des marchés financiers a atteint une échelle assez grande (par rapport au PIB mondial et par rapport aux risques extrêmes) pour que, grâce aussi à l’ingéniosité des instruments qui y sont traités, plus aucune catastrophe n’excède la capacité d’en absorber les conséquences monétaires. Comment ? tout simplement, en fractionnant les risques de telle sorte que le « taux de concentration » des pertes soit ramené à un niveau qui soit supportable par ceux qui en sont les porteurs en dernier ressort.
Mais il y a aussi une mauvaise nouvelle qui a explosé aux yeux du monde entier avec la crise que les « subprimes » ont enclenchée, mais non créée, en 2007 : la diversification des risques doit obéir à une discipline rigoureuse, et ceux qui la mettent en œuvre ont une immense responsabilité sociale ; or il n’existe aucune barrière automatique pour arrêter les effets toxiques des errements de ceux qui – par négligence, imprudence ou cupidité – font un usage pervers de la titrisation. Paradoxalement, en révélant que ces dégâts se propagent à la terre entière, la même crise indique que la diffusion des effets positifs d’un usage responsable de la titrisation peut avoir la même étendue, y compris au bénéfice des plus défavorisés.
Avant 2008, les Objectifs du Millénaire avaient déjà pris un retard considérable. Après le « crash bancaire », le rattrapage devient problématique. Il faut compter, en effet, avec la conjugaison de trois séquelles de la crise : l’accroissement des besoins consécutifs aux dégâts subis par les pays les moins avancés ; le caractère plus sélectif et plus coûteux de l’accès au financement des investissements productifs ; et la raréfaction des fonds publics disponibles pour l’aide au développement. A cela s’ajoute, comme pour tout choc économique majeur, la dissymétrie du temps de la reconstruction, toujours plus lent que celui de la dégradation. Comment garder le cap dans ces conditions, tout en veillant à ne pas surcharger les « frais généraux » de l’économie mondiale confrontée au ralentissement de la croissance et à l’intense volatilité des changes ? On le voit, la formule de Th. Kuhn – « la crise signifie qu’on se trouve devant l’obligation de renouveler les outils » – n’a peut-être jamais été aussi pertinente qu’aujourd’hui !