26 juin 2012 • Événement •
Le 26 juin dernier, l’Institut Thomas More réunissait 50 personnes à Bruxelles pour évoquer les menaces qui pèsent sur l’avenir de l’Union européenne et écouter Sylvie GOULARD, députée européenne, coordinatrice ADLE au sein de la Commission des Affaires économiques et monétaires ; Paul GOLDSCHMIDT, ancien directeur à la Commission européenne, membre de l’Advisory Board de l’Institut Thomas More ; et Gérard DUSSILLOL, président de la Commission Finances publiques de l’Institut Thomas More, auteur de La crise, enfin ! (ed. Xenia, 2012). Le présent compte-rendu a été réalisé par l’Institut Thomas More et n’engage pas la responsabilité des intervenants.
Les 27 et 28 juin derniers a eu lieu un Conseil européen d’une importance historique, certainement l’un des plus cruciaux de ces dernières années. Ce qui importe d’avoir à l’esprit, c’est que derrière toutes les questions économiques, financières, monétaires, c’est celle de la survie de l’Union européenne en tant que construction politique qui était posée. En deux mots : s’entendre ou s’éteindre.
En schématisant, on peut dire qu’on assiste à un bras de fer entre deux visions : d’une part, celle d’Angela MERKEL qui souhaite plus de contrôle, et d’autre part celle de François HOLLANDE qui recommande plus de solidarité. Mais il faut surtout sauver la confiance entre les pays membres, empêcher le délitement de l’œuvre patiemment bâtie en 60 ans et éviter que les peuples européens, déjà éprouvés, ne s’exaspèrent encore d’avantage.
Où en sommes-nous vraiment à la veille du Conseil européen ? Que redoutez-vous ? Qu’espérez-vous ?
Pour commencer, Sylvie GOULARD précise que, dans un débat comme celui-ci, l’étiquette nationale n’a pas d’importance, et qu’il faut en premier lieu se sentir européen. Elle formule ensuite l’hypothèse que le plus intéressant dans la préparation du Conseil européen n’est pas forcément l’affrontement, prévisible et largement commenté, entre Angela MERKEL et François HOLLANDE, récemment élu, mais dans le jeu très fin de Mario MONTI, qui prend une place majeur sur la scène européenne et qui pourrait atteindre assez vite un poids suffisant pour faire la balance entre les deux conceptions.
Sur le fond, Sylvie GOULARD considère que ce dont l’Europe a le plus besoin, c’est d’un tracé clair entre ce qui est à faire à court et ce qui est à à long terme, d’un vrai calendrier, bref d’une feuille de route enfin crédible. Même si des affrontements sur les questions immédiates ont lieux, les enjeux du long terme ne peuvent être ignorés et ne doivent pas faire peur. Il faut certes prendre les mesures d’urgence qui s’imposent, mais il faut aussi poser les questions plus structurelles.
Ensuite, Sylvie GOULARD invite à s’interroger sur des facteurs lourds et inquiétants. On se rend compte par exemple qu’alors que l’Italie a fait des efforts considérables depuis l’arrivée du nouveau gouvernement, les marchés font toujours preuve de défiance à son égard. Les marchés ne créditent pas l’Italie de ses efforts réels. Il n’est qu’à voir les taux de spreads .
Pour finir, lors du sommet, Sylvie GOULARD souhaite qu’on soit particulièrement attentif au risque de cassure entre le nord de l’Europe et le sud. Bien que les pays du Sud n’aient pas toujours été correctement gouvernés, il ne faudrait pas que les fossés se creusent entre un nord « fourmi » et un sud « cigale ». Les grandes puissances ne doivent pas écraser les petites mais favoriser un rassemblement. Il serait donc de bon augure que Mario MONTI affermisse sa position et puisse jeter un pont entre les différentes positions… et influencer la vision allemande de François HOLLANDE !
De son côté, Paul GOLDSCHMIDT explique à son tour que le plus important est en effet que soit établie « une feuille de route » à l’occasion du Conseil : c’est-à-dire une capacité à dire « qu’on va d’un point A à un point B » pour l’avenir de l’Europe. Cette feuille de route doit s’inscrire dans la durée.
Pour Paul GOLDSCHMIDT, l’un des pires problèmes de l’UE aujourd’hui est l’éloignement entre ce qui se passe « en haut » et les citoyens, qui se traduit par un trop grand manque de transparence et de clarté du calendrier pour les citoyens. Les dirigeants européens ne parlent plus aux citoyens ! Dans ce souci de transparence, un distinguo plus net doit être fait entre les décisions prisent par l’Europe des 17 (qui partagent la monnaie commune) et l’Europe des 27. On observe clairement un manque de cohérence à tous les étages, or les marchés et les citoyens ont besoin de clarifications.
Sur la question des spreads, Paul GOLDSCHMIDT pense que la logique politique n’est pas la logique des marchés. En effet, les mesures prises par les hommes politiques ne répondent pas à la logique des marchés. Plutôt que de montrer de la confiance, il faudrait prouver l’existence d’une solidarité Nord/Sud et ainsi faire le distinguo entre « l’intention de rembourser » et la « capacité à le faire ». Paul GOLDSCHMIDT se montre donc prudent quant aux résultats à attendre du Sommet et aux avancées dans les prochains mois.
Pour Gérard DUSSILLOL, les problèmes de la France ont un impact lourd et direct sur les blocages européens que chacun constate. C’est pourquoi il fait porter le débat sur les réformes structurelles nécessaires à la France, notamment en termes de chômage et de dépenses publiques. En effet, la France a, en moyenne sur les dix dernières années, un taux de chômage de près de 40% supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE. De plus, la sur-dépense publique française est rendue possible (jusqu’à quand ?) par la sur-taxation des entreprises, ce qui pénalise gravement leur compétitivité, fait chuter le marché extérieur français et finit par atteindre la croissance française. Outre-Rhin, la croissance est plus forte du fait d’une plus faible dépense publique, obtenue grâce à des réformes structurelles menées depuis plus de dix ans, visant à accroître fortement la compétitivité des entreprises allemandes.
Gérard DUSSILLOL renvoie à son livre La crise, enfin ! dans lequel il explique sous différents aspects le problème français, en l’éclairant toujours de la comparaison avec l’Allemagne. En d’autres termes, il insiste sur le fait qu’avant que la France ou les Français acceptent ou puissent faire un pas vers l’Allemagne et s’engager sur la voie d’une plus grande intégration politique, il faudrait déjà que ses problèmes structurels soient réglés.
Pour Gérard DUSSILLOL, les choix de la France de plus de dépenses invalident toute chance de voir émerger une feuille de route européenne ambitieuse. Les prévisions de budget de l’Etat français transmis à la Commission européenne, modifiés à de multiples reprises, manquent de précisions et ne rassurent pas ses partenaires. Aujourd’hui, pour convaincre les marchés et l’Europe, la France prétend qu’elle a compris ses erreurs et « a changé ». Mais tant qu’elle ne met pas en place de vraies réformes structurelles, il ne faut pas se faire trop d’illusions ! Si elle le faisait, en donnant de réels gages, l’Allemagne ne se sentirait plus seule et serait plus encline à faire des concessions.
Où en est la relation franco-allemande, à vos yeux ? Peut-on dire, comme certains le pense, que la France n’a pas fait les efforts nécessaires pour se « mettre à niveau » ?
Pour Sylvie GOULARD, tout le monde doit faire des efforts. C’est le seul moyen d’arriver à un bon accord. Si personne ne bouge, ce sera un mauvais accord. L’analyse est complexe, car en Allemagne comme en France, personne ne prend réellement ses responsabilités. François HOLLANDE vient d’être élu en France et, comme à chaque fois, l’arrivée d’un nouveau dirigeant d’un côté ou de l’autre de la frontière est l’occasion d’une lente phase de découverte mutuelle ; ce qui fait perdre plusieurs mois.
Mais Sylvie GOULARD insiste à nouveau sur l’importance de l’arrivée de MARIO MONTI dans le jeu. Aujourd’hui, le « fameux couple » comprend trois acteurs dont un représentant des pays du sud partisan de réformes structurelles. Cela complexifie la donne mais la rend plus riche de combinaisons et de possibilité.
Cependant, un nouveau phénomène inquiète Sylvie GOULARD : les Allemands sont en train de changer de vision. Désormais, l’opinion allemande manifeste le désir de mieux maîtriser le processus de passage à l’Europe fédérale. C’est le sens des récentes prises de position de la Cours de Karlsruhe. Cela pourrait entraîner un besoin de modification de la Constitution allemande.
Selon Paul GOLDSCHMIDT, les relations franco-allemandes posent effectivement un problème central et incontournable pour l’Europe : « Si ces deux pays ne sont pas d’accords, l’Europe n’a pas d’avenir », affirme-t-il. La différence de conception et de point de vue sur le fédéralisme entre les deux pays pose problème. Pour Paul GOLDSCHMIDT, François HOLLANDE cherche le soutien de Mario MONTI et de Mariano RAJOY pour affronter Angela MERKEL plutôt que de comprendre ce qu’elle propose vraiment sur le fédéralisme et d’entrer le débat qu’elle a le courage d’ouvrir. Cette recrudescence d’intérêt pour le fédéralisme se voit bien d’ailleurs à travers la presse qui s’en est fait pas mal l’écho dans plusieurs pays ces temps-ci.
Mais Paul GOLDSCHMIDT reste dubitatif quant à cet « engouement » pour le fédéralisme. Il craint en effet qu’il s’agisse plus d’une « action défensive » contre la montée du nationalisme et de l’extrémisme que d’une « action offensive » et de bonne foi. Sur ce grand retour du thème fédéral, Paul GOLDSCHMIDT rappelle néanmoins que l’Institut Thomas More avait formulé des propositions en 2007, encourageant à créer une Union fédérale à 17 pour remplacer l’Union monétaire et une Union confédérale à 27 à la place de l’Union européenne .
Faut-il regarder le Conseil comme une « fenêtre de tir » historique ? Le « bond fédéral » est-il à l’ordre du jour ?
Pour Sylvie GOULARD, il y a effectivement beaucoup d’attente à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe sur sa capacité à réagir enfin… Pour autant elle s’amuse de la formule « bond fédéral », en rappelant que l’Europe est un continent vieillissant et que « rarement les vieille personnes bondissent » ! Elle ne croit donc pas à une avancée spectaculaire. Mais cela ne veut pas dire qu’une solution n’est pas possible. Sans rouvrir le débat institutionnel, il faut exploiter à fond le traité actuel pour éviter de longues procédures de ratifications. Pour citer un seul exemple, il est parfaitement possible, dans le cadre du traité actuel, de donner plus de pouvoir à la BCE, et donc au MES.
Paul GOLDSCHMIDT pense lui aussi qu’il serait illusoire d’attendre de grandes annonces. Il considère que la volonté politique n’est pas suffisamment forte pour prendre les mesures qui s’imposent. L’individualisme de chacun doit cesser pour avancer et offrir des solutions durables à l’Europe.
Gérard DUSSILLOL revient sur le différend central entre la France et l’Allemagne qu’il a évoqué précédemment et pense qu’il interdit justement de faire ce bond. Tant que l’Allemagne et la France ne partageront pas la même vision de fond, il n’y aura aucune avancée : « pas de mariage possible », affirme-t-il. L’Allemagne ne bougera pas de sa position car son modèle est reconnu. Les Italiens ont bougé, l’Espagne bouge, difficilement certes mais avec courage… On attend que les Français comprennent que c’est leur tout de bouger ! Il considère que « quand la France aura 100% de spreads par rapport à l’Allemagne, elle bougera ! ».
« C’est une partie de poker qui est engagée », affirme Gérard DUSSILLOL et les Français semblent croire qu’ils ont une main forte… Ce qui n’est pas le cas.