30 juin 2012 • Opinion •
Le gaz est au centre des débats énergétiques en Europe et dans le monde. Depuis les années 1950, à chaque décennie, des cassandres annoncent que le pic de production des combustibles fossiles est atteint ou est sur le point de l’être. Et à chaque fois, de nouveaux gisements sont découverts, repoussant ainsi dans le temps le déclin de ces sources d’énergie. C’est particulièrement vrai pour le gaz, grâce aux innovations technologiques (fracturation hydraulique des roches sédimentaires où le gaz est piégé et forage horizontal) permettant l’extraction de gaz non-conventionnel ; il s’agit du même méthane que celui qui est utilisé actuellement mais qui s’est accumulé, au cours des millénaires, dans un environnement géologique différent.
L’exploitation progressive de ce gaz méthane (qui porte des noms différents selon le type de roches/sédiments dans lesquels il est piégé) est en train de bouleverser le marché de l’énergie. Ses réserves sont très importantes et largement dispersées géographiquement. Il a déjà remodelé le marché du gaz aux USA et est en passe d’affecter durablement les marchés mondiaux. Contrairement à ce que d’aucuns prétendent, les émissions de CO2 provenant de leur production ne sont que légèrement supérieures à celles du gaz conventionnel.
La question qui se pose est de savoir si le développement de ce gaz non-conventionnel et, en particulier le gaz dit de schiste, pourrait être ralenti voire arrêté en Europe en raison de préoccupations environnementales telles que les nuisances visuelles, la contamination de nappes phréatiques, les fuites incontrôlées de méthane, la forte consommation d’eau ou les risques sismiques. L’expérience montre que ces effets collatéraux, non négligeables, peuvent être largement atténués, voire maîtrisés pour certaines de ces nuisances, grâce à la technologie existante. Des recherches sont, d’ailleurs, toujours en cours pour améliorer les techniques d’exploitation.
On estime que les réserves prouvées de méthane dans le monde sont suffisantes pour assurer la consommation actuelle mondiale pour bien plus de cent ans. Voilà une situation particulièrement bienvenue vu que la consommation de gaz est appelée à croître en raison de la part croissante des énergies renouvelables dans la génération d’électricité exigeant davantage de centrales au gaz pour pallier leur production intermittente, du remplacement de centrales au charbon, du retrait partiel du nucléaire à la suite du désastre de Fukushima au Japon, de la diminution du nombre de nouvelles centrales nucléaires par rapport aux prévisions antérieures à 2011 ainsi que de la pénétration progressive quoique lente du gaz naturel dans le transport routier.
C’est, d’ailleurs ce que confirme la « feuille de route européenne 2050 » selon laquelle la consommation de gaz de l’Europe des 27 s’élèvera en 2050 à 800 TWh, soit plus qu’aujourd’hui. Si le captage et la séquestration de carbone étaient maîtrisés entre-temps, ce chiffre pourrait être encore plus élevé. Cette constatation ne pourrait-elle pas inciter l’industrie gazière à investir dans le développement de cette technologie ?
Dès lors que les centrales au gaz apparaissent de plus en plus incontournables pour permettre le déploiement des énergies intermittentes, ne serait-il pas justifié d’offrir des incitants à ce type de production au même titre que des subsides sont octroyés aux énergies renouvelables ?
La dépendance de l’Europe vis-à-vis des pays non-européens producteurs de gaz est appelée à croître plus fortement à l’avenir si l’exploitation des réserves de gaz non-conventionnels est prohibée. La plupart des États membres de Union Européenne ont suspendu l’exploration des gisements potentiels de ce type de gaz ; la Pologne, cohérente avec sa politique énergétique, est à cet égard une exception notable.
D’une manière générale, d’ailleurs, la dépendance énergétique est un thème central dans les débats internes de l’Union Européenne, notamment en ce qui concerne les relations avec les pays exportateurs de gaz. Il y a, au sein de l’UE, des stratégies différentes voire opposées. Le cas de la Russie est intéressant à cet égard. Certaines entreprises européennes sont déjà associées à Gazprom dans le développement de projets gaziers et ont donc intérêt à éviter toutes confrontations avec cette société qu’elles considèrent comme un partenaire fiable à la différence d’autres fournisseurs et d’autres routes de transport de gaz traversant des pays dont le régime et/ou la stabilité politiques peuvent susciter l’inquiétude.
Quant au projet Nabucco, destiné à acheminer du gaz provenant de la région de la mer Caspienne vers l’Europe de manière à assurer une diversification des sources et des routes d’approvisionnement, il doit faire face à de nombreux défis : les projets rivaux moins coûteux, le financement, la découverte de vastes réserves de gaz non-conventionnels et la disponibilité de gaz naturel en quantité suffisante pour remplir le tuyau. Face à ces défis auxquels s’ajoutent les exigences des pays fournisseurs de gaz, le projet Nabucco a-t-il encore des chances de voir le jour ?
D’autre part, la situation économique actuelle, la forte production de gaz aux États-Unis grâce aux percées technologiques permettant l’extraction de gaz non-conventionnels, la disponibilité croissante de gaz naturel liquéfié, l’absence de puissants cartels ainsi que les bas prix de gaz « spot » sapent les contrats long-terme, qui ont traditionnellement dominé le marché, ainsi que l’indexation du prix du gaz sur celui du pétrole. En particulier, en Europe, la bourse de gaz anglaise, le National Balancing Point, est devenue, à cet égard, une alternative attrayante.
Dans ce contexte, l’approche contractuelle de Gazprom est devenue difficilement soutenable vis-à-vis de ses clients européens. Le contexte actuel conduit à des renégociations des prix indexés sur le pétrole dans les contrats long-terme en faveur, entre autres, d’une référence au prix « spot ». C’est ce qu’ont entrepris plusieurs sociétés gazières européennes, certaines d’entre elles ayant entamé une procédure d’arbitrage avec Gazprom. De telles renégociations traduisent le glissement vers un marché acheteur. Une proportion nettement accrue de contrats « spot » ne peut qu’être que profitable pour le consommateur. Toutefois, il ne semble pas que l’indexation du prix du gaz sur celui du pétrole pas plus que les contrats long-terme vont complètement disparaître.