Euro-scepticisme · Au tour de l’Allemagne

Jakob Höber, chercheur associé à l’Institut Thomas More

16 avril 2013 • Opinion •


Le choix d’Angela Merkel de faire de l’Allemagne, depuis le début de la crise, l’assureur en dernier ressort des dettes des autres membres de la zone euro n’a jamais été très populaire dans la population allemande… Mais la Chancelière a toujours su, jusqu’ici, trouver l’équilibre entre la défense de ces mesures de solidarité européenne et la défense des intérêts allemands. Cette époque pourrait bien être révolue, avec la création du Parti Alternative für Deutschland, qui réclame ni plus ni moins la sortie de l’Allemagne de la zone euro. Cinq mois avant les élections fédérales, la nervosité grandit dans le gouvernement.


Le choix de Peer Steinbrück comme candidat du SPD à la Chancellerie à l’automne dernier n’a que brièvement inquiété Angela Merkel : le leader social-démocrate a vite vu fondre sa popularité en faisant des propositions dont le raisonnement stratégique reste toujours difficile à comprendre – comme par exemple la demande d’une augmentation du salaire du Chancelier en pleine période de crise… Il y a une semaine, la coalition CDU-CSU/FDP (libéraux) – telle qu’elle existe aujourd’hui – obtenait la majorité dans les sondages pour la première fois depuis des longues années. L’autre option, celle d’une coalition avec le SPD, paraissait également réaliste – avec Angela Merkel comme Chancelière naturellement… Les chances d’un gouvernement SPD-Verts paraissaient bien minces.

C’est dans ce contexte globalement favorable à la Chancelière qu’intervient l’émergence spectaculaire du parti Alternative für Deutschland sur la scène politique. Car le moins qu’on puisse dire est que le lancement est réussi : après seulement quatre semaines d’existence, le parti (créé le 11 mars 2013) compte déjà 7 500 adhérents – pour comparaison, la FDP en a environ 58 000. 7% des Allemands déclarent vouloir voter pour lui, tandis que 17% supplémentaires disent qu’ils « pourraient imaginer voter pour ce parti » (sondage par Infratest dimap du 7 avril 2013). Ce sont des chiffres qui font immanquablement penser en Allemagne à l’ascension du mouvement MoVimento 5 Stellede Beppe Grillo en Italie, qui, lui aussi, a exploité à fond le rejet des élites et des partis établis. A noter également que les électeurs qui s’annoncent près à voter pour Alternative für Deutschland proviennent de l’ensemble du spectre politique allemand et pas seulement, comme on aurait pu s’attendre, du camp conservateur. En effet, le plus gros contingent provient de l’extrême gauche, ce qui montre que la position anti-euro trouve une résonance sur la totalité du spectre politique. Seuls les Verts ont semblé épargnés par une fuite significative de leurs électeurs.

Le premier congrès du parti, qui se tenait ce dimanche 15 avril, marquait la création officielle du parti. Il a été l’occasion, pour les observateurs, de relever plus de faiblesses que de forces : manque d’expérience, faible représentativité des adhérents (des hommes de plus de 40 ans pour la plupart) ainsi qu’un léger penchant vers la droite nationaliste, chez certains en tout cas… Un peu vite sans doute, on a entendu parler de « participation au gouvernement ». C’est mettre la charrue avant les bœufs. Si les responsables du parti pourront sans doute surfer quelque temps sur l’enthousiasme de la première heure, les incertitudes ne manquent pas.

La réputation des fondateurs, pour la plupart des professeurs d’économie mais aussi l’ancien patron du BDI (Fédération de l’Industrie allemande), M Hans-Olaf Henkel, contribue certainement à la crédibilité du parti. Le programme reste cependant rudimentaire et un peu court ; il englobe des points facilement compréhensibles comme une simplification du système fiscal, plus de transparence pour les parlementaires ainsi que, bien entendu, la sortie de l’Allemagne de l’euro. Mais si l’idée fixe du parti est bien ce dernier point, il n’est pas anti-européen en soi. Divers projets de réorganisation des zones monétaires, avec moins de pays, plutôt de l’Europe du Nord et correspondant mieux  à la théorie des zones monétaires optimales, sont appuyés par les membres. Et le fait que, dans une sortie de la zone euro, l’Allemagne risquerait de perdre une grande partie de ses créances et de ses garanties (on parle tout de même de 1 000 milliards d’euros !), n’effraye pas le parti : puisqu’il considère que l’essentiel de cette somme est perdu de toute façon et ne sera jamais remboursé par les pays créanciers. Cette opinion ne fait évidemment pas l’unanimité parmi les économistes allemands, dont beaucoup considèrent qu’une sortie de l’euro aurait un coût bien plus élevé encore, mais force est de reconnaître que, même dans son simplisme, elle rencontre l’irritation de nombre d’électeurs allemands qui ne veulent plus payer pour le « Club Med »…

Il va donc falloir suivre dans les prochaines semaines et les prochains mois la montée en puissance de ce nouveau camp du non, assez inédit en Allemagne. Si le succès réel de ces premières semaines peut rapidement gonfler les rangs du parti et rallier à lui un part significative de l’opinion, il peut aussi semer au sein d’un rassemblement plutôt hétérogène. Mais une chose est certaine : avec Alternative für Deutschland, une nouvelle inconnue s’est invitée dans la politique allemande. Angela Merkel devra en tenir compte dans sa campagne, qui ne s’annonce plus si facile. Pour les libéraux du FDP, dont le maintien au Parlement n’est pas acquis, l’arrivée de ce nouvel acteur est une très mauvaise nouvelle et va poser la question de leur survie au niveau fédéral.

Pour l’Europe non plus, l’Alternative für Deutschland n’annonce pas de jours heureux. Si ses chances d’entrer dans un gouvernement fédéral dès cette année ne sont guère réalistes, il est à parier en revanche le parti s’appliquera à mettre une très forte pression sur l’ensemble des autres partis pour les pousser à corriger leur politique européenne. A l’exception des Verts, qui gardent une position clairement européenne, l’ensemble des partis essaye déjà de naviguer entre leur position européenne traditionnelle et un peu d’euro-septicisme new look. Un nuage de plus dans le ciel d’une Union européenne qui ne voit toujours pas venir le printemps…