19 avril 2013 • Opinion •
La crise de la zone euro et les difficultés économiques accaparent les dirigeants européens mais le cap de l’élargissement n’en est pas moins maintenu. Le 1er juillet 2013, la Croatie deviendra le vingt-huitième membre de l’Union européenne (UE). La mission historique de l’UE dans son hinterland et sur ses confins ne doit pourtant pas dissimuler l’épuisement du projet européen et le scepticisme des opinions.
De fait, le dernier élargissement en date, début 2007, a révélé une certaine impréparation des nouveaux entrants. La Roumanie et la Bulgarie étaient éloignées du niveau à atteindre, particulièrement en termes d’Etat de droit, de lutte contre la corruption et le crime organisé. Afin de combler le retard pris sur les engagements, la Commission européenne a dû improviser un « mécanisme de coopération et de vérification » mais aujourd’hui encore, la Bulgarie et la Roumanie ne sont pas en mesure d’incorporer l’espace Schengen.
Certes, l’UE a tiré les leçons de l’affaire et procédé autrement dans le cas de la Croatie. Le nombre des chapitres autour desquels s’organisent les négociations d’adhésion a été accru et Bruxelles a instauré un « mécanisme spécifique de suivi renforcé». L’idée est de permettre à la Commission d’évaluer le respect des engagements pris au cours des négociations. De surcroît, l’entrée de Zagreb dans l’espace Schengen est soumise à des modalités spécifiques.
Si l’on se fie au rapport de suivi publié le 26 mars dernier, la Croatie est prête à rejoindre l’UE. Au vrai, les chefs d’Etat de de gouvernement de l’UE ont donné leur aval voilà plus d’une année et le traité d’adhésion de la Croatie est en cours de ratification ; dix-neuf des vingt-sept Etats membres ont déjà procédé à la chose.
Toutefois, le rapport appelle l’attention sur les progrès à accomplir au plan de l’efficacité judiciaire. Plus précisément, il faut insister sur le nécessaire respect de l’Etat de droit et l’indépendance de la justice. En Croatie, comme en Roumanie ou en Hongrie par ailleurs, les procès impliquant d’anciens premiers ministres n’ont pas toujours été instruits selon les standards juridiques européens.
Le cas d’Ivo Sanader, chef du gouvernement croate entre 2003 et 2009, est significatif. Sa condamnation pour corruption, dans une affaire d’OPA impliquant le groupe énergétique hongrois MOL et des banques austro-allemandes, a été saluée comme un progrès vers l’Etat de droit. Pourtant, il apparaît que certaines des expertises ont été arbitrairement écartées, sans grand respect pour la procédure. In fine, le jugement s’est employé à condamner la décision d’autoriser la vente du champion national de l’énergie à un concurrent étranger plutôt que de prouver l’accusation de corruption. Nous sommes donc éloignés encore d’une justice indépendante, en ligne avec les normes européennes.
Cette faiblesse de l’Etat de droit marque à divers degrés plusieurs pays d’Europe centrale et orientale ; elle entre en résonance avec les pratiques des régimes autoritaires patrimoniaux de l’Est européen. Cet état de fait vient alimenter le pessimisme d’une large partie des opinions publiques, contribuant ainsi à la grande fatigue du projet européen. L’élargissement de l’UE semble privé de sens, c’est-à-dire de signification et de direction.
De telles perceptions sont grosses d’effets en retour, d’autant plus que la crise de la zone Euro suscite l’incompréhension, voire l’hostilité. Ce dangereux cocktail pourrait mettre en péril l’objectif central de l’élargissement: un vaste Commonwealth paneuropéen fondé sur une commune idée du droit et de la justice. L’idée est d’utiliser la perspective d’adhésion comme levier de modernisation et de pacification des « Balkans occidentaux », ces pays étant liés à l’UE par des accords de stabilisation et d’association.
Aussi, tout nouvel élargissement devra-t-être conditionné à de strictes réformes en vue d’instaurer le règne de la loi, en théorie comme en pratique. Il faudra donc intégrer le retour d’expérience de l’adhésion croate dans la stratégie d’élargissement conduite par la Commission, celle-là étant appelée à renforcer ses critères et s’assurer avec plus de minutie encore que les pays candidats (Serbie et Macédoine) et les candidats potentiels (autres républiques d’ex-Yougoslavie et Albanie) les respectent.
Si le recours à la géométrie variable prévaut pour certaines des politiques communes mises en œuvre dans le cadre de l’UE, cela ne saurait concerner les normes et les règles de juste conduite qui relèvent du cercle de droit commun, pour ses membres comme pour ceux qui aspirent à les rejoindre. Nous sommes là au cœur du projet européen.
Au total, il est d’une importance majeure pour l’UE de placer l’Etat de droit au centre de la politique d’élargissement et d’étendre le règne de la loi dans son voisinage. La «Grande Idée » européenne entre en résonance avec le Projet de paix perpétuelle d’Emmanuel Kant et donner forme à une telle confédération de libres républiques sera une œuvre de civilisation.