Mai 2013 • Opinion •
Les études abondent sur le caractère excessif des niveaux de prélèvements, sur le travail comme sur le patrimoine, en France. La place manque ici pour en faire une nouvelle fois la démonstration. Compte tenu de l’ambiance délétère du tous contre tous qui se répand dans le pays, insister sur la dimension politique et sociale de la question posée nous a paru plus utile.
Selon un usage désormais solidement ancré parmi les élites politiques et administratives françaises, la chasse aux « exilés fiscaux » relève plus du traitement du symptôme que de la maladie – précisons qu’on exclue de notre propos les fraudeurs qui méritent la rigueur de la loi (qui ne doit, au passage, pas être confondu avec l’opprobre de l’opinion).
« Exilés fiscaux » : l’expression est déjà un jugement et, en noircissant ceux qu’on en affuble, offre le confort de ne pas s’interroger sur les causes qui les poussent à partir. En concentrant le débat public sur les personnes, on s’exonère de soumettre à la critique un système fiscal devenu confiscatoire et un environnement économique décourageant. A cela s’ajoute que, selon une triste habitude qui s’étend, on désigne à la vindicte d’une majorité de Français une minorité d’entre eux. Allez « faire société » après cela !
Car la réalité du drame qui se joue derrière le départ de certains, est bel et bien l’appauvrissement collectif des Français. Le départ pour Bruxelles, Londres ou Genève d’un chef d’entreprise ou d’un retraité qui a travaillé toute sa vie et qui entend profiter des fruits de son travail, ce n’est pas un « minable » qui s’en va, c’est un contribuable, un consommateur, un investisseur ou un producteur qui est perdu. Pour qui regarde la société comme un corps vivant, et non comme le lieu d’une lutte, c’est un peu de force (économique) gâchée et souvent de l’intelligence (créatrice) envolée.
Or c’est bien ainsi que devrait regarder la société française ceux qui la gouvernent si mal. Ils ne voient pas, ou ne veulent pas voir, que c’est la société dans son ensemble qui perd au jeu du matraquage fiscal. Conçue dans son ensemble, une politique fiscale est un instrument délicat qui vise, outre son but premier qui est d’assurer des ressources à l’Etat, à la redistribution des revenus et à la régulation de l’activité économique. Théoriquement, c’est reconnaître la dépendance de tous avec tous et rechercher un optimum d’équilibre social entre les moins favorisés et les mieux dotés. Ce n’est pas chose aisée et chaque pays définit, selon son caractère propre, le contrat social qui lui convient. Mais l’impôt, même anonymement, crée du lien social. Le démuni, le bénéficiaire de minima sociaux, gagne à ce qu’un « riche » contribue à la solidarité que la collectivité a choisi d’exercer à son égard. Il perd quand celui-ci s’en va.
Puni les « exilés fiscaux », c’est punir l’ensemble des Français. Il est plus que temps d’abandonner ce vocabulaire et la manière de voir qui va avec pour inciter les candidats au départ à rester et encourager ceux déjà partis à revenir.