7 novembre 2014 • Analyse •
La chute du régime de Blaise Compaoré au Burkina Faso a surpris nombre d’observateurs. Elle est porteuse de deux leçons pour l’Afrique où nombre d’élections sont prévues dans les prochains mois.
Pour les dirigeants africains, la chute de Blaise Compaoré est porteuse de deux leçons. La première est que la croissance économique du Burkina Faso, sa relative stabilité, le poids international et l’autorité de son dirigeant à travers des médiations internationalement saluées, n’ont pas suffi auprès d’une partie de la population pour légitimer une révision de la Constitution afin de briguer un nouveau mandat. La persistance des inégalités – le Burkina Faso est classé 181e au classement de l’IDH du PNUD – et le rejet d’une famille au pouvoir depuis 1987, omniprésente dans les affaires, ont davantage pesé en faveur d’un changement. Une partie des Burkinabè ont décidé de descendre dans les rues pour défendre une certaine idée de leur pays, du droit et de la politique.
Deuxième leçon, ce qui ressemblait à un accord tacite des partenaires internationaux du Burkina envers le « cher Blaise » a volé en éclat, alors que ces derniers mois une certaine ambivalence prédominait. Avant les manifestations, les États-Unis avaient certes pris position à plusieurs reprises contre des modifications constitutionnelles destinées à permettre aux dirigeants en fin de mandat de se représenter. Toutefois, lors du sommet États-Unis/Afrique moins d’un mois plus tard, en dépit de réaffirmations d’une position de principe contre les modifications de Constitutions, les questions économiques et la stabilité du continent dominaient les discussions, suscitant une désillusion des opposants aux pouvoirs en place. Concernant la France, le 14 juillet 2014, dans son discours prononcé à l’occasion de la fête nationale française, l’ambassadeur Gilles Thibault insistait sur le nécessaire « respect de toutes les personnes et des institutions » au nom du « bien commun avant la satisfaction des intérêts personnes », mais également sur l’importance de laisser les Burkinabè « décider » de leur avenir ainsi que les vertus du dialogue « pour parvenir […] à une solution heureuse répondant aux aspirations du peuple et de sa majorité silencieuse ».
Mais sous la pression populaire, les lignes ont bougé. Le 22 octobre dernier, alors que le gouvernement burkinabè avait décidé la veille de soumettre le projet de loi de modification de la Constitution au vote des députés, le Quai d’Orsay, par la voix de son ministre Laurent Fabius, affirmait son attachement au respect des règles démocratiques. Surtout, six jours plus tard et tout en rappelant le soutien de son pays à l’Union africaine, le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères Romain Nadal, évoquait la possibilité de sanctions face à « tout amendement ou toute révision des constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique », et constitue un « changement anticonstitutionnel de gouvernement ». Que le président burkinabè soit un partenaire clé des Occidentaux depuis plusieurs années, un médiateur apprécié et respecté, n’y a rien changé.
La révolte des Burkinabè va-t-elle faire des émules ? La question reste ouverte. Cependant, elle agite la toile et va peser lourd sur un continent africain où la recherche de la réélection tend bien souvent à suppléer les programmes politiques des gouvernants pendant leur second mandat. Dans les deux Congo, au Rwanda et au Burundi, pourraient en effet être organisées, dès 2015, une série de consultations populaires destinées à modifier des constitutions empêchant les chefs d’États en exercice d’être candidats à leur propre succession. Or après la chute de Blaise Compaoré, les partisans de limitations du nombre de mandats apparaissent en position de force. De même le Cameroun, qui connaît un relatif développement mais où Paul Biya règne depuis 1982, pourrait subir le contrecoup de la révolution burkinabè, tout comme le Togo et le Gabon, où Faure Gnassingbé et Ali Bongo font face à une opposition de plus en plus active et mobilisée, demandant notamment au Togo à ce qu’une limitation des mandats soit inscrite dans la Constitution.
Tous les dirigeants africains ne sont pas concernés de la même façon. Ceux contrôlant étroitement les médias et les forces de sécurité, prompts à réprimer toute manifestation ou opposition un peu trop critique, moins sensibles à des sanctions internationales, auront moins à craindre que ceux ayant fait le choix de l’ouverture et de l’interdépendance. La révolution burkinabè doit également être replacée dans l’histoire récente du Burkina, avec une crise grave en 2011 suivie d’une montée et d’une structuration de la contestation politique depuis 2013, autour du refus d’un Sénat et d’une révision de la Constitution.
S’il est encore trop tôt pour parler d’un « printemps noir », peut-être même d’un « printemps burkinabè », la mobilisation populaire contre Blaise Compaoré témoigne en tout cas, trois ans après le « printemps arabe », des changements qui affectent progressivement une Afrique subsaharienne en mutation, avec une société civile de plus en plus organisée et désireuse de peser dans les débats publics.