Burkina Faso · Quatre questions sur l’avenir d’un pays clé

Antonin Tisseron, chercheur associé à l’Institut Thomas More

14 novembre 2014 • Analyse •


Après le renversement de Blaise Campaoré, l’avenir du Burkina Faso inquiète et interroge. Comment les acteurs de la transition vont-ils parvenir à engager le processus de retour à la normale en maintenant la stabilité du pays ? Comment réconcilier une société burkinabè largement polarisée ces dernières années ? Quel impact sur la région aura la chute d’un régime qui avait fait de la lutte anti-terroriste et de la coopération avec les Occidentaux, France et États-Unis en tête, deux axes forts de sa politique ?

Où en est-on du processus de transition ?

Avec l’accord entre civils et militaires sur la charte de transition, le spectre d’une instabilité du Burkina Faso et de répliques aux manifestations ayant entraîné le départ de Blaise Compaoré s’éloigne. Et c’est très clairement une bonne chose. Un délitement de l’État aurait en effet été potentiellement lourd de conséquences dans une région déjà fragile. La précarité de la situation politique et sécuritaire au Mali, une jonction opérationnelle entre Boko Haram et les groupes armés présents dans le Sahara – critiquée par nombre de spécialistes –, le retour en Afrique du Nord de jihadistes ayant combattu en Syrie et le chaos libyen constituent autant d’éléments qui inquiètent les dirigeants sahéliens.

Ceci étant, rien n’est vraiment pour l’instant joué et la transition ne fait que commencer. La polarisation de la société burkinabè depuis plusieurs années a laissé des traces, rendant d’autant plus difficile l’association au processus en cours des membres d’un parti présidentiel qui reste influent auprès d’une partie de la population et ne saurait être balayé d’un revers de la main. Les attentes économiques et sociales sont fortes au sein d’une partie de la population civile, créant un climat potentiellement explosif. Quant aux chefs des partis d’opposition, ils seront amenés – à moins que le choix d’un gouvernement d’union nationale soit effectué – à s’affronter lors des prochaines élections avec le risque de voir une radicalisation des discours pour récupérer les mécontentements à des fins électorales.

Quelles sont les réactions des chefs d’État ouest-africains ?

En Afrique de l’Ouest, la plupart des chefs d’État ne regrettent pas Blaise Compaoré, à part Alassane Ouattara, proche de l’ancien dirigeant burkinabè. Certes, le Burkina Faso s’est positionné comme un acteur de premier plan des opérations de paix. Outre les troupes déployées au Mali, un bataillon burkinabè et une unité de police sont présents depuis 2009 au Darfour, ainsi qu’une autre unité de police en Guinée, auxquels s’ajoutent quelques déploiements plus légers. Le Burkina Faso s’est également engagé à plusieurs reprises dans des médiations saluées internationalement, car permettant de renouer le dialogue entre les acteurs de la crise, de déposer les armes, et d’enclencher un processus de règlement politique.

Mais, à côté de ces actions, il y a une face plus sombre à la diplomatie burkinabè. Certains aspects en sont déjà connus : implication aux côtés de Charles Taylor dans le conflit au Liberia, participations aux trafics dans la sous-région, rôle dans la tentative de coup d’État en Côte d’Ivoire en 2002. D’autres vont d’ailleurs certainement encore émerger à la faveur du changement de régime et du départ d’un dirigeant dont l’influence et l’importance pouvait gêner. En revanche, dans ces déballages, à l’image d’un proche du président béninois affirmant que ce dernier « recevait un coup de fil menaçant de Ouagadougou » lorsqu’il annonçait son refus de briguer un nouveau mandat, il faudra rester prudent. Rejeter la faute sur Blaise Compaoré arrange, peut-être parfois un peu trop.

Et la France ?

La timidité du Quai d’Orsay à prendre position en faveur d’un départ de Blaise Compaoré et le rôle joué par des militaires français dans son évacuation ont été abondamment relayés. Ces deux éléments appellent deux remarques. D’abord, l’image d’une France soutien indéfectible à Compaoré doit être fortement nuancée au regard du courrier envoyé par François Hollande à son homologue burkinabè dès le 7 octobre. Entre un soutien clair et affiché ou un attentisme ponctué d’un refus de l’ingérence, la différence est importante. Ensuite, Blaise Compaoré garde de nombreux soutiens en France. Il ne faut pas oublier qu’il est l’artisan de l’accord de Ouagadougou du 18 juin 2013, que ses réseaux ont permis de négocier directement avec AQMI la libération d’otages, et qu’il s’est imposé comme un partenaire clé des Occidentaux dans lutte contre les groupes terroristes. Il est même possible qu’il continue de jouer un rôle dans la sous-région.

Va-t-on vers une rupture de la politique étrangère du Burkina ?

Dans certains domaines oui, dans d’autres non. L’activisme en matière de médiation appartient probablement au passé, tant cet aspect de la politique burkinabè, tout comme une partie de la diplomatie parallèle du pays, était entre les mains du Président et de ses conseillers. De même, les relations entre le Burkina Faso et la Côté d’Ivoire vont pâtir de l’accueil par Ouattara de Blaise Compaoré, avec qui il entretenait d’excellentes relations.

Mais, à l’inverse, et même si in fine tout dépendra de ceux qui arriveront au pouvoir à Ouagadougou, il y aura des permanences. Du fait de son enclavement, de sa position centrale et de la vulnérabilité du nord du pays face aux répercussions de l’instabilité malienne, le Burkina ne peut se détourner de la scène diplomatique régionale, tout comme il ne peut se mettre à dos des voisins disposant d’une infrastructure portuaire. Nombre de ténors de l’opposition sont également des anciens soutiens de Blaise Compaoré, rendant d’autant plus hypothétique une rupture franche avec l’ancien gouvernement. Enfin, en matière de réformes économiques, le Burkina est étroitement dépendant des bailleurs internationaux.