Ne cédons pas sur le nucléaire iranien

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

19 novembre 2014 • Opinion •


Un accord doit être trouvé d’ici au 24 novembre. Soucieux de fonder un nouvel équilibre géopolitique, les Occidentaux auraient tort de faire des concessions à l’un des pays qui déstabilisent tout le Moyen-Orient.


Depuis 2002, il est avéré que Téhéran viole les obligations contractées dans le cadre du traité sur la non-prolifération, l’Agence internationale de l’énergie (AIEA) accumulant données et rapports. L’Iran possède 20 000 centrifugeuses, réparties sur deux sites d’enrichissement (Natanz et Fordow). Parallèlement, un réacteur à eau lourde est en construction à Arak.

En dépit de l’accord intérimaire, la quantité d’uranium enrichi s’est accrue. Téhéran dispose de plus de 7 600 kg d’uranium enrichi à 5 %, contre 6 000 kg en 2013. Le pouvoir iranien a certes accepté de diluer une partie des 186 kg d’uranium enrichi à 20%, mais l’opération est réversible, et il conserve les moyens de mener un programme militaire.

Si les résolutions des Nations unies exigent la fin du processus d’enrichissement, les négociateurs ne cherchent plus qu’à limiter le nombre de centrifugeuses iraniennes et à mettre en place un système de contrôle leur accordant un délai suffisant pour agir si nécessaire. C’est un recul.

En contrepartie de maigres concessions, sans collaboration sincère avec l’AIEA, l’Iran bénéficie d’une levée partielle des sanctions internationales (le pétrole iranien est à nouveau exporté) et il a fait reconnaître un « droit à l’enrichissement » unilatéralement proclamé. Bref, les dirigeants iraniens n’ont pas cédé sur l’essentiel, et ils progressent vers leur objectif central : devenir un « État du seuil » capable de passer au stade militaire.

Sur cette réalité brute sont plaquées espérances et représentations. L’élection sous contrôle de Rohani prouverait que l’Iran est sur le chemin de la modération, la volonté de s’insérer pacifiquement dans la mondialisation prenant le pas sur le révolutionnarisme islamique. Certains vont plus loin. Nous serions à la veille d’un retournement géopolitique fondé sur l’opposition commune de l’Occident et de l’Iran au djihadisme sunnite. Une nouvelle grande alliance pourrait voir le jour.

Ces vues sont contrefactuelles. La politique agressive et dominatrice de l’Iran est l’une des forces chaotiques du Moyen-Orient. Le programme nucléaire, les essais balistiques et la constitution d’un arc chiite ont provoqué les régimes arabes sunnites, poussés à des jeux dangereux qui se retournent contre eux. Conjugué aux effets de la guerre en Syrie, l’appui de Téhéran au sectarisme d’Al-Maliki, l’ancien premier ministre irakien, a servi la montée en puissance de l’État islamique.

Aussi les négociateurs occidentaux doivent-ils rester centrés sur leur premier objectif : non point orchestrer un nouvel ordre régional, ou faire advenir un Iran démocratique et libéral, mais s’assurer que Téhéran n’accédera pas à l’arme nucléaire. La reconnaissance d’un droit à l’enrichissement et l’acceptation d’un nombre significatif de centrifugeuses, moyennant un dispositif de contrôle transitoire déjà présenté comme attentatoire à la souveraineté nationale, ne vont pas dans le sens de l’objectif recherché.

La solution qui consisterait à évacuer l’uranium hautement enrichi vers la Russie, chargée de le convertir en combustible pour la centrale nucléaire de Bouchehr, laisse sceptique. D’une part, Téhéran n’acceptera pas de se dessaisir de la totalité de son stock ou s’efforcera de le reconstituer. D’autre part, la volonté de Moscou de s’opposer à l’Occident sur tous les fronts ne préjuge pas d’une coopération durable. On peut redouter l’usage que Poutine ferait de ce nouveau levier de pouvoir.

Si la diplomatie française a un rôle particulier à jouer dans cette négociation, c’est celui d’être la gardienne des principes, envers et contre la volonté forcenée d’aboutir et de sceller une réconciliation historique. Le fond du sujet est trop grave pour être sacrifié aux apparences, et l’absence d’accord est préférable à un mauvais accord. Il faut tenir la ligne.