5 janvier 2015 • Entretien •
Depuis plusieurs mois le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian souhaite alerter ses homologues sur la situation en Libye, dénonçant la création d’un « hub jihadiste ». A quel point la situation s’est-elle détériorée dans le pays ces dernières semaines ?
Ces dernières semaines, il y a eu deux évolutions. La première est liée à une intensification des combats entre les autorités de Tobrouk et la coalition Aube libyenne, avec notamment des affrontements autour des terminaux d’Al-Sidra, de Ras Lanouf et de Brega. Chacun campe sur ses positions et refuse toute négociation, en dépit des efforts de l’émissaire spécial des Nations Unies en Libye, des pressions internationales et des menaces de sanctions. La seconde renvoie à une implantation progressive de l’organisation État islamique. Alors que le 3 décembre dernier, le général américain David Rodriguez, chef de l’US AFRICOM, affirmait que des camps avaient été installés dans l’Est du pays, l’organisation revendiquait le 27 décembre son premier attentat à la voiture piégée à Tripoli.
Dans ses vœux aux soldats français sur la base nigérienne de Madama, le ministre a déclaré que « la communauté internationale ne devait pas se laisser développer un sanctuaire terroriste » dans la région. Doit-on s’attendre à une troisième intervention française en Afrique ?
Aucune option n’est à écarter. Pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour, Jean-Yves Le Drian ayant affirmé qu’il était avant tout de la responsabilité des États voisins de la Libye et de la communauté internationale de chercher des solutions. En fait, on est dans un moment d’élaboration des réponses possibles, de réflexion, de sensibilisation et de mobilisation. Mais il est certain que les militaires français réfléchissent à un tel scénario et, dans l’hypothèse d’une intervention, la France participera. Reste la question des moyens disponibles pour une armée soumise à des contraintes budgétaires très fortes, qui réduit ses effectifs, et dont 8 500 militaires sont déjà engagés en opération. La marge de manœuvre est étroite.
Après avoir précipité la chute de Khadafi avec l’opération Harmattan et laissé le pays en proie au chaos, la communauté internationale est-elle prête à intervenir de nouveau en Libye ?
La communauté internationale est divisée sur ce sujet. L’ONU, tout comme l’Union africaine, privilégient la négociation pour tenter de mettre fin au conflit opposant les partisans du parlement de Tobrouk et l’Aube libyenne. De leur côté, les États du G5 du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) ont appelé à une intervention internationale pour neutraliser les groupes armés en Libye, la présence de jihadistes dans le pays constituant une menace directe pour leur stabilité, avec la crainte de voir s’étendre en Afrique l’organisation État islamique. Ils ont d’ailleurs officiellement adressé une demande en ce sens au Conseil de sécurité de l’ONU et à l’Union africaine. Prête ou pas prête, la communauté internationale devra donc décider si oui ou non elle interviendra, avec quel objectif, selon quelles modalités, et dans quel cadre géographique.
Beaucoup de jihadistes fuient le secteur sahélien pour trouver refuge dans le désert libyen. Il semble qu’ici on paye le coût de notre opération contre les terroristes du nord-Mali. Une nouvelle intervention ne fera-t-elle pas que déplacer une nouvelle fois le problème ? Quelles autres solutions envisager ?
De toute façon, une intervention militaire s’accompagnera de mouvements des groupes jihadistes, du moins de certains, qui seront amenés à chercher d’autres zones de repli, au Sahel ou ailleurs. De même, le jihadisme dépasse largement les frontières libyennes et la solution à la guerre civile est avant tout politique. Ceci étant, alors que la Libye a sombré dans la guerre, ne rien faire ne peut être une option satisfaisante contre des organisations dont l’idéologie est incompatible avec le système international actuel et ses valeurs et qui, en profitant de la situation dans le pays, cherchent à s’y implanter et à ouvrir un nouveau front. Sans pour autant considérer la réponse militaire comme suffisante, voire même satisfaisante pour mettre fin à la guerre civile, elle est nécessaire pour enrayer les dynamiques de territorialisation et de recrutement de jihadistes transnationaux contre lesquels les autres solutions sont limitées.