13 mars 2015 • Opinion •
En plus d’être incompatible avec le principe de solidarité et le système de paiement, la généralisation du tiers payant conduit vers une étatisation de la santé.
« On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens », Marisol Touraine, connaît ses classiques et applique à la lettre la prophétie mitterrandienne. La ministre de la Santé a déclaré à l’Assemblée nationale le 10 mars dernier : « l’accès aux soins doit être facilité sur le plan financier, ce qui explique la mise en place du tiers payant, c’est une loi de justice, une loi de progrès social ». Si personne ne conteste l’utilité du tiers payant, c’est sa généralisation qui n’a rien d’un progrès social, et ce pour plusieurs raisons.
La solidarité du modèle français entre les bien-portants et les malades portent sur des prestations universelles versées en fonction des frais occasionnés par la maladie, indépendamment des revenus, sans que les soins soient gratuits. Ce point est fondamental. L’objectif solidaire est que les frais de santé ne soient pas un obstacle à se soigner.
Cette solidarité peut s’accompagner d’un certain niveau de frais à la charge du patient, à la condition que cela ne génère pas de renoncement aux soins. C’est pourquoi ce système de solidarité est complété depuis l’origine par une mutualisation assurantielle privée, dont les règles sont distinctes. Les données démontrent clairement que c’est le dysfonctionnement de ce système complémentaire qui est à l’origine des renoncements aux soins. Le tiers payant généralisé (TPG) ne règle rien aux causes majeures de renoncements aux soins.
Notre système solidaire intègre déjà une dispense d’avance de frais, le tiers payant, pour les plus bas revenus. C’est ainsi que le tiers payant est un droit pour 10 millions d’assurés à faible revenu, et est appliqué sur bien d’autres groupes de patients (au global, 35 % des actes des généralistes et 42 % de ceux des spécialistes). Si le gouvernement avait une ambition sociale et des données fiables justifiant l’extension du tiers payant, il lui suffirait de relever le seuil de revenus donnant accès au tiers payant.
Son objectif social serait atteint, sans démagogie et en respectant le fonctionnement solidaire de notre système de santé. La frontière entre l’extension du tiers payant pour des raisons sociales et sa généralisation à tous les citoyens est la ligne jaune à ne pas franchir pour ne pas casser le modèle solidaire français.
Le TPG s’intègre naturellement dans un modèle de santé à payeur unique, l’État, comme c’est le cas dans la plupart des modèles européens. Quand ce n’est pas le cas comme en Allemagne, il existe au moins un payeur unique par acte et l’assurance privée est supplémentaire et non complémentaire. Cela permet une gestion technique relativement simple et des coûts administratifs modérés. La France se caractérise par un système à payeurs multiples et rien n’a été fait ces dernières années pour le simplifier, bien au contraire.
Les 14 régimes de base obligatoires sont gérés par 86 opérateurs. Ce n’est rien par rapport à l’éclatement du système complémentaire qui regroupe près de 650 opérateurs dispersés dans trois familles d’assurance régies par trois codes différents, toutes très soucieuses de leur indépendance.
À cette complexité structurelle, de multiples mesures telles que les contrats responsables, le contrat d’accès aux soins ou les franchises médicales sont venus aggraver la situation. À tel point que la mise en place du TPG est techniquement irréaliste d’ici à 2017 et nécessite des fonds très importants dont l’Assurance maladie ne dispose pas. Nous sommes bien en pleine utopie technique et financière avec le TPG, qui ne verra jamais le jour au moins pour ces raisons-là. En ignorant les réalités, le gouvernement discrédite un peu plus l’action politique, déjà suffisamment dégradée.
L’installation du TPG s’inscrit dans un ensemble plus large de mesures de ce projet de loi et des législations récentes qui concourent à étatiser notre modèle de santé, mais qui se heurtent à certaines forces en présence.
La première est la gouvernance opérationnelle confiée à la démocratie sociale autour de l’Assurance maladie. L’État a progressivement repris en main cette gouvernance, l’article 11 de la loi parachève cette évolution en confiant les pouvoirs d’organisation territoriale, à des agences régionales d’État, sans aucun contre-pouvoir.
La deuxième force est les médecins libéraux qui représentent le mode d’exercice dominant en ville et dans l’hospitalisation privée. Le modèle public d’État nécessite de disposer majoritairement de médecins salariés. Pour cela, il est nécessaire pour l’État de désinciter au maximum les jeunes médecins de choisir l’exercice libéral, d’où le travail de sape réalisé ces dernières années sur les conditions économiques et sociales de cet exercice.
De plus en plus, les jeunes médecins choisissent le salariat par défaut, la dégradation des conditions d’exercice en libéral rendant l’installation trop précaire. Le TPG entre dans ce mécanisme de vider de son sens l’exercice libéral dont le paiement direct est un pilier.
Enfin, l’étatisation rend nécessaire de restreindre progressivement le service public hospitalier au secteur public (article 25 de la loi santé), afin de sortir ce dernier du secteur concurrentiel. Comme pour l’exercice libéral, l’État fragilisera ensuite suffisamment le modèle économique des établissements hospitaliers (une fois sortis du service public) pour restreindre leur usage aux soins des plus aisés, qui seront principalement financés par des assureurs privés. On aura alors institutionnalisé une médecine à deux vitesses, logique du système public étatisé.
À noter que cette évolution se fonde sur les principes du modèle anglais, mais nous finirons, si le projet aboutit, à un modèle à l’américaine du fait du poids économique et politique très fort du secteur privé assurantiel. Le TPG en France s’accompagnera des réseaux de soins conventionnés, étendus aux médecins, la mesure est déjà annoncée. Le résultat outre-Atlantique est limpide : des niveaux de coûts de gestion et d’inégalités sociales sur les soins de loin les plus élevés des pays développés.
Dans un tel contexte, les Papous bien-pensants de notre pays s’efforceront d’accepter qu’une partie de la population rejette et s’oppose à cette évolution, dans laquelle s’inscrit le TPG. Dans le pays des lumières où le triptyque « égalité, liberté, fraternité » est au cœur de la promesse républicaine, elle représente sans aucun doute une régression sociale !