20 novembre 2015 • Opinion •
Les attentats du 13 novembre doivent nous convaincre d’une chose – que certains déniaient encore après ceux de janvier dernier : nous sommes en guerre. Assurément elle sera longue, difficile et sanglante. Il faudra la conduire sur le théâtre extérieur comme sur le théâtre intérieur. Elle demandera des moyens et des outils. Mais elle réclamera avant tout qu’on se persuade qu’elle est autant culturelle et morale que militaire, policière ou judiciaire. La guerre qui nous attend exigera de nous autant de force d’âme que de force d’armes.
Après les terribles attentats qui ont touché la France le 13 novembre, les armes parlent et c’est bien ainsi. Elles parlent sur le théâtre extérieur comme sur le théâtre intérieur pour la protection des Français et pour signifier à nos ennemis qu’ils ne l’emporteront pas. C’est bien ainsi. Nulle satisfaction, nul hubris, nulle désir de vengeance, nulle « ébriété guerrière », comme l’écrit scandaleusement Le Monde diplomatique. Il s’agit, avec sang-froid et gravité, d’être à la hauteur du défi qui nous est lancé par nos ennemis. Selon la logique si bien mise au jour par Julien Freund, théoricien de l’« essence du politique », on ne choisit pas ses ennemis : ce sont eux qui nous assignent.
Les armes parlent donc et il convient de nous donner les moyens d’une guerre qui assurément sera longue, difficile et sanglante. Si l’on peut s’interroger sur la pertinence des propositions de François Hollande, faites devant le Congrès le 16 novembre, sur les modifications qu’il souhaite voir porter à la Constitution, on ne peut qu’approuver les propositions faites devant le Congrès en matière d’accroissement des moyens mis à la disposition des forces de sécurité et de l’armée. L’outil militaire français, pour remarquable qu’il soit, est structurellement sous-financé. Il est plus que temps d’y remédier.
Les armes parlent déjà en Syrie. Il faudra de la patience, de la détermination et de la longueur de vue pour sérieusement affaiblir l’État islamique, avant de le détruire. Tout est délicat dans l’« Orient compliqué », les contradictions géopolitiques régionales et internationales ne sont pas abolies, la question du devenir de Bachar Al-Assad reste ouverte. Mais, à de certains moments, l’enchevêtrement des causes, des effets et des risques se simplifie et la hiérarchie s’impose : oui à la coalition la plus large possible et oui à la remise à plus tard du cas Bachar Al-Assad. Ces choix ne sont pas sans immenses dangers et l’échec de l’intervention américaine en Irak doit nous instruire. Mais si l’heure n’est pas à la guerre totale (dont nous n’avons de toute façon pas les moyens, faute de solution concernant l’engagement au sol), elle est à la nette montée en pression.
Pour autant, dans la guerre dans laquelle nous sommes engagés, le fer et le feu ne suffiront pas. La réponse à l’ennemi ne pourra pas être que militaire, policière ou judiciaire. La bataille est aussi, ou plutôt avant tout, culturelle et morale. Dans son discours prononcé devant le Congrès, le président de la République a notamment estimé que nous n’étions « pas engagés dans une guerre de civilisation, parce que ces assassins n’en représentent aucune ». Si le temps n’est pas à la polémique, il convient de montrer ce que cette affirmation a de spécieux et de révélateur à la fois.
Elle est d’abord spécieuse car elle laisse entendre qu’il n’y aurait de « guerre de civilisation » que dans le cas où deux civilisations structurées s’affronteraient de manière ouverte. Cela n’a jamais été le cas dans l’histoire – la civilisation n’est pas, en soi, un acteur historique de plein exercice. La France, pas plus que l’Europe, ne sont « la civilisation ». Mais, de même que le Royaume-Uni ou les États-Unis face à l’horreur nationale-socialiste il y a soixante-dix ans, elles peuvent l’incarner. Face à un ennemi barbare qui veut notre mort pour ce que nous sommes, les nations qui se dressent incarnent la civilisation, c’est-à-dire une vision plus haute de l’homme et de la dignité humaine.
Mais le déni présidentiel est aussi révélateur. Révélateur de la difficulté d’assumer justement ce que nous sommes, ce pourquoi nos ennemis nous attaquent. Depuis trop longtemps, nos élites se complaisent dans la « dilution dans l’universel » (Aimé Césaire) et se refusent à la modeste et froide remarque faite par Pierre Manent dans La raison des nations (2006) : « Puisque les autres le disent, il est probable que nous existons quand même et que nous sommes quelque chose ». Sans doute ne sommes-nous pas « les croisés » que nos ennemis voient, ou disent voir, en nous. Mais nous sommes français, de culture chrétienne et appartenons à la civilisation européenne. Voilà ce que nous avons à défendre. Voilà ce que nous voulons demeurer.
Pour mener le combat, il faudra mieux, le temps de l’émotion passé, que des bougies à nos fenêtres et des « appels à la résistance » à fréquenter les terrasses des cafés. Il faudra tourner le dos aux totems mortifères de l’époque : laïcité dressé en laïcisme militant, égalité tournée en égalitarisme, relativisme érigé en morale commune, consumérisme mué en « culture ». Il faudra mettre fin à des décennies de « déconstruction », de critique systématique, d’autodénigrement, de repentance, mais aussi d’arrogance, d’ignorance satisfaite, de ricanement devant tout ce qui fait la culture et la tradition. Et qu’on en soit bien persuadé : l’incantation des « valeurs républicaines » et du « vivre ensemble » n’y suffira pas. Il y faudra, sans rodomontade mais sans honte, la réaffirmation de la culture et des manières de vivre qui fondent et font l’identité française. Puisqu’« il n’y a pas d’unité sans transcendance », comme l’avait rappelé Régis Debray après les attentats de janvier, il y faudra plus que de la politique : du symbolique, du sensible, voire du spirituel. Il y faudra les ressources de l’âme.