Décembre 2015 • Analyse •
Les élections régionales françaises de décembre 2015 consacrent les nouvelles régions issues de la nouvelle délimitation diminuant de neuf leur nombre. Annoncées comme devant former des blocs suffisamment forts pour peser dans le concert européen, ces nouvelles entités administratives semblent être plutôt des colosses aux pieds d’argile.
En ce mois de décembre 2015, les Français votent pour élire les représentants des nouvelles régions issues de la réforme territoriale et il convient de se demander ce qui a changé ou pas depuis le vote des derniers textes en matière territoriale. En réalité, les pouvoirs des présidents de régions ne se trouvent guère modifiés dans le cadre de la nouvelle délimitation des régions. Certes, une loi Notre (nouvelle organisation territoriale de la République) a été promulguée en août 2015. Ce texte confirme la suppression de la clause de compétence générale pour les régions (et les départements). Il précise que les régions ont compétence sur le développement économique, l’aménagement du territoire, la formation professionnelle, la gestion des lycées et les transports, y compris les transports scolaires. Quant à la culture, les sports, le tourisme, l’éducation populaire et les langues régionales, ces domaines relèvent à la fois des régions et des départements.
Mais la loi Notre ne se traduit par nulle avancée dans la décentralisation. Aucune nouvelle compétence n’est transmise de l’État aux régions. Pourtant, puisque la France est une République dont « l’organisation est décentralisée », depuis la réforme constitutionnelle de mars 2003, une gestion plus efficace du territoire aurait pu conduire à donner aux régions davantage de compétences en matière d’emploi, comme ce qui relevait auparavant de l’agence nationale pour l’emploi (ANPE), des responsabilités accrues en matière de formation professionnelle et continue, ou en matière d’aménagement du territoire en faisant de la région la responsable des questions d’intercommunalité sur son territoire.
La loi Notre n’organise que des concentrations en transférant certaines compétences auparavant assumées par les départements aux régions, comme les transports scolaires ou la totalité du développement économique. Or de tels transferts n’ont nullement été justifiés. Aucune étude n’a montré que les départements avaient mal assuré leur mission en matière de transports scolaires et que les transférer à l’échelon régional allait être plus efficace. D’ailleurs, le transport scolaire est un service de proximité alors que le rôle de la région est d’avoir une activité structurante sur les territoires afin de les rendre plus attractifs. Concernant le développement économique, là aussi, il est souhaitable que les régions aient un rôle structurant. Mais la prise en compte de la diversité des questions quotidiennes d’attractivité suppose aussi de la proximité que d’autres collectivités territoriales sont parfois mieux placées pour satisfaire. Il serait inefficace de tout centraliser à l’échelle régionale et il faut au contraire que les régions sachent utiliser, par exemple grâce à des délégations de compétences, ce qui existe et qui a fait preuve de réussite.
Ce réflexe centralisateur a une autre conséquence : celle du Big is beautiful. L’objectif annoncé de la réforme territoriale était notamment de renforcer les régions françaises pour qu’elles soient en mesure de rivaliser avec les puissants Landër allemands. Nous pouvons affirmer qu’il ne sera pas atteint. Pourquoi ? D’abord parce qu’une analyse fine montre que leur situation relative se détériore sous le simple effet des fusions (1). Ensuite, parce que l’État n’a nullement amélioré les moyens financiers des régions, qui se trouvent au contraire handicapées, comme les autres collectivités territoriales, par les décisions prises en matière de dotation. Les régions françaises disposent donc de finances fort limitées ; en outre, parmi leurs recettes, toute une partie va dans la gestion des agents administratifs et techniques des lycées dans des conditions largement fixés par l’État, avec extrêmement peu de marge de manœuvre pour les régions.
Les raisons de ce nouvel échec de la décentralisation en France sont toujours les mêmes. Les trois dernières réformes territoriales (loi sur les métropoles, loi sur la nouvelle délimitation des régions et loi Notre) n’ont fait l’objet ni d’une évaluation des multiples lois territoriales antérieures, ni d’un diagnostic fin des dynamiques territoriales ou de la gouvernance territoriale (2) dont l’importance est nettement plus grande que celle de la dimension du périmètre administratif. Par exemple, la loi instaurant quatorze métropoles administratives part d’un postulat selon lequel les territoires métropolitains sont automatiquement plus dynamiques que les autres, ce qui n’est nullement démontré (3). Sur la suppression de neuf régions, aucune réflexion préalable n’a été conduite ni sur sa réelle nécessité, ni sur les choix des mariages contraints. La loi ne fait qu’affirmer la nécessité de grandes régions, avec un raisonnement selon lequel tout ce qui est grand est magnifique, sans pour autant le justifier, tout simplement parce c’est injustifiable. Penser que l’Allemagne connaît des succès économiques en raison de Länder qui seraient plus grands est totalement erroné. Les écarts de taille et de population entre les Länder allemands ou entre les régions des différent pays européens sont beaucoup plus importants que ce qui existe en France jusqu’au 31 décembre 2015. Il n’y a nulle part corrélation entre la taille et le nombre d’habitants des régions et leur attractivité économique.
Au lieu de rajouter trois lois territoriales à la quinzaine de lois territoriales votées depuis le début du XXe siècle, il aurait d’abord fallu conduire un diagnostic raisonné et réfléchir au contenu d’une véritable décentralisation nécessaire dans un monde globalisée (4). Il aurait fallu bien définir ce qu’est le rôle d’une région. A mon sens, leur rôle est de conduire les actions structurantes rendant leur territoire plus attractif. Il s’agirait d’examiner les compétences pour lesquelles le niveau régional est plus efficace car il se trouve être la bonne échelle, par exemple en matière d’emploi ou d’enseignement supérieur. Cela suppose aussi de transférer, parallèlement aux compétences, des moyens de l’État aux régions pour les assumer. Cela suppose aussi de ne pas confier aux régions des tâches de proximité pour lesquelles les départements ou des communes sont mieux placés. En outre, et puisque les régions devraient essentiellement avoir un rôle structurant, il faut tailler dans le nombre d’élus régionaux dont les assemblées trop nombreuses engendrent des coûts et des complexités nombreuses. Rappelons que la région du Grand Londres compte 25 élus et que les députés des Länder allemands sont moins nombreux que dans les régions françaises, bien qu’assumant des pouvoirs incomparablement supérieurs.
Quant à la question du nombre des régions, il aurait fallu s’interroger sur le coût des fusions au lieu de promettre des économies, puis de se taire en raison de leur caractère fictif, pour enfin constater que ce coût est réel (5). Concernant les périmètres, il aurait fallu, pour que les citoyens y adhèrent et, ensuite, veuillent s’impliquer de façon optimale dans le développement régional, les consulter. Ce que font les meilleures démocraties où les changements de périmètres régionaux supposent des référendums.
Notes(1) Luc Florent, « La place des régions françaises dans l’Union européenne : améliorée ou détériorée avec la suppression de 9 d’entre elles ? », Population & Avenir, n°721, janvier-février 2015. (2) Gérard-François Dumont, Diagnostic et gouvernance des territoires, Paris, Armand Colin, 2012. (3) Gilles Poupard, « Développement local et emploi productif : un monopole des métropoles ? », Population & Avenir, n° 725, novembre-décembre 2015. (4) Gérard-François Dumont, « Les territoires dans la « mondialisation » : sur un trépied », Population & Avenir, n° 721, janvier-février 2015. (5) Cf. par exemple, concernant ces coûts directs, Le Parisien Magazine, 2 octobre 2015 et, concernant le temps de réalisation pour les services de l’État, soit au moins cinq ans, le rapport d’avril 2015, établi par les inspections générales, intitulé L’évolution de l’organisation régionale de l’État consécutive à la nouvelle délimitation des régions. |