« Nous devons réinventer une nouvelle forme de développement, plus local et plus harmonieux »

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

La Croix-transparent

19 janvier 2016 • Entretien •


Oxfam dénonce, dans son dernier rapport, la montée des inégalités dans le monde. Le fossé entre les riches et les pauvres est plus abyssal que jamais : les 1% les plus riches détiennent désormais 50,1% du patrimoine mondial, selon l’ONG. Mais, en se concentrant sur ce phénomène, elle oublie de rappeler que ce sont des centaines de millions de personnes qui sont sorties de la pauvreté, dans les pays émergents. S’il y a assurément un problème de modèle de développement, il ne faut pas se contenter de dénoncer ses effets pervers. Il faut chercher à le corriger, en visant un développement plus local et plus harmonieux.


Dans son rapport, Oxfam met en avant une concentration de richesse toujours plus grande. Qu’en pensez-vous ?

Il y a plusieurs vérités dans ce rapport, mais Oxfam choisit de mettre en avant celle dont les effets sont les plus contestables. Bien sûr, il y a clairement un développement des inégalités dans le monde. Personne ne peut le nier. Mais ce n’est pas un phénomène nouveau, même en France. Sous la Restauration, par exemple, des banquiers comme Laffitte avaient accumulé des richesses hallucinantes et faisaient déjà l’objet de nombreuses critiques.

Aujourd’hui, on peut simplement regretter que, dans son étude, Oxfam ne mette pas plus en avant ces millions de gens qui sont sortis de la pauvreté ces dernières années grâce, justement, à l’explosion des richesses liées à la mondialisation et au développement du commerce. Car c’est dans les grands pays émergents, là où il y a de la croissance, que les inégalités ont le plus augmenté récemment. Elles sont devenues des problèmes de nouveaux riches.

La question de la répartition des richesses se pose aussi chez nous…

En France, l’urgence est plutôt à trouver les moyens pour qu’il y ait un peu plus de croissance économique qu’à réduire les inégalités. Ce n’est pas nouveau, mais à force de faire croire le contraire, on ne fait rien. Pourtant, mieux vaut avoir un travail mal payé que pas de travail du tout. En 1992, Denis Olivennes avait publié un article retentissant, intitulé « La préférence française pour le chômage ». Tout était dit.

Considérez-vous que ces inégalités grandissantes en matière de richesses sont inéluctables ?

Non, nous sommes arrivés au bout d’un système de création de richesses. Nous devons réinventer une nouvelle forme de développement, plus local et plus harmonieux. Cela va être long et difficile car, ces dernières années, nous avons sans doute trop lâché la bride à un capitalisme hors-sol qui s’est largement déconnecté du réel.

Le vrai sujet est à la fois moral et éducatif, dans une réforme des mentalités plutôt que des systèmes. Il s’agit de rappeler aux élites, notamment économiques, leurs devoirs à l’égard de la population, en particulier leur participation au bien-être de la communauté. À cet égard, les patrons ont un peu plus de responsabilité que les autres, car ils ont plus de moyens. C’est vrai partout. En Europe, aux États-Unis, mais aussi en Chine où les élites économiques doivent favoriser l’émergence d’une classe moyenne.

La lutte contre les paradis fiscaux doit-elle être, selon vous, la priorité comme le dit Oxfam ?

Cela ne peut pas être la solution unique pour résoudre tous nos maux. Et imaginer que l’on peut rompre du jour au lendemain avec ces pratiques est une vue de l’esprit.