15 avril 2016 • Analyse •
Pendant des semaines, le projet de loi sur le travail a été présenté comme un comble de modernité et de libéralisme – au grand mécontentement de certains à gauche, à la satisfaction du patronat et de certains à droite. Au final, le Premier ministre annonce la taxation des contrats à durée déterminée… On nous promettait de « nouvelles libertés », on reçoit de nouveaux coups de bâtons. Seuls sont surpris ceux qui croient aux mirages. Le « social-libéralisme » de certains, largement fabriqué et illusoire, cache mal l’autoritarisme social de toute la gauche.
Cette nouvelle péripétie de la vie politique française doit servir de leçon et d’exemple : un écran de fumée ne fait pas une politique et tous ceux – centristes, une partie de la droite et du patronat – qui ont cru à la conversion de l’exécutif à des solutions libérales pour assouplir enfin le marché du travail en sont pour leurs frais. La mise sur orbite médiatique de la figure d’Emmanuel Macron, pur produit de la haute fonction publique au bilan indigent à la tête de son ministère (1), relève de la même illusion : elle occupe les médias et les sondeurs sans qu’elle ne signifie grand-chose dans la conduite des affaires du pays.
On se demande d’ailleurs comment une telle bulle peut si aisément se former, comment un tout petit monde peut, avec un tel allant, se préoccuper d’un phénomène si manifestement factice, si visiblement fabriqué et si ostensiblement éloigné de ce qui préoccupe les Français. Le « social-libéralisme » d’un Emmanuel Macron est-il beaucoup plus qu’une formule pour plateaux télé et conférence de presse ? Il ne pèse en tout cas d’aucun poids dans l’action publique du gouvernement ni – c’est au moins un mérite, si on y tient… – dans le bilan calamiteux des quatre années passées. Sans contenu, sans résultats, sans attaches : de la politique à l’état gazeux. Des mots, des tweets et des poses. On comprend, dès lors, que la nouvelle icône soit plus à l’aise à Davos que sur les marchés ou dans les zones pavillonnaires de la « France périphérique » – où se jouera pourtant l’élection présidentielle de 2017 – ou face aux 630 000 chômeurs de plus qui sont le vrai bilan de ce quinquennat.
Il ne suffit, en outre et surtout, pas à masquer la réalité de la politique conduite qui, elle, est empreinte, une fois les vapeurs du story telling dissipées, d’un conservatisme et d’un autoritarisme bien propres à la gauche. Méfiante devant la liberté, animée d’un égalitarisme sourcilleux, hésitant peu à jeter de l’huile sur le feu social, convaincue des bienfaits de l’État quand elle le dirige, la gauche française ne sait pas faire autrement : elle réglemente, taxe, oblige, encadre – en plus de faire la morale puisqu’elle est le camp du Bien. N’y revenons pas : la façon dont le Premier ministre s’efforce de mettre fin à la grogne de quelques milliers de « jeunes » qui ânonnent des slogans fabriqués pour eux par des syndicats et des mouvements venus de son camp (2) sur le dos des entreprises, en les taxant encore et toujours, est de ce point de vue exemplaire. Mais les exemples abondent.
Il n’est qu’à voir Najat Vallaud-Belkacem affirmant début avril que le ministère de l’Éducation nationale envisageait de modifier le système d’ouverture des établissements scolaires hors contrat pour passer d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation préalable, au motif de la lutte contre le risque de radicalisation de la jeunesse, remettant ainsi en cause le principe de la liberté d’ouverture d’un établissement d’enseignement (ce qui conduit à restreindre la liberté de l’enseignement, pourtant garantie par la Constitution) et oubliant que l’État peut déjà, dans le cadre légal existant, s’assurer qu’une école privée indépendante ne dissimule pas une autre activité (3).
On rappellera aussi avec quelle constance doctrinaire l’exécutif aura conduit son action en matière de politique familiale. Si l’affaire du « mariage pour tous » constitue assurément le sommet d’une politique qui a brusqué le corps social, il ne faut pas oublier les coups de matraques fiscaux que les familles ont eu à subir tout au long du quinquennat (quotient familial, mise sous condition de ressources des allocations familiales, etc.). Alors qu’on nous avait promis un quinquennat apaisé et réconciliateur, c’est bien une « tentation de contrôle intégral de la société » (4) qu’on voit à l’œuvre en redéfinissant à marche forcée les normes sociales et culturelles.
Autre exemple : les réformes territoriales conduites pendant ce quinquennat sans aucune concertation et dans une logique de recentralisation et de limitation des libertés locales. Passons sur la carte des treize grandes régions, décidée en catimini, au mépris de leurs habitants, de leur histoire et souvent de leur dynamique de développement spécifique. On retrouve cette approche administrativo-jacobine du Big is beautiful dans les dispositions de la loi NOTRe d’août 2015 qui établit notamment le seuil minimum de population pour la constitution des intercommunalités à 15 000 habitants (7 500 dans certains cas) et l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires – au risque de porter un coup sévère aux communes, notamment en zone rurales, qui sont pourtant le dernier lieu de confiance politique en France (5).
Bref, la gauche au pouvoir reste un pouvoir de gauche, dirigiste et facilement dogmatique. Pendant ce temps, les colères montent, les inquiétudes s’accroissent, le pays se fragmente. Et il est plus que douteux que le produit de synthèse d’un « social-libéralisme » sans prise avec le réel de la France et des Français soit le moins du monde capable de le remettre en marche…
Notes
(1) Sébastien Laye, Emmanuel Macron : l’illusion du social-libéralisme, Contrepoints, 8 avril 2016.
(2) « Pourquoi l’Unef est-t-elle toujours une écurie du parti socialiste? », 20 minutes, 9 avril 2015.
(3) Communiqué conjoint de la Fédération Nationale de l’Enseignement Privé et de la Fondation pour l’école, 8 avril 2016.
(4) Formule empruntée à Mathieu Bock-Coté, Le multiculturalisme comme religion politique, Le Cerf, 2016, p. 182.
(5) Gérard-François Dumont, « Territoires : des lois irréfléchies et inappropriées », La Revue parlementaire, novembre 2015.