Mai 2016 • Opinion •
Avec le retour, en février 2016, de l’aménagement du territoire dans la dénomination d’un ministère, le moment est venu de définir une nouvelle doctrine donnant leur chance à tous les territoires.
Monsieur le ministre,
La dénomination de votre ministère rompt avec tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2002. Donc, depuis quatorze ans, vous êtes le premier ministre de plein exercice dont la fonction commence par les termes « aménagement du territoire ». Les années précédentes, ces termes s’appliquaient à un ministre délégué, à un secrétaire d’État, ne figuraient qu’à la fin de l’intitulé d’un ministère ou avaient été écartés.
En effet, pendant près de quatre ans, le concept même d’aménagement du territoire avait disparu des désignations gouvernementales ; lui avait été substituée l’expression « égalité des territoires ». S’il s’agissait d’afficher comme objectif que l’État doit traiter de façon égale les territoires, il n’a guère été atteint, ne serait-ce qu’en ce qui concerne la DGF. En outre, ce qui fait la richesse des territoires français, c’est leur inégalité, le fait qu’ils soient tous différents. La géographie enseigne que les territoires sont par nature diversifiés et non-interchangeables, en raison même de leur localisation. Cette considérable diversité des territoires français est même la chance de l’Hexagone, qui possède la plus vaste superficie des pays de l’Union européenne.
La désignation de votre ministère annonce donc le retour bienvenu au concept essentiel d’aménagement du territoire, qui se définit comme l’ensemble des procédés et moyens mis en œuvre pour mieux rendre attractif le territoire et améliorer la qualité de vie de ses habitants. Nous savons la connaissance que vous avez de ces questions ; nous nous permettrons toutefois de vous faire part de quelques éléments de réflexion.
En matière législative, la France de ces dernières années, droite et gauche confondues, n’a pas été inactive : le Parlement a pratiquement voté une loi territoriale par an. Leurs intentions, qui n’ont pas guère été explicitées, se fondent en réalité sur deux éléments.
D’une part, les lois ont quasiment refusé toute avancée dans la décentralisation, en visant au contraire à affirmer, voire à renforcer les pouvoirs de l’État sur les territoires. Ainsi, l’État a multiplié les procédures administratives, dont certaines visent théoriquement à permettre aux territoires de parfaire leur attractivité. Dans les faits, le respect de ces procédures, dont la justification reste à établir, est souvent chronophage pour les élus comme pour leurs collaborateurs. Et la complexification des contraintes administratives crée une opacité dommageable pour la vie citoyenne. En outre, l’évolution de la législation en matière de fiscalité locale se traduit par une réelle recentralisation. Y a-t-il respect des principes d’autonomie locale lorsque l’État devient le premier contribuable local ?
D’autre part, les lois signifient, implicitement, la nécessité de « déménager » le territoire, c’est-à-dire de concentrer les populations, les activités, les infrastructures et les moyens financiers sous prétexte que seuls les territoires les plus peuplés seraient de nature à rendre la France compétitive. Autrement dit, big is beautiful, tout ce qui est grand est magnifique. Conséquence : la France est désormais le seul pays démocratique au monde à n’avoir, à l’exception de l’Île-de-France, que de vastes régions alors que, dans les autres pays, la taille des régions est extrêmement différente car elle est le fruit de l’histoire et de la géographie. La croyance en la vertu du big is beautiful a même conduit à violer un traité international, la Charte européenne de l’autonomie locale, qui précise, dans son article 5, que « pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet ». Et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a fini par dénoncer cette violation (« La démocratie locale et régionale en France. », mars 2016, point 208). Le résultat est clair, avec déjà des effets de concentration sur les capitales des nouvelles régions. Autre conséquence : penser qu’il suffit de décerner le titre de « métropole » à des territoires et de redistribuer quelques compétences entre les collectivités locales pour les rendre dynamiques, est illusoire.
Bref, l’évolution réglementaire consiste à penser que la concentration des hommes et des activités est souhaitable. Cela revient à considérer la grande majorité des territoires français comme un « tiers-espace », ce qui n’est pas sans rappeler la place réduite jadis accordée par l’Ancien Régime au tiers État.
Pourtant, les Français ne veulent pas de ce modèle jacobin et concentré, fondé sur une conception radiale désormais totalement désuète dans un monde réticulaire. En effet, la croissance démographique du monde rural est devenue supérieure à celle du monde urbain.
L’aménagement du territoire a donc besoin d’une doctrine qui balaie l’idéologie de la concentration qui ne pense qu’à centraliser les pouvoirs politique, économique, culturel et médiatique au sein d’un nombre limité d’espaces. Au contraire, il est temps d’expliquer qu’il n’y a de fatalité pour aucun territoire, même pour les plus enclavés. Grâce à de nombreux élus et citoyens, malgré le contexte législatif défavorable, de nombreux territoires ont d’ailleurs démontré que des projets sont possibles, que même des territoires en souffrance peuvent être réenchantés. Mais les nombreux exemples édifiants semblent ignorés des administrations centrales.
Cette doctrine doit expliquer que la France, dont le sous-sol est certes privé d’hydrocarbures ou de terres rares, dispose d’atouts sans équivalents qui tiennent aux caractéristiques géographiques variées comme aux héritages patrimonial et culturel de ses territoires.
L’État a pour mission essentielle de permettre aux territoires de déployer des gouvernances et des projets utiles à leur attractivité comme au bien commun de leur population. Dans ce dessein, un premier dossier concerne le numérique, outil nécessaire d’attractivité. C’est à l’État de permettre aux territoires de ne pas être pénalisés dans ce domaine. L’État est mieux placé que n’importe quelle collectivité territoriale pour s’imposer face aux opérateurs, compte tenu du nombre d’abonnés qu’il peut représenter. Il faut donc en finir avec l’implication insuffisante de l’État dans la couverture numérique de notre pays, qui a contraint les collectivités territoriales à être des sortes de supplétifs d’un État défaillant.
Un deuxième objectif concerne les questions de transport, et notamment de transport ferroviaire. Le tout-TGV s’est inscrit dans une logique du déménagement du territoire parce le TGV a été conçu comme un nouveau réseau sans rapport avec les autres, au lieu d’être pensé comme le réseau principal d’une arborescence irriguant les artères secondaires. Puisque la SNCF est une société nationale et que les effets de la concurrence dans le transport ferroviaire sont homéopathiques, la politique nationale d’aménagement du territoire doit introduire dans les transports un esprit de multimodalité, en promouvant des logiques de complémentarité dans un schéma réticulaire. Autrement dit, cette politique doit insuffler un tel esprit dans nos réseaux ferroviaires mais, plus généralement, dans l’ensemble des réseaux de transport, des plus rapides (aérien) à ceux qui le sont le moins (cyclable).
Parallèlement, il importe d’établir un véritable diagnostic du territoire français en repensant les critères des outils, aujourd’hui inadaptés, qui sont utilisés, particulièrement ceux d’unité urbaine et d’aire urbaine, tout en simplifiant les réglementations afin de permettre à la France d’être une mosaïque de territoires de projet.