23 novembre 2016 • Opinion •
Jean-Thomas Lesueur détaille, dans les colonnes de L’Opinion, les propositions du nouveau rapport de l’Institut Thomas More Réformer l’État pour gouverner la France.
La France entre dans une séquence présidentielle qui, à coup sûr, réservera des surprises : des surprises pour la droite, qui se plie pour la première fois à une primaire, comme pour la gauche, qui se débat pour ne pas sombrer. Ce bal des prétendants a au moins un avantage : l’abondance des réformes proposées.
Ces réformes, pour un bon nombre d’entre elles, risquent pourtant de se heurter à un mur. Pourquoi ? A cause de l’État. De l’État sclérosé et paralysé qui n’a plus en main la direction ferme de la décision publique. De l’État qui, devenu inefficace et omnipotent, craque de toutes parts. Sans une réforme structurelle de l’État, aucune réforme profonde de la France ne sera envisageable. Alain Peyrefitte l’écrivait il y a quarante ans dans Le Mal français : « Ce ne sont pas les Français qui sont ingouvernables. C’est le réseau français d’autorité qui ne permet pas de les gouverner ».
Colbert est toujours là ! L’État reste profondément centralisateur. Ce centralisme révèle son incapacité à faire confiance à l’action de ses agents sur le terrain et, moins encore, aux élus locaux. En témoignent les cinq millions d’actes pris annuellement par les collectivités territoriales et contrôlés par les agents de l’État (dans le cadre du contrôle de légalité), les 80 000 pages de circulaires qui s’abattent chaque année sur les préfets ou les 400 000 normes en stock ! L’État s’épuise dans une volonté vaine de tout contrôler.
C’est aussi ce « réflexe centralisateur » qui explique son incapacité à réviser ses missions. Malgré la montée en puissance des collectivités territoriales, il veut continuer à s’occuper de tout… au risque de l’impuissance publique.
Le fonctionnaire-politique assèche la démocratie
La première cause de cet échec tient aux hommes. Les hauts fonctionnaires captent les portefeuilles ministériels tandis qu’une majorité de fonctionnaires occupent des mandats, notamment parlementaires. La collusion entre politique et administration explique en partie l’assèchement du débat démocratique et la chape de plomb technocratique contre laquelle les peuples sont de plus en plus prompts à se révolter dans les urnes.
Cette collusion, étrangement, se fait dans la défiance. Le politique se protège de son administration en érigeant les hauts murs des cabinets ministériels, devenus pléthoriques, qui se substituent à l’administration qui, en retour, s’en défie. Ce face-à-face finit par développer des métastases qui rongent l’État. Le cumul des mandats s’y ajoute. La possibilité de développer de concert sa carrière politique et administrative sans avoir à faire un choix, en est une autre.
Un État qui finit par menacer la cohésion de la société
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’appareil d’État administre plus qu’il ne réforme. Plus exactement, il réforme mais avec tant de lenteur et de précautions, que les mesures sont privées de tout effet de levier. Combien de réformes des retraites depuis 1993 ? Combien encore seront nécessaires pour garantir le régime vieillesse ?
Prisonnier de corporatismes et de conservatismes puissants, l’État joue toujours le changement à la marge, le maintien du statu quo, la « recherche des équilibres ». Il perd ainsi en autorité et en efficacité.
Pourtant, dans notre pays, l’État n’est pas qu’un appareil administratif. Il est le socle sur lequel se fonde l’unité de la nation. Ne pas réformer l’État, c’est accroître la défiance de citoyens de plus en plus critique vis-à-vis de leurs institutions, c’est décourager les entrepreneurs qui se battent au quotidien contre la complexité d’une réglementation toujours plus tatillonne, c’est désespérer des fonctionnaires dévoués qui perdent le sens de leur action au service du bien commun. Bref, ne pas réformer l’État, c’est prendre le risque qu’il emporte dans sa dérive le pays tout entier.
Réformer l’État pour réformer la France
Fonctionnaires, hommes politiques, citoyens, nous sommes tous devant une responsabilité majeure : réformer l’État pour réformer la France. Il ne s’agit plus de confondre l’administration de la réforme avec la réforme de l’État. Les simplifications administratives relèvent de l’ajustement technique, bienvenu en soi, mais qui ne constituent pas une authentique œuvre réformatrice.
Celle-ci ne sera possible que si, en même temps que sont rendus à l’État les leviers de la décision publique là où son actions est nécessaire et légitime, un grand mouvement de déconcentration, de décentralisation et de dévolution de nouvelles libertés aux acteurs de terrain, est engagé. Il faut agir pour cela dans cinq directions.
L’émergence d’un nouveau personnel politique. Certaines mesures doivent être prises rapidement dans la foulée de l’élection présidentielle, pour adresser aux Français un signal fort. Il faut impérativement combler le fossé qui s’est creusé entre eux et la classe politique. Pour cela, il convient de l’ouvrir pour la renouveler. Il est temps, par exemple, d’obliger les hauts fonctionnaires élus à démissionner de la fonction publique, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Cela passe aussi par l’inscription dans la loi du non cumul strict des mandats dans le temps et dans l’espace et par la limitation à deux de tous les types de mandats (en établissant des dérogations pour les territoires ruraux afin d’éviter une carence de candidats dans les territoires ruraux). Il convient aussi de réduire le nombre de parlementaires tout en leur donnant davantage de moyens pour mieux accomplir, en particulier, leur mission de contrôle de l’exécutif (un congressman américain dispose, par exemple, de sept fois plus de moyens pour rémunérer ses collaborateurs qu’un parlementaire français).
Rénover l’élaboration de la décision publique. Après les hommes, la méthode. Et il faut agir dès la phase d’élaboration de la décision publique. Sa rénovation ne peut advenir sans une limitation drastique du nombre de personnes au sein des cabinets ministériels. Au lieu d’une trentaine aujourd’hui, il faut privilégier des cabinets politiques composés de cinq personnes, autour du ministre, qui devront s’appuyer sur l’administration pour conduire les réformes nécessaires, plutôt que la doublonner, voire la parasiter. C’est ainsi que ça se passe en Allemagne ou aux Pays-Bas par exemple.
Cela signifie aussi que la confiance entre ce cabinet resserré et les bureaux d’administration centrale appelle l’introduction d’un spoils system à la française.
Un travail sur la qualité de la rédaction de la loi est aussi à entreprendre d’urgence. La loi Macron comptait 290 articles et prévoyait 110 décrets ! L’exécutif doit réapprendre à rédiger des lois d’objectif, courtes et claires.
Réviser les missions de l’État et déconcentrer son action. Après son élaboration, la bonne application de la règle sur le territoire commande de réviser l’ensemble des missions de l’État pour privilégier l’efficacité. La liste des domaines où il conviendrait d’agir est longue. Citons-en quelques-uns. Pôle emploi et les régions doivent, par exemple, être entièrement chargés de l’emploi et de la formation professionnelle, sans que l’État n’ait plus à intervenir dans la mise en œuvre. Dans le champ de l’école, il faut non seulement donner plus d’autonomie aux acteurs mais il est possible de régionaliser très largement l’Éducation nationale. De même, il est temps plus largement déconcentrer la politique culturelle de l’État.
Favoriser un nouveau mode de pilotage plus agile. De cette nouvelle répartition des compétences, doit advenir un nouveau mode de pilotage de la décision publique, qui doit s’adapter à la politique à conduire et au territoire considéré. Par exemple, dans certains cas, le pilotage des départements (compris ici comme circonscriptions de l’État), doit être renforcé, comme dans la conduite de la chaîne pénale. Dans d’autres cas, il faut renforcer à la fois les directions régionale et départementale (et réduire la direction centrale), comme pour l’Éducation nationale. Mais parce que la France est faite de petites communes, il faut que la présence de l’État soit renforcée dans les territoires les plus ruraux ou en difficulté économique et sociale au niveau de l’arrondissement.
Vers l’État de confiance. Toutes ces mesures doivent tendre vers un objectif : l’État de confiance. Confiance entre l’État et les collectivités territoriales. Confiance entre l’État et ses fonctionnaires aussi. Mais surtout confiance entre l’État et les Français, en s’inspirant par exemple de la Big Society, mise en œuvre au Royaume-Uni ces dernières années, qui donne plus de libertés et d’initiatives à la société civile pour mieux impliquer les citoyens dans la gestion des affaires publiques.