25 mai 2017 • Opinion •
L’heure est-elle à la relance de l’« Europe de la défense » ? Certains veulent le croire, comme Emmanuel Macron et Angela Merkel. La nomination de la très europhile Sylvie Goulard au poste de ministre des Armées n’est sans doute pas étrangère à cet objectif. Pourtant, les obstacles à une avancée significative demeurent nombreux et la levée, avec le Brexit, de l’opposition britannique à une défense européenne pleinement constituée ne doit pas dissimuler les contradictions et les oppositions qui existent entre les autres États membres de l’Union européenne.
A la veille du sommet de l’OTAN de ce jeudi 25 mai, au cour duquel le président Trump va sans doute, comme son prédécesseur, demander aux Européens de prendre une plus grande part du « fardeau » (burden sharing) de leur sécurité et de celle du monde, il est utile de se pencher sur les capacités militaires disponibles pour la défense de l’Europe. Car, avant toute réflexion sur les architectures et les organigrammes, il convient de se faire une idée claire des moyens que les pays européens accordent à leur défense. Or qu’il s’agisse des moyens financiers, des moyens humains ou des matériels, l’état des lieux est alarmant.
Les Européens, pris dans leur ensemble, ne consacrent que 1,2% de leur PIB à la défense. Depuis deux ans, les budgets repartent à la hausse mais l’effort reste très en-deçà de ce que font les États-Unis (3,3%) ou la Russie (3,7%). Quant à la Chine, si elle en reste à 1,3% à ce jour, elle a déjà quadruplé son budget de défense en dix ans. Si les pays européens voulaient atteindre le seuil de 2% du PIB consacrés à la défense, recommandé par l’OTAN, ils auraient à produire un effort de 98 milliards d’euros par an – Pour l’Allemagne, cela représenterait 28 milliards, pour la France 2,3 milliards.
Cette dépense insuffisante est aussi très concentrée et a un rendement faible. Cinq pays (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Espagne) représentent plus de 75% des dépenses européennes de défense. Et, comme le dit Federica Mogherini, Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, elle-même, « leur rendement équivaut à 15% des dépenses américaines ». Ajoutons à cela des dépenses de R&D d’à peine 9 milliards (en 2014), soit un rapport de un à neuf par rapport aux États-Unis (76 milliards). On comprend que le désarmement européen est d’abord financier.
Sur le plan humain, les effectifs des armées européennes ont fondu de 451 000 hommes en dix ans, soit une baisse de 23% – baisse qui s’observe ailleurs dans le monde mais qui est deux fois plus rapide qu’aux États-Unis ou en Russie et six fois plus rapide qu’en Chine. Les principaux contributeurs à cette baisse sont les armées allemande (107 700 postes supprimés, -37%), britannique (64 540 postes supprimés, -30%), française (51 945 postes supprimés, -20%) et polonaise (42 200 postes supprimés, -30%). C’est cette baisse qui a amené le général Pierre de Villiers, chef d’état-major de l’armée française, à expliquer que le modèle d’armée français était désormais « érodé par le niveau d’engagement » de ses forces à la fois sur le territoire national (avec l’opération Sentinelle) et en opérations extérieures. Or, le niveau structurellement bas de la réserve, dont le renforcement devait accompagner il y a vingt ans la fin de la conscription et la professionnalisation de l’armée, empêche de s’appuyer sur elle…
Sur le plan des matériels enfin, la situation n’est pas plus brillante. Un regard global montre l’étendue de la baisse du niveau d’équipement des armées européennes, en dix ans, qu’il s’agisse des hélicoptères d’attaque (-52%), des avions de combat (-30%), des frégates ou des destroyers (-15%) ou des sous-marins à propulsion nucléaire (-16%) comme à propulsion classique (-22%). En ce qui concerne les drones, le retard de l’Europe, qui ne disposera pas d’équipement proprement européen avant 2025, est flagrant que ce soit par rapport aux États-Unis ou même à la Chine. Seule la France dispose d’un porte-avions (en maintenance jusqu’à l’été 2018), en attendant que les Britanniques en retrouve l’usage en 2020. L’élection présidentielle n’a hélas pas été l’occasion de poser la question de la construction d’un second bâtiment. Et les contraintes budgétaires qui pèsent sur les pays européens n’annoncent pas des jours faciles : ainsi le ministre espagnol de la Défense a-t-il récemment annoncé que, sur les quatre sous-marins qui avaient été commandés pour renouveler la flotte, un seul pouvait être payé en l’état actuel des finances nationales.
Les matériels sont, en outre, souvent vieillissants et de moins en moins disponibles. Ainsi, seuls 17% des hélicoptères Tigre engagés par la France au Sahel sont disponibles. 20% des équipements terrestres utilisés pour l’opération Barkhane ne seront pas réutilisables. En 2015, le ministère de la Défense britannique a annoncé la prolongation des véhicules de combat Bulldog, entrés en service dans les années 1960. Entre 23 et 44% des hélicoptères allemands (selon les types) sont opérationnels. La moitié des Eurofighter qui équipent la Luftwaffe volent effectivement.
Comment croire donc ceux qui annonce, tambours battants, une relance de l’« Europe de la défense » ? Sans un véritable pouvoir politique unifié au sommet, avec un solide soutien des États membres (gouvernements et opinions publiques), il n’y aura pas de « défense européenne » avant longtemps. La réalité est que les déclarations officielles ne sauraient dissimuler l’état inquiétant des capacités militaires en Europe. Depuis la fin de la Guerre froide, les États européens ont baissé la garde, et même largement désarmé. Le principal défi consiste donc à accroître les budgets de défense, à financer de grands programmes d’armement et à restaurer la puissance militaire collective au service de la défense de l’Europe. C’est à l’aune des moyens que l’on jaugera les intentions.