8 janvier 2018 • Opinion •
Editorial du numéro 50 de la revue Monde chinois, nouvelle Asie.
En ouverture du XIXe Congrès, le secrétaire général du Parti Communiste Chinois (PCC) Xi Jinping a affirmé que, sur le long terme, la Chine occuperait une « place centrale » sur la scène internationale. Cette déclaration se produit alors que les États-Unis de Donald Trump semblent hésiter sur la force de leur engagement sur cette même scène. La concomitance frappe les observateurs, et le monde s’interroge sur la pérennité du système international né après la Seconde Guerre Mondiale.
Habitués à confondre lucidité et cynisme, nous oublions parfois à quel point l’adoption en 1945 des principes de la charte des Nations Unies et la création de l’Organisation des Nations Unis elle-même furent un miracle. Contrairement à la Société des Nations, l’ONU, théoriquement fondée sur le principe d’égalité de ses membres, est finalement parvenue, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, à rassembler dans un cadre multilatéral la quasi-totalité des entités politiques de la planète. L’inclusivité de sa charte facilita l’entrée au sein de l’organisation non seulement des ennemis d’hier, mais aussi l’entrée de pays divisés, les deux Allemagnes en 1973, et les deux Corées en 1991. Les deux Chines sont une exception. La grande Chine (la République Populaire de Chine) refuse obstinément l’entrée de la petite (Taïwan, la République de Chine) à qui elle a succédé à l’ONU en 1971, et à qui elle doit son statut de membre permanent du Conseil de sécurité. Comment comprendre cette exception ? Si tout se passe comme prévu par le PCC, quelles seront les conséquences sur ces principes d’égalité et d’inclusivité de l’arrivée programmée de la Chine « au centre de la scène internationale » ? La Chine, dans ses discours à l’égard de l’étranger fait assaut d’inclusivité. Xi Jinping parle d’une « humanité au futur partagé », qui doit harmonieusement tracer une route que tous pourraient suivre. Pourtant ces belles déclarations d’intention se doublent d’un discours à usage interne très différent, marqué par une volonté de revanche sur l’histoire moderne et le « siècle des humiliations ». Cette contradiction est au cœur du discours politique chinois aujourd’hui et suscitent de multiples questions que nous nous efforçons de poser et d’explorer dans ce numéro 50 de la revue en proposant des points de vue (parfois fors divergents) d’auteurs différents (sur le plan académique, professionnel, culturel) sur des sujets divers (politiques nationale, régionale, internationale, économique, etc.) mais tous liés au présent et l’avenir proche de la Chine populaire.
Dans notre dossier sur le XIXe Congrès du PCC, nous tentons d’aborder de façon exhaustive les différentes dimensions de cet « événement » de la vie politique chinoise en donnant la parole à des observateurs venant d’horizon et défendant des points de vue très différents. En premier lieu, François Danjou nous livre une analyse approfondie des enjeux de ce congrès et présente stars et nouveaux venus de la scène politique chinoise. Dans un long entretien, Jean-Pierre Cabestan souligne à quel point il est impossible d’occulter la « dimension révisionniste de la politique internationale » de la Chine et son discours politique « anti-occidental, exceptionnaliste et opposé à nos valeurs. » Cette opposition transparaît dans plusieurs autres contributions, notamment celle de Marie Holzman, qui insiste sur l’évolution inquiétante des droits de l’homme en Chine. Philippe Delalande souligne « les dangers » du « rêve chinois de Xi Jinping ». Les impressionnants résultats économiques du PCC ont permis à la Chine de s’armer très rapidement. Ses voisins s’inquiètent et Philippe Delalande y voit avec Graham Allison et son fameux « piège de Thucydide » (i) une dynamique dangereuse.
Dans une autre veine, Jean-Paul Tchang aborde la vision économique du PCC, et les beaux succès qu’il rencontre dans ce domaine. Song Luzheng quant à lui pense que la Chine est en train de remporter une sorte de compétition des systèmes politiques avec l’Occident. Il insiste cependant aussi sur certains risques auxquels dans cette période délicate la Chine doit faire face.
Jean-Yves Heurtebise développe une analyse précise des enjeux liés au « problème » nord-coréen pour la communauté internationale et pour la Chine, dans le contexte du XIXe congrès.
David Bartel se penche sur l’œuvre du grand sinologue, récemment décédé, Arik Dirlik qui, dans ses travaux, explore notamment les liens et la complémentarité qui existent entre le système chinois et le capitalisme mondialisé. Grâce à Dirlik, nous percevons en effet, au-delà de la réelle contradiction qui oppose les systèmes de valeurs chinois et occidentaux, certaines troublantes complémentarités et similitudes qui permettront peut-être à la Chine post-XIXe Congrès de s’imposer plus facilement sur la scène internationale que la conflictualité géopolitique soulignée par Allison le laisse supposer.
Ces similitudes se lisent aussi dans le domaine des religions : comme les pays occidentaux, la Chine prétend reléguer la religion dans une sphère intime qui la rendrait inoffensive pour l’État. Mais le parti va plus loin, et lors du XIXe Congrès, Xi Jinping a insisté sur la nécessaire « sinisation » des religions. Ji Zhe revient sur ce que cache cette politique de « sinisation » au terme d’un entretien qui retrace l’histoire récente des rapports de la politique et de la religion en Chine, et dans lequel il analyse sans complaisance la nature de la politique du PCC à l’égard des religions. On saisit ce que cela peut vouloir dire en s’intéressant à l’actualité religieuse la plus récente. Dans le comté de Yugan, province du Jiangxi, où environ 10% de la population se déclare chrétienne, le parti a lancé, quelques jours après le Congrès, une grande campagne visant à remplacer, à l’intérieur même des habitations des fidèles, les crucifix et les effigies du Christ par des portraits de Xi Jinping, car dit le Parti, c’est lui et ses aides sociales, et non le Christ, qui viendra les sauver de la pauvreté (ii). Lorsqu’on chasse le culte par la porte, il revient par la fenêtre, quand bien même il ne serait que « culte de la personnalité », dont le possible retour hante aujourd’hui la Chine, comme ces revenants de la religion traditionnelle dont il faut circonscrire les pouvoirs à coup à coup d’offrandes régulières. Emmanuel Dubois de Prisque propose pour sa part et pour conclure ce dossier, une hypothèse, selon laquelle « la Chine » dans la conception que s’en fait le Parti, serait une entité tout uniment politique et religieuse, fondée sur un principe sacrificiel (au sens de René Girard) qui perdure de façon éclatante dans les rituels politiques du PCC.
Dans les varia, Jean-Sylvestre Montgrenier plaide pour une politique de « containment » de la Chine, fondée à la fois sur une logique politique, et une logique civilisationnelle. Patrick Dombrowsky décrit du point de vue des pays d’Asie médiane, les enjeux de la relation de plus en plus dense qu’ils entretiennent avec la Chine, dans le contexte des « nouvelles routes de la soie ». Morgane Farghen développe une analyse géopolitique de la montée des tensions sur la péninsule nord-coréenne, et explicite la logique de la position américaine. Qian He montre pour sa part que les nouveaux acteurs des médias et des réseaux sociaux peuvent être déstabilisateurs pour les médias officiels malgré le soutien du pouvoir dont ils bénéficient. Enfin, à la veille de l’anniversaire des quarante ans du traité d’amitié sino-japonais, Jean Esmein revient sur les circonstances de la signature de ce traité en s’intéressant aux mémoires de Sonada Tsuneo, ministre japonais des Affaires étrangères à l’époque.
Au terme de notre enquête, nous voyons se dessiner une nouvelle « Nouvelle Chine », qui ne baisse plus la tête et affirme clairement ses ambitions sur la scène internationale dans cette « nouvelle ère » pronostiquée par Xi Jinping. Le régime chinois paraît s’adapter à cette nouvelle ère, en passant d’un régime de direction collégiale à une pouvoir fort et personnalisé qui, sur le long terme, s’affranchira peut-être des règles informelles qui, depuis Deng Xiaoping, ont permis la transition apaisée du pouvoir en Chine. Décidemment, malgré toute sa nouveauté, la Chine est hantée : le « culte de la personnalité », fantôme de l’ère maoïste, a peut-être, malgré les résistances de ceux qui en Chine se souviennent des dégâts qu’il a causé, un bel avenir devant lui.
Notes
(i) Graham Allison, Destined for War, Can America and China Escape Thucydides’s Trap ?, Hougthon Mifflin Harcourt, 2017.