29 août 2018 • Entretien •
Ce mardi 28 août le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, et le vice-président du Conseil italien et chef de la Ligue, Matteo Salvini, se sont réunis à Milan pour évoquer un front commun contre l’immigration. Cette alliance peut-elle redéfinir la politique migratoire européenne ?
La redéfinir totalement, peut-être pas – ou pas encore – mais l’infléchir, certainement. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est déjà passé lors du dernier sommet du Conseil européen en juin dernier à Bruxelles. L’Italie avait des revendications qu’elle a réussi à imposer en partie – même s’il ne faut pas en exagérer la portée, les dispositions prises reposant sur le volontariat de chaque État membre. Mais il est certain qu’avec l’appui de pays comme l’Autriche et la Hongrie, elle a permis à un discours ferme sur l’immigration d’avoir droit de cité dans une enceinte peu habituée à cela, à savoir le Conseil européen.
Sur les moyen et long termes, il est évident que les euro-critiques, les souverainistes, ceux que leurs adversaires cherchent à disqualifier sous le nom de « populistes », ont le vent en poupe – chose que nous allons voir selon toute vraisemblance en Suède à l’occasion des élections législatives qui s’y tiennent dans dix jours. Et ils l’ont car la question migratoire qu’ils ont mise en haut de leur agenda est majeure et prioritaire pour les peuples européens – et pas seulement dans les pays qu’ils dirigent. La question identitaire est désormais prégnante partout en Occident, que cela plaise ou non à certains. Ce sera le grand sujet des élections européennes de mai 2019.
« Je ne céderai rien aux nationalistes et à ceux qui prônent un discours de haine. S’ils ont vu en ma personne leur opposant principal, ils ont raison » a déclaré Emmanuel Macron à Copenhague. Ce à quoi Matteo Salvini a répondu en affirmant : « Il y a actuellement deux camps en Europe et l’un est dirigé par Macron, il est à la tête des forces politiques soutenant l’immigration ». Que penser de cette nouvelle opposition ? Peut-elle opposer la France et l’Italie durablement ?
L’opposition va être frontale bien sûr, mais non pas entre la France et l’Italie comme nations, plutôt entre les leaders des deux camps qui vont s’opposer dans les prochains mois et les prochaines années en Europe.
Encore une fois, la question identitaire est déjà et va être structurante à l’avenir et il y a une échéance électorale très précise dans moins d’un an. Les forces sont en train de se mettre en place pour la grande explication – et, au passage, je ne vois pas trop comment va faire la droite modérée pour exister entre les deux blocs qui ont intérêt à faire place nette autour d’eux. Il est évident qu’Emmanuel Macron cherche l’opposition frontale pour incarner, seul ou à peu près, la ligne « raisonnable », modérée et proeuropéenne.
Matteo Salvini appelle les souverainistes de tous les pays à former une alliance forte : « J’espère que cette rencontre sera la première d’une longue série pour changer le destin de l’Italie, de la Hongrie et de la totalité du continent européen », a-t-il affirmé. Est-ce à dire que, au-delà de la question migratoire, il pourrait se constituer en Europe un nouveau front qui redéfinirait les clivages politiques autour de l’adhésion à l’Union européenne ?
C’est une évidence et on vient de le signaler : Macron et Salvini, si on s’en tient à eux deux, ont intérêt à une opposition frontale, binaire – et, à certains égards hélas, infiniment simpliste – entre ouverture et fermeture, européistes et souverainistes. Cela les sert sur la scène européenne mais aussi sur leur scène nationale. Pour les élections européennes comme pour 2022, Emmanuel Macron a intérêt à la reconfiguration du champ politique autour de trois forces : une opposition de gauche « dure » avec Jean-Luc Mélenchon (le PS n’existant plus), une opposition de droite « dure » avec Marine Le Pen (les Républicains étant bien mal en point) et lui. Toute sa stratégie, depuis 2016, est fondée sur ce schéma.
Pour revenir aux élections européennes de l’an prochain, il faut réfléchir à deux niveaux. Au plan strictement français, cette configuration permet à Emmanuel Macron d’espérer sortir vainqueur des élections européennes – sans doute assez bas (20 ou 25% des suffrages) mais devant le Rassemblement national et la France insoumise.
Au niveau européen, c’est une autre affaire : si au Conseil, il peut espérer encore une majorité de pays qui ne sortent pas du « cercle de la raison » cher à Alain Minc, au Parlement, ce n’est pas gagné. Il n’est pas dit que le paisible partage des postes et du pouvoir entre le PSE (parti socialiste européen) et le PPE (Parti populaire européen, droite), qui préside aux destinées du Parlement européen depuis des années, puisse durer au-delà de mai 2019. Je ne sais pas si les souverainistes pourront avoir une majorité à eux seuls mais empêcher ou gêner la formation d’une majorité, cela est une évidence.
Bref, l’axe Salvini-Orban (et n’oublions pas l’Autriche de Kurz) n’est pas encore près de renverser la table mais il peut sérieusement empêcher le ronron européen.