27 novembre 2018 • Analyse •
Dans la nuit du 22 au 23 novembre, dans la région de Mopti, la force Barkhane intervient avec des moyens considérables pour neutraliser une cellule d’un groupe armé terroriste. Très rapidement, Florence Parly, ministre des armées, et l’État-Major annoncent l’opération qui aurait mis « hors de combat » une trentaine de terroristes, dont Hamadou Kouffa, chef de la katiba du Macina (appelée également Front de Libération du Macina, FLM).
Première intervention de Barkane dans le centre du Mali
Sur le plan militaire, l’opération a été menée sur un théâtre où la France n’était jusqu’ici jamais intervenue : « jusqu’à présent, l’armée française, surtout mobilisée dans le Nord et l’Est du pays, n’intervenait quasiment jamais dans le centre. Elle vient brutalement de s’y aventurer. Sans savoir jusqu’à quand » (1). La garde nationale malienne était, quant à elle, déjà intervenue dans la région de Mopti en juillet 2017, à l’Ouest de Djenné, pour neutraliser Bekaye Sangaré, un dirigeant du FLM. C’est donc une première pour Barkhane qui frappe un grand coup dans une région, le centre, « qui concentre 40% des attaques dans tout le pays est devenu la zone la plus dangereuse du Mali, pointent la FIDH et l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), dans un rapport publié le 20 novembre » (2).
Au-delà de la dimension militaire, le « timing » et la symbolique sont importants : l’opération intervient quelques semaines après la parution d’une vidéo (le 8 novembre) où Kouffa, en compagnie d’Iyad Ag Ghali et de Yahia Abou El Hammam, prend la parole et appelle les peuls au jihad. Bon nombre d’observateurs s’interrogeait, compte tenu de la présence des différentes forces militaires et sécuritaires sur le territoire malien, sur la capacité des chefs terroristes à se réunir aussi aisément.
La mort de Kouffa, si elle est confirmée, sera indéniablement un coup dur porté à la nébuleuse terroriste au Mali car Kouffa incarnait, pour certains, « le visage peul d’Al Qaida » (3). D’autres réfutent, au contraire, totalement ce lien entre Kouffa et les populations peules : « Kouffa n’était pas l’incarnation d’un jihad peul mais l’ennemi de la communauté peule. La réponse au terrorisme se trouve dans le Nord-Mali et dans les relations qu’entretient Iyad Ag Ghali avec certains acteurs » (4).
Qui pour prendre la relève d’Hamadou Kouffa ?
Néanmoins, des questions restent en suspens quant à l’avenir de la katiba Macina : Qui sont les proches de Kouffa en capacité de prendre la relève ? Qui pour succéder à celui qui faisait « ce lien entre le centre et le nord » (5). Quelles relations entretiennent-ils avec Iyad Ag Ghali ?
Pour Housseyne Ag Issa (6), journaliste malien et spécialistes des mouvements armés au Mali, « Kouffa, bien que membre fondateur du JNIM et leader au centre du Mali, n’est pas à mettre au même niveau que d’autres leaders jihadistes connus dans la région du Sahel (Abou Zeid, Belmokhtar, Talha Al Libye). Sa disparition ne va pas handicaper les groupes djihadistes au nord du Mali. Le risque est de voir apparaitre un nouveau leader plus radical. L’exemple de la montée en puissance de Abou El Hammam est assez parlant. Il était un second de Abou Zeid. Il est devenu un chef dangereux alors qu’il évoluait dans l’ombre de Abou Zeid. Peut-être assisterons-nous à la même trajectoire au sein de la katiba du Macina. Abou Youssef Al Fulani, qui est un membre très actif, un chef opérationnel et un proche de Kouffa peut être son remplaçant. Egalement Oumrane Cisse, un juge de la katiba du Macina, actif entre le Macina et le Gourma, peut aussi avoir un rôle à jouer, suite à la mort de son mentor Al-Mansour Ag Alkassim » (7). Pour d’autres experts, Kouffa était plus un leader charismatique, un prédicateur qu’un chef militaire et opérationnel (8).
Pour Isselmou Salihi, journaliste et expert mauritanien des mouvements islamistes armés au Sahel, « Kouffa est en effet irremplaçable pour Iyad et Abou El Hemmam avec lesquels il avait une relation très forte tissée durant des années. La mort probable de Kouffa va poser un sérieux problème de coordination pour le JNIM au niveau du centre du Mali. Je pense que la katiba du Macina survivra à la mort de son fondateur et que le Cadi de cette Katiba « oumrane Cisse » pourra assurer la relève (9) ».
Quelle recomposition des groupes djihadistes ?
Interrogeons-nous également sur les orientations stratégiques futures de la katiba Macina. Va-t-on assister à un basculement des actions et de l’activité des GAT au Burkina Faso ? Qu’étaient devenus ces derniers temps les relations entre le Front de Libération du Macina et Ansaroul Islam au Burkina ? Rappelons que malgré la proximité entre Hamadou Kouffa et Malam Dicko, ce-dernier aurait désapprouvé le rapprochement entre le FLM et Ansar Dine. Aujourd’hui, les deux figures locales ayant été neutralisées, comment les relations entre les deux katibas vont-elles évoluer ? « Les groupes peuvent profiter de la situation pour se rapprocher, même si Jafar Dicko (10) n’est pas la figure charismatique qu’était Malam Dicko et son impact sur le terrain est moindre », selon Paul Oumarou Koalaga, expert et point focal du Réseau de Réflexion Stratégique sur la Sécurité au Sahel (2r3s) au Burkina Faso : « chacun va évaluer les rapports de force pour élaborer une stratégie en fonction de ses intérêts. Il y a certes une fragilisation des groupes avec la perte de ces deux leaders, mais il y a toujours une forme de résilience de la part des GAT pour rebondir » (11).
Enfin, des informations de dernière minute semblent indiquer l’émergence d’un nouveau groupe armé à « dominante peul », dans la région de Mopti ; création qui aurait suscité la colère de Kouffa (12). « Son chef, un certain Sekou Boly, est un ancien officier de l’armée malienne radié pour vol d’armes. Il a créé une base près de Sévaré (Mopti) où des jeunes peulhs dont des anciens jihadistes l’ont rejoint avec armes et bagages. Il dit lancer un message à la communauté nationale et internationale que tous les peuls ne sont pas des djihadistes » (13). Ce nouveau groupe va-t-il permettre de rallier davantage les troupes de Kouffa ? A l’aune de ces réalités fluctuantes, difficile de définir avec précision la trajectoire des différents groupes armés, islamistes ou non, dans la région du centre •
Notes •
(1) Célian Macé, « Figure du jihad malien, Hamadou Kouffa éliminé par Barkhane », 24 novembre 2018, en savoir +.
(2) Aïssatou Diallo, « Mali : un rapport documente les crimes de guerre et l’impunité à l’œuvre dans le centre du pays », Jeune Afrique, 20 novembre 2018, en savoir +.
(3) Benjamin Roger, « Mali : Amadou Koufa, le visage peul d’Al-Qaïda », Jeune Afrique, 20 novembre 2018, en savoir +.
(4) Entretien avec un représentant d’un groupe armé peul au Mali, 24 novembre 2018.
(5) Adam Thiam, « Si Kouffa est vraiment mort… », Maliweb, 24 novembre 2018, en savoir +.
(6) Entretien, 24 novembre 2018.
(7) « Mali : sept jihadistes de la katiba du Gourma tués dans un raid de Barkhane », Jeune Afrique-AFP, 16 novembre 2018, en savoir +.
(8) Echanges informels sur les réseaux sociaux.
(9) Entretien, 24 novembre 2018.
(10) Seidik Abba, « Jafar Dicko, le nouveau visage du djihadisme au Burkina Faso », Le Monde Afrique, 21 décembre 2017, en savoir +.
(11) Paul Oumarou Koalaga est également le directeur exécutif de l’ONG « Diplomatie et Paix Internationales ».
(12) Hamadou Kouffa n’aurait pas hésité à diffuser un message audio pour mettre en garde le chef de ce nouveau groupe armé.
(13) Entretien avec un expert malien d’une ONG basée à Mopti, 23 novembre 2018.