20 février 2019 • Opinion •
Face à la crise des « gilets jaunes », crise multiforme mais révélatrice du lancinant « malaise français », Emmanuel Macron peut-il encore sauver son quinquennat ? Il est permis d’en douter, mais il est vrai que rien n’est jamais sûr en politique. Ce qui est acquis en revanche, c’est qu’il s’est laissé enfermé dans le piège où sont tombés tous ses prédécesseurs, chacun à sa manière : le face-à-face solitaire avec les Français. Les motifs en sont sans doute divers : la logique toxique de la cinquième république, son propre étatisme technocratique et utilitaire, un comportement tout-puissant mêlant arrogance et inexpérience, etc.
Le voilà pris en tout cas, et la France avec lui, dans une spirale d’attentes innombrables, d’excès en tous genres, de réponses insuffisantes et de frustrations inévitables. Le pays allait mal avant lui, il va très mal aujourd’hui : le président devrait enfin comprendre que l’état du malade réclame d’autres médecins à son chevet. La seule réponse à la défiance déjà installée et à la violence qui vient sera un puissant mouvement de dévolution de missions et de libertés nouvelles aux acteurs de terrain dans leur diversité et leur multiplicité – collectivités, associations, familles, secteur privé, etc. Parce que les Français veulent avoir davantage prise sur la décision publique, parce qu’il est sain et utile que la citoyenneté s’exerce souvent – et pas seulement lors des élections nationales –, parce que huit Français sur dix sont attachés à leur commune, parce qu’il est urgent de concentrer l’État sur ses missions régaliennes, il est temps d’engager un profond mouvement en faveur du renforcement de la démocratie en circuit court.
La démocratie locale résiste à la défiance des citoyens
Pour s’en convaincre, il est intéressant de faire un détour par ce qu’a à nous apprendre l’observation de la participation électorale. Trois éclairages suffiront. Le premier pour relever que les ruraux votent davantage que les urbains : +2,4 points aux présidentielles mais +12,5 points aux municipales de 2008. Le deuxième pour remarquer que les habitants des petites villes votent nettement plus que ceux des grandes : ainsi le taux de participation aux élections municipales de 2008 frôlait les 80% dans les villes de moins de 2 000 habitants quand il était de 55% dans celles de plus de 100 000 habitants.
Mais le facteur local n’est pas significatif seulement sur le plan quantitatif, il l’est aussi sur le plan qualitatif. Ainsi, si l’on s’intéresse au taux de participation de l’ensemble des Français cette fois, on constate qu’après l’élection présidentielle, « mère » de toutes les élections en France, c’est le scrutin municipal qui enregistre la plus forte participation – même s’il convient de noter qu’elle baisse élection après élection.
Prime au local
On comprend dès lors qu’en matière de participation électorale, il existe une véritable prime au local – le local compris comme espace et comme enjeu. Cela témoigne de l’attachement des Français à leurs territoires et à la vie qu’ils y mènent (plus de 60% d’entre eux vivent et meurent dans leur département de naissance), de l’importance pour eux d’une vie locale animée en premier lieu par la commune mais aussi par les associations (sportives, culturelles, sociales, etc.) et des cellules communautaires de toutes natures (de producteurs, de consommateurs, de chômeurs, de parents d’élèves, etc.). En France, le dernier espace de confiance politique est local.
Mais d’où vient cette confiance ? D’où vient que six Français sur dix apprécient leur maire quand sept sur dix se défient des responsables politiques nationaux ? Il serait bienvenu qu’élus et commentateurs qui s’interrogent sur les causes de la crise politique que nous traversons, réfléchissent à cette réalité en miroir. Trois facteurs au moins peuvent être avancés.
Le facteur taille
Le premier est celui de la taille. Avec la mondialisation et le numérique, la question de la taille des organisations redevient primordiale. On commence à redécouvrir qu’« en même temps que la taille sociale augmente, décroît le sens de l’interdépendance, de l’appartenance et d’un intérêt commun », comme le dit sagement le philosophe Olivier Rey.
La démocratie locale, par le lien immédiat qui s’exerce entre l’élu et le citoyen, par la dimension concrète des enjeux qui sont le plus souvent les siens, offre le terrain idoine de l’exercice de solidarités réelles et de l’émergence d’un intérêt collectif accessible au citoyen. De ce point de vue, la loi NOTRe d’août 2015 qui impose le fait intercommunal au nom de la recherche d’une « taille critique » illusoire et démentie par les faits, qui renforce la technostructure au détriment des élus et qui éloigne la décision du citoyen, porte un bien mauvais coup à la démocratie locale.
La mairie au centre du village
Le deuxième facteur est ce qu’on pourrait appeler « la vertu des institutions », chère à Montesquieu. Autrement dit, la mairie et ses services constituent l’outil dont le maire a besoin pour réaliser le projet qui a reçu l’approbation des citoyens. Les exemples abondent, petits et grands, de réussites politiques, économiques, sociales ou culturelles dans des communes modestes ou sur des territoires défavorisés.
Lorsqu’on analyse les causes de ces succès, on trouve toujours à leur racine un homme, une vision et un projet capables d’entraîner les acteurs concernés. Ces réussites sont, le plus souvent, gage de l’adhésion démocratique des citoyens – l’absence de résultats tangibles étant, a contrario, pour beaucoup dans la défiance qu’ils expriment à l’égard des dirigeants nationaux.
Le maire démultiplicateur d’énergies
Le dernier facteur clé est la mobilisation des acteurs. Car ces réussites ne sont pas celles du maire seul mais de tous les acteurs qui y ont contribué. Citoyens, parents d’élèves, associations (sportives, culturelles, sociales, etc.), entreprises locales : l’élu n’agit pas seul mais au milieu d’un maillage qu’il doit mobiliser et mettre en réseau. Il est chef d’orchestre, démultiplicateur d’énergies, incitateur, facilitateur. C’est l’une des caractéristiques de l’action locale de ne pouvoir se suffire à elle-même.
A l’inverse des responsables politiques nationaux qui, bien souvent, regardent l’État comme seul compétent et seul légitime et disposent de ses ressources considérables pour agir, l’élu local est obligé – et c’est tant mieux – de s’appuyer sur d’autres que lui pour agir. Rappelons qu’en France, contrairement à une idée trop largement répandue, la société civile est bien vivante avec 1,3 million d’associations actives et 13 millions de bénévoles (soit près de 25% des Français de plus de 15 ans). Cette coopération avec la société civile, qu’ignore si largement l’échelon national, est un élément d’explication central dans le maintien de la confiance des citoyens dans la démocratie locale.
Favoriser la démocratie en circuit court
Dans la crise qu’il traverse, l’exécutif aurait tout intérêt à méditer quelques-uns de ces aspects vite esquisser. Il y verrait les trésors d’actions favorables au bien commun, de dévouement, d’attention à l’autre, de confiance, d’innovation, que recèle la vie démocratique locale. Il y verrait aussi que « la démocratie se construit par le bas », selon le mot du géographe Gérard-François Dumont, à la racine de l’identité sociale et politique de chacun. Car cette démocratie en circuit court, cette politique à hauteur d’hommes, cette démocratie de la poignée de main et du face-à-face, ces projets réussis parce que conçus au plus près du réel sont par nature enracinés.
Il y trouverait enfin un programme d’action certes difficile mais à la hauteur de la crise. Un programme qui se décline en trois axes : l’indispensable réforme l’État pour en finir avec le « réflexe centralisateur » qui asphyxie l’initiative, la responsabilité et la confiance ; l’urgente décentralisation pour faire respirer la France et créer l’émulation entre les territoires ; et, s’il est audacieux, l’institution du Instituer le référendum d’initiative populaire (RIP) local pour enraciner la démocratie et régénérer la confiance politique.