La démocratie en circuit court · Pour la réforme de l’État, la décentralisation et le RIP local

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

Février 2019 • Note 30 •


Avec la crise des « gilets jaunes », Emmanuel Macron est pris, et la France avec lui, dans une spirale d’attentes innombrables, d’excès en tous genres, de réponses insuffisantes et de frustrations inévitables. La seule réponse à la défiance déjà installée et à la violence qui vient sera un puissant mouvement de dévolution de missions et de libertés nouvelles aux acteurs de terrain dans leur diversité et leur multiplicité – collectivités, associations, familles, secteur privé, etc. Parce que les Français veulent avoir davantage prise sur la décision publique, parce qu’il est sain et utile que la citoyenneté s’exerce souvent – et pas seulement lors des élections nationales –, parce que huit Français sur dix sont attachés à leur commune, parce qu’il est urgent de concentrer l’État sur ses missions régaliennes, il est temps d’engager un profond mouvement en faveur du renforcement de la démocratie en circuit court.


Que va donner le « Grand débat » initié par Emmanuel Macron en réponse à la crise des « gilets jaunes » ? S’il est trop tôt pour apporter une réponse certaine à cette question, il ressort des in-nombrables heures de débats télévisés, des premiers « cahiers de doléances et d’espérance », des premières réunions publiques, des premières contributions au site Internet granddebat.fr, que les principales attentes relèvent de deux thématiques distinctes. La première, de nature économique et sociale, concerne le pouvoir d’achat, la fiscalité, la dépense publique, le « modèle social ». La seconde, de nature plus politique, a trait à l’exercice démocratique, à la relation entre l’élu et le citoyen, à l’implication de celui-ci dans la décision publique. La présente note se concentre sur ce second aspect.

La crise des « gilets jaunes » a révélé à qui ne voulait la voir la profondeur du malaise politique français Inutile de s’attarder ici à en faire une nouvelle fois la description : les traits de la « société de défiance » que nous avons laissé s’édifier au fil des décennies sont connus. Le centralisme, la bureaucratie, la concentration de la décision publique, l’entre-soi des élites, l’absence de contre-pouvoirs, la décentralisation ratée ont produit un système administratif, institutionnel et politique clos, dont l’action perd en profondeur ce qu’elle gagne en étendue, de moins en moins efficace et de moins en moins légitime aux yeux des citoyens. Le « modèle français » se réduit dans les faits à une interminable extension du domaine de l’État et de son administration : un État omnipotent, tentaculaire et dévorateur, qui se regarde comme seul défenseur légitime d’un « intérêt général » de moins en moins évident, qui étouffe, gendarme ou encadre toute expression politique ou sociale qui lui échappe. Si cette dérive vient de loin, Emmanuel Macron et son « étatisme technicien » ? sûr de lui et souvent brutal, ont constitué la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère.

La seule réponse à cette défiance multiforme est un mouvement puissant de dévolution de missions et de libertés nouvelles aux échelons démocratiques locaux Parce que les Français veulent avoir davantage prise sur la décision publique, parce que le local est aujourd’hui le seul espace de confiance politique dans notre pays, parce qu’il est sain et utile que la citoyenneté s’exerce souvent – et pas seulement lors des élections nationales –, parce que huit Français sur dix sont attachés à leur commune, parce qu’il est urgent de concentrer l’État sur ses missions essentielles et sur lesquelles il est en effet légitime, il est temps d’engager un profond mouvement en faveur du renforcement de la démocratie locale. Ce qui ne sera possible qu’en empruntant le chemin de l’autonomie, de la liberté et de la confiance.

L’objet de cette note est de rappeler pourquoi c’est d’en bas que se construit la confiance et quels pourraient être les éléments d’une sortie de crise par le haut Pour ce faire, elle rappellera à travers l’exemple de la participation électorale que l’échelon démocratique local est moins atteint par la crise de confiance que l’échelon national ; elle considérera succinctement la portée et les limites de trois modèles d’exercice démocratique, théoriques (démocratie participative, démocratie délibérative) ou concrets (démocratie directe), qui ont de fortes implications locales ; elle analysera certains fondements et ressorts de la démocratie locale qui permettent de comprendre pourquoi sa légitimité est aujourd’hui nettement moins attaquée que celle de la démocratie nationale ; enfin elle montrera qu’en combinant réforme de l’État, décentralisation et institution du référendum d’initiative populaire (RIP) local, il est possible de trouver une issue favorable à la crise dans laquelle notre pays est plongé depuis trois mois.


 

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L’auteur

Jean-Thomas Lesueur est titulaire d’un DEA d’histoire moderne (Paris IV Sorbonne). Il a débuté sa carrière comme rapporteur de groupe de travail à l’Institut Montaigne avant de participer à la création de l’Institut Thomas More en 2004. D’abord directeur des Études, il est devenu Délégué général en 2007. Au sein de l’équipe de l’Institut Thomas More, il supervise le suivi de la vie politique française. Depuis quelques années, il s’intéresse en particulier aux blocages politiques et institutionnels propres au « modèle français », à la décentralisation et à la démocratie locale. Il réfléchit également aux questions politiques liées aux enjeux culturels et identitaires en France et en Europe