25 avril 2019 • Opinion •
Si Emmanuel Macron n’opère pas un véritable tournant dans ses annonces visant à sortir du « grand débat » ce jeudi soir, la source des contestations ne se tarira pas de sitôt, de même que celle des maux de notre économie.
Alors qu’Emmanuel Macron s’attelle à sa première conférence de presse du quinquennat, destinée à expliciter la restitution du Grand Débat et la sortie de la crise des Gilets Jaunes, il convient de souligner la tension dramatique inhérente à cet exercice qui n’est pas que de pure style : certes, le drame national consécutif à l’incendie de Notre Dame de Paris (opportunément exploité par le pouvoir, qui au-delà de la nécessaire et légitime communion nationale, en a fait une attaque contre notre unité, semblable à un 9/11 à la française, tout en déchristianisant la portée de l’évènement) avait obscurci la séquence bien huilée de sortie de crise. Mais, peut être à son insu, le pouvoir ne fera pas qu’égrener ou seriner quelques mesures techniques ce jeudi soir (largement caduques du reste du fait de leur révélation en plein drame) : si on veut bien revenir à des considérations économiques plus prosaïques et abandonner un instant la lourde charge symbolique des temps présents – et le délire communicationnel de l’époque politique-, cet énième apparatus de mesures pour relancer le quinquennat est le plan de la dernière chance. Or comme disait notre illustre historien Alain Decaux «l’espoir gonfle les cœurs des passagers de la dernière chance».
Emmanuel Macron se ferait fort habile de capitaliser sur la divulgation prématurée de ses mesures pour les amender et en proposer de nouvelles ; car en l’état, ce que l’on sait de la pensée économique et sociale élyséenne est peu susceptible d’enrayer le cours tragique des choses, et surtout, le pouvoir se trouve engagé dans une course contre la montre avec le ralentissement économique européen.
Sur le premier point, deux mesures phares ont monopolisé les commentaires : la réindexation des petites retraites sur l’inflation et la (vague) baisse de la fiscalité sur les classes moyennes. Or, si les deux intentions sont louables, elles ne font que revenir sur les errements précédents de la majorité. Les retraités remercieront ironiquement le gouvernement de réindexer ces petites retraites qu’on avait auparavant désindexées de l’inflation. S’agissant des classes moyennes, la hausse de la CSG par exemple, avait essentiellement affecté les dites-classes moyennes : non seulement on ne fait que redonner d’une main ce qu’on a pris de l’autre, mais il faudra bien financer cette dernière mesure via une hausse du temps de travail ou moins de jours fériés (pistes avancées) ; en défaisant le bilan des deux dernières années, non seulement on en revient au point de départ, mais on nie toute cohérence à la politique économique officielle. La France est désormais coutumière de ces apories en matière fiscale : si on s’est réjoui de la baisse de la fiscalité du capital au début du quinquennat Macron (avec certaines taxes en plus de la flat tax, nous sommes aux alentours de 32%), nous sommes simplement revenus au niveau du prélèvement forfaitaire libératoire en 2012 avant Hollande : Macron se contente donc désormais de défaire du Macron après avoir détricoté du Hollande. On attend encore les grandes réformes structurelles…
Or si Emmanuel Macron joue du velours en tentant d’apaiser la crise des Gilets jaunes à coups de milliards (11 milliards en décembre, une nouvelle ardoise jeudi soir), il est en train de dilapider les prébendes de la forte période de croissance mondiale 2016-2018 (qui lui doit si peu du reste…) : les prévisions de croissance nous paraissent trop optimistes depuis Janvier 2018, date à laquelle le ralentissement a progressivement commencé ; là où le gouvernement prévoyait une croissance à 2%, nous avons fini à 1,5% : le même chiffre est annoncé pour 2019 (sachant qu’en général, l’économie française a besoin de 1,2% pour créer des emplois) alors que nous maintenons, à l’Institut Thomas More, que nous ne dépasserons pas 1%, ce qui devrait inciter le gouvernement à recalibrer toute sa politique, nonobstant cette sortie de crise sociale, et à déposer un collectif budgétaire (rectification de la loi de finances initiale).
Le premier spectre qui hante sur l’Europe est celui du ralentissement allemand. L’indice PMI, qui suit l’activité manufacturière, est depuis quelques mois en dessous de son seuil « normal » de 50, ce qui indique un ralentissement de l’activité : la croissance allemande est désormais attendue à 0,5% en 2019. Alors que la France avec ses 1,5% de croissance en 2018, a fait moins bien que la moyenne européenne à 1.8%, il nous faudrait désormais croire qu’elle pourrait de beaucoup surclasser le premier de la classe ? A dire le vrai, le ralentissement allemand et les toussotements chinois et américains vont nous affecter. Le deuxième problème, jamais pris en compte par le gouvernement, est la menace de risques systémiques (crises financières) qui pèsent toujours sur nous et notamment sur l’Europe avec un montant de dettes privées trop élevées.
La conjonction de ces éléments est devenue manifeste dans la statistique Insee du mercredi 24 sur le niveau de confiance dans l’industrie française : il est tombé à un plus bas depuis cinq ans (101,1), après un PMI manufacturier inférieur à 50 (la France entamant la même spirale que l’Allemagne il y a six mois). Les mesures Macron pour le pouvoir d’achat sont un jeu à somme nulle pour l’économie française : elles stimuleront la consommation, mais au prix d’un ralentissement de la baisse de l’imposition pour nos industries et nos entrepreneurs (comme on le voit avec la baisse reportée de l’IS) : comme pour les ménages, on ne fait que déplacer le problème et in fine la demande finale est de plus en plus faible, alors qu’aucun stabilisateur de type dépense publique ne nous immunisera d’un ralentissement européen, s’il devait se confirmer.
Il est manifeste depuis plusieurs mois qu’Emmanuel Macron est sorti du cercle de la raison économique : il ne fait que survivre à une grave crise de confiance et se retrancher dans sa position politique quasi inexpugnable, fut-ce au prix du sacrifice de son programme initial. Il faut souhaiter une révision de sa copie jeudi soir et un véritable big bang, faute de quoi non seulement la source des contestations ne se tarira pas de sitôt, mais surtout notre économie sera bien mal orientée pour les prochains défis immédiats.