11-12 mai 2019 • Opinion •
L’Union et les États membres ne sont pas condamnés à subir des flux migratoires qu’ils renonceraient à maîtriser. Il est nécessaire de desserrer quelque peu le carcan juridique qui les entoure pour leur reconnaître une marge de manœuvre politique, argumente Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More, qui vient de publier le rapport « Quelle contribution européenne face aux nouveaux défis de l’immigration ? » (en savoir +).
La question migratoire est, depuis des années, au cœur des préoccupations des Européens : 66% des Italiens, 53% des Français et 50% des Allemands pensent qu’« il y a trop d’immigrés» dans leur pays » ; 63% des Italiens, 56% des Belges ou 54% des Hongrois considèrent que «l’immigration force leur pays à apporter des changements qui lui déplaisent » (sondage IPSOS, juillet 2017). Devant cette préoccupation massive, les dirigeants européens sont obligés de se saisir de la question.
Favorables à une Union européenne intégrée, nombre d’entre eux sont tentés par une « communautarisation » accrue des politiques migratoires. C’est le cas d’Emmanuel Macron qui, dans une tribune du mois de mars dernier, appelle de ses vœux la création d’une « police des frontières commune », d’un « office européen de l’asile » et d’un « Conseil européen de sécurité intérieure ».
Il faut prendre le contre-pied exact de cette tentation. La problématique migratoire, en ce qu’elle touche la question identitaire particulièrement sensible en Europe, réclame d’être traitée à l’échelon « politique » par excellence, celui des États-nations. L’Union n’est pas un État et il est vain d’espérer qu’elle le devienne. La sensibilité du sujet pour les populations européennes exige que les responsables qui pilotent ces politiques soient facilement identifiables par le citoyen. Et il est permis de s’interroger sur l’efficacité sur le terrain d’une méga-agence, Frontex, certes refondée en 2016 et dotée de moyens humains et financiers accrus mais entité composite (27 nationalités et 24 langues), à la lourdeur logistique et administrative pesante.
Il apparaît donc nécessaire de redéfinir un cadre assurant aux États membres la marge de manœuvre nécessaire à la protection légitime de leurs intérêts nationaux. Cette restitution de souveraineté doit et peut se combiner avec l’action forte d’une Union concentrée sur les enjeux où son poids diplomatique et sa capacité d’entraînement apportent une authentique valeur ajoutée. Trois axes d’action peuvent être envisagés.
D’abord, redonner l’ascendant aux États membres. Face aux carences de l’Union dans la protection des frontières extérieures de l’espace Schengen, ils doivent pouvoir renforcer le contrôle de leurs frontières intérieures, aujourd’hui trop limité et conditionné. Les projets visant à créer de nouveaux contingents de garde-frontières et de garde-côtes ne doivent être encouragés que dans la mesure où il s’agit d’agents nationaux financés par la solidarité européenne. Pour se prémunir d’un échec certain et de dissensions inutiles, il convient de s’opposer à tout règlement visant à instituer un système de répartition obligatoire des réfugiés à l’échelle de l’Union.
L’Union reste toutefois utile dans certains domaines ciblés. La multiplication des déplacements secondaires des migrants en situation illégale et des demandeurs d’asile à l’intérieur de l’Union nécessite une meilleure coordination entre autorités judiciaires et policières nationales. Adopter une liste commune de « pays tiers sûrs » et de « pays d’origine sûrs » constituerait une harmonisation bienvenue. Enfin, l’Union doit tirer profit de sa puissance économique et politique pour conclure davantage d’accords de réadmission avec les pays tiers.
Le droit d’asile et sa pratique, à l’échelon des Etats membres comme de l’Union, se révèlent particulièrement sensibles à des considérations humanistes – voire humanitaires. Poursuivant un objectif louable a priori, leur pénétration excessive dans les ordres juridictionnels conduit parfois à dévoyer l’esprit et à tordre la lettre de textes fondateurs (à commencer par la Convention de Genève de 1951), quand ils ne font pas obstacle à l’application de décisions de justice dont la légalité n’est pourtant pas remise en cause. Certains acteurs de l’asile (associations, ONG, cours européennes) instrumentalisent le droit et entravent de fait la lutte contre l’immigration illégale. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) complique les expulsions des déboutés des droits d’asile.
Aussi, il convient d’encourager le retour à un droit d’asile plus proche de son esprit originel, rompant avec une interprétation des critères de définition du réfugié toujours plus extensive sous l’impulsion de la CEDH et de la Cour de justice de l’Union européenne. Les États membres doivent user des leviers juridiques et politiques à leur disposition -ils existent, et David Cameron, en son temps, a envisagé d’y recourir- pour s’affranchir partiellement des garanties issues de la Convention européenne des droits de l’homme et du droit de l’Union lorsqu’elles empêchent de manière déraisonnable l’exécution des décisions d’éloignement. Enfin, il appartient à l’Union de subordonner davantage l’aide au développement octroyée aux pays de départ à la réalisation effective d’effort de gestion des flux migratoires.
Le mémorandum signé entre l’Italie et la Libye en février 2017 a fortement entravé les traversées par la route de la Méditerranée centrale. L’accord de mars 2016 entre l’Union et la Turquie a permis une baisse de 97% des entrées illégales par la route orientale. L’une des priorités de l’UE devrait ainsi demeurer l’amélioration de la mise en œuvre de cet accord, qui reste perfectible, et la conclusion de partenariats analogues avec certains États tiers. Ces exemples montrent, en tous cas, que les Etats européens et l’Union ne sont nullement condamnés à la passivité et à l’impuissance.