22 mai 2019 • Opinion •
La campagne européenne n’a pas permis d’aborder des problématiques de fond. Jean-Thomas Lesueur et Jérôme Soibinet défendent la vision d’une Europe plus modeste mais plus solide, dans le prolongement du rapport « Principes, institutions, compétences : Recentrer l’Union européenne » que l’Institut Thomas More vient de publier (en savoir +).
La campagne des élections européennes de ce 26 mai s’achève donc, si tant est qu’elle ait vraiment commencé… Le scrutin aura lieu ce dimanche et le moins que l’on puisse dire, c’est que le fond des questions européennes a été peu traité – au bénéfice d’une « guerre de positions » faite de petites phrases et de raccourcis souvent sommaires.
Pourtant, un point essentiel constitue ce qu’on pourrait appeler un consensus paradoxal : à savoir la nécessité de réformer une Union européenne qui échoue structurellement à réaliser ses propres ambitions et à répondre aux aspirations de peuples européens qui s’en détournent scrutin après scrutin. Des eurosceptiques de gauche à ceux de droite, en passant par LREM, tous les candidats entendent « changer l’Europe » et y vont de leur solution, oscillant grosso modo du « toujours plus d’Union européenne » au « plus d’Union du tout » !
Non par sens du consensus mais par réalisme, on peut aussi penser que la solution demeure, si ce n’est entre les deux, du moins dans une troisième voie qui serait celle d’une coopération institutionnalisée mais libre entre États souverains, sur le modèle clairement confédéral. Une Europe plus modeste mais plus solide. Moins d’Union européenne pour plus d’Europe.
Une telle modification structurelle de la construction européenne ne pourrait pas se faire à droit constant. Là donc où certains envisagent d’engager une réforme des traités fondateurs en vue seulement de modifications cosmétiques, il conviendrait plutôt de profiter du lancement d’un tel processus pour revoir les fondamentaux de la construction européenne afin de « traiter le mal à la racine ». Et dans une perspective confédérale, cela devrait schématiquement couvrir trois grands chapitres : principes, institutions, compétences.
Ce sont d’abord les principes fondateurs de l’Union européenne qu’il faut redéfinir sur la base de trois principes directeurs forts : l’affirmation d’une coopération libre et volontaire des peuples et des nations en lieu et place de l’« union sans cesse plus étroite » qui sert de totem aujourd’hui ; l’établissement d’un principe de subsidiarité strictement et pleinement appliqué en rupture avec la dynamique centralisatrice et homogénéisatrice actuelle ; un cadre juridique redéfini et remis « à l’endroit » qui s’affranchisse largement du principe de primauté du droit européen et réaffirme la primauté des ordres constitutionnels nationaux.
Il faut ensuite réformer les institutions. Conseil, Parlement, Commission, Cour de Justice, Banque centrale, agences européennes, etc. : l’ensemble des institutions doivent en effet être mises en conformité avec une Union ainsi refondée. Il convient non seulement de réviser en profondeur l’architecture institutionnelle mais aussi la philosophie politique que les traités actuels sous-tendent. Ainsi faut il redonner au Conseil européen le premier rôle dans la conduite des affaires, limiter le champ d’intervention du Parlement européen aux compétences redéfinies de l’Union et le placer sous le contrôle démocratique des Parlements nationaux, repositionner la Commission européenne comme instrument d’exécution de la politique déterminée par le Conseil, ramener le Cour de justice à un rôle d’instance de règlement des conflits interinstitutionnels ou entre États membres, engager la réforme de la BCE en modifiant sa doctrine, en redéfinissant ses objectifs et ses moyens.
Et dernière étape découlant des deux précédentes : la redéfinition des compétences de l’Union. Elle suppose la réécriture des actuels articles 3, 4 et 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union. En la combinant à la redéfinition des principes fondateurs et à la réforme des institutions, cette révision générale des compétences doit permettre de concentrer l’Union sur quelques missions-clés pour lesquelles sa valeur ajoutée est avérée : union douanière, politique commerciale, marché intérieur, politique agricole, politique de la pêche, protection des consommateurs, recherche. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il faut continuer « comme avant » dans ces domaines. Il convient en effet de réorienter ces politiques en faveur de plus de protection (par l’établissement d’une préférence communautaire qui n’a pas honte d’elle-même) et de la défense accrue des intérêts stratégiques des pays membres (stratégie de recherche européenne pour la 5G par exemple).
D’autres compétences doivent, selon le principe de subsidiarité, être restituées en grande partie aux États membres : politiques sociales, politique de cohésion territoriale, énergie, transports, santé publique. En matière de transport par exemple, s’il y a un intérêt à ce que des infrastructures transeuropéennes fassent l’objet de concertation à l’échelle de l’Union, il est absurde que celle-ci mette son nez dans des projets nationaux, voire régionaux (comme le Grand Paris Express par exemple). D’autres compétences, celles dites d’appui, peuvent tout simplement disparaître sans dommages (à l’exception du programme « Erasmus + », qui mérite néanmoins d’être réformé).
Ainsi débarrassée de sa dimension téléologique, concentrée sur des missions concrètes au service des peuples européens, libérée des chimères d’un « au-delà des nations » et d’un hypothétique « peuple européen » que personne n’a jamais rencontré, enfin organiquement reliée aux démocraties nationales coopérant librement, l’Union européenne sera mieux en mesure de répondre aux attentes des peuples européens et de parvenir à se forger une nouvelle légitimité.