21 juin 2019 • Opinion •
Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More, et Jérôme Soibinet, sont les auteurs de la note « Après les élections du 26 mai, la « doctrine Macron » à l’assaut de l’Europe » (disponible ici).
La dernière réunion du Conseil européen n’aura, comme prévu, débouché sur aucun résultat concernant les nominations aux principales fonctions de l’Union européenne, dans la foulée des élections du 26 mai dernier. Une information de taille toutefois : les présidents des groupes socialiste et libéral du Parlement européen ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas pour le candidat proposé par le PPE pour présider la Commission, l’Allemand Manfred Weber, soutenu par Angela Merkel au Conseil européen. Ce refus a la faveur d’Emmanuel Macron qui voudrait un « poids lourd » pour l’« exécutif » bruxellois – éventuellement en la personne de Michel Barnier, issu lui aussi du PPE. Ce dernier scénario sauverait sans doute la face du PPE mais aurait toutefois un prix : l’Allemagne exigerait de « compenser » ce recul par des nominations à d’autres fonctions, moins visibles sans doute mais lourdes d’influence : à la tête des plus sensibles des directions générales de la Commission, dans les cabinets des plus importants commissaires, dans celui du président, etc. Dans ce contexte, le maintien ou non du très contesté Martin Selmayr, démocrate-chrétien allemand, au Secrétariat général de la Commission pèserait aussi dans la balance de négociations qui s’annoncent donc plus difficiles que jamais.
C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron est à la manœuvre, espérant rejouer à Bruxelles et à Strasbourg ce qui lui a si bien réussi à Paris en 2017 : une campagne axée sur le thème « progressistes vs. populistes » qui mène maintenant à une alternative cynique mais efficace : « le centre ou le chaos ». Et il faut bien admettre que le nouveau cadre politique européen peut susciter quelques espoirs chez le locataire de l’Elysée. Le partage des postes et des responsabilités qui préside depuis des années au fonctionnement des institutions européennes, selon le schéma « bilatéral » et minimaliste d’une entente entre PPE (démocrates-chrétiens) et S&D (socialistes), a fini par lasser les électeurs. S’ils restent les deux premiers groupes du Parlement européen, ils ont tous deux perdu une quarantaine de sièges.
Depuis le 26 mai, ce modèle binaire est révolu et les institutions doivent passer au « multilatéralisme » : la majorité qui se dessine, inclura, non plus deux groupes mais trois, voire quatre. La majorité parlementaire verra en effet le groupe libéral, rebaptisé « Renew Europe », se joindre au PPE et au S&D. L’ajout à ce trio du groupe des Verts n’est pas encore tranché mais reste une option : s’il n’est pas mathématiquement nécessaire à la constitution d’une majorité, ce renfort aurait l’avantage pour Emmanuel Macron d’éviter la constitution d’un groupe supplémentaire d’« opposition » et de verdir avantageusement la majorité. De plus, si les résultats finaux n’ont pas confirmé le raz-de-marée des partis eurosceptiques ou souverainistes que certains annonçaient, leurs scores cumulés demeurent un signe de doute, voire de rejet croissant, des électeurs qui oblige mécaniquement cette grande alliance à se forger au centre. Ces éléments pris ensemble semblent donc rendre possible la concrétisation du rêve macronien d’un grand pôle central contre les « extrêmes ».
Pas le même alignement des planètes
Sauf que le diable se niche dans les détails… L’alignement des planètes qui a fait le succès d’Emmanuel Macron en France en 2017 ne se retrouve pas complètement à l’échelon européen et va être bien difficile à reproduire. L’atomisation des partis politiques français et la bipolarisation surjouée entre « l’ombre et la lumière » est inadaptée à Bruxelles et Strasbourg. En effet, si de nombreux États membres connaissent des situations similaires de recomposition politique, toutes les nations composant l’Union ont leur propre vie démocratique et institutionnelle et, que les résultats des élections aient ou non bousculé les prévisions, tous ont leur agenda et des dirigeants tout aussi légitimes que le président de la République française.
Nathalie Loiseau en a déjà fait les frais qui a dû renoncer aux présidences du groupe libéral et même de la délégation française de celui-ci après des propos peu amènes sur ses propres alliés. Plus significatif encore, la crise interne qui frappe le même groupe libéral depuis que le parti Ciudadanos, qui en est membre, s’est allié en Espagne au Parti populaire (centre-droit, membre du PPE) et au mouvement Vox (classé à l’extrême-droite mais qui n’a pourtant pas à ce jour rejoint le groupe ID) pour gagner certaines mairies dont celle de Madrid. Emmanuel Macron et LREM mettent tout leur poids pour évincer les huit députés de Ciudadanos du groupe libéral mais c’est là un jeu dangereux auquel la présidence du groupe ne va peut-être pas se risquer, plus encore sur la base de coalitions locales qui n’augurent aucunement des alliances au niveau national voire européen.
Plus largement, si après son élection de 2017 et face à des institutions critiquées et des dirigeants affaiblis (en premier lieu, Angela Merkel), Emmanuel Macron a pu sembler prendre le leadership en Europe, il est indéniable que son étoile a depuis grandement pâli auprès de ses homologues. Ses ambitieuses propositions de réforme reprises dans sa tribune de mars dernier aux « citoyens d’Europe » ont été accueillies avec une indifférence polie – sans parler de la réaction nette et sans bavures d’Annegret Kramp-Karrenbauer, présidente de la CDU et « dauphine » d’Angela Merkel (cette-dernière n’étant pas en reste puisqu’elle reconnaissait en mai dernier avoir des « confrontations » avec Emmanuel Macron, basées sur « des différences de mentalité et dans leur compréhension des rôles »). La position jusqu’au-boutiste du président français sur le Brexit, seul contre la majorité des autres membres du Conseil européen, l’a également isolé. De même, ses prises de position musclées contre les dirigeants italiens, hongrois ou polonais lui ont valu, lui valent et lui vaudront longtemps de solides inimitiés. Enfin, la très longue crise des « gilets jaunes » et les banales solutions qu’il y a apportées (dix milliards de dépenses publiques supplémentaires), ont fini de ternir auprès de ses pairs son image de « réformateur » audacieux.
S’il n’est donc sans doute pas aujourd’hui le plus mal loti des dirigeants européens, Emmanuel Macron est repassé de l’image biblique du « sauveur de l’Europe » marchant sur les eaux, tel que le présentait The Economist en juin 2017, à celle d’un chef d’État aux prises avec la réalité, d’un prophète qui n’est pas entendu dans son pays, mais guère plus dans les autres.