30-31 août 2019 • Opinion •
Trompée par le sentiment lénifiant que la crise est terminée, l’économie mondiale s’installe actuellement dans un état de dangerosité extrême: surliquidité, finances publiques non maîtrisées, montée des protectionnismes, dérèglements climatiques, vulnérabilité accrue des populations à bas revenu, etc. Toutes ces menaces sont éparpillées en myriades de peurs localisées, qui sont autant de germes de déstabilisation et de fracturation. La coupe est pleine et le cocktail est explosif.
Face à la dictature du statu quo, l’humanité peut encore faire le choix d’engager les ajustements structurels urgents. L’histoire ne se répète jamais, mais ses leçons sont utiles. La dernière fois que l’économie mondiale s’est enkystée dans une semblable impasse, elle n’en est sortie que « dans l’ordre simpliste et terrible de la guerre » (Claude Gruson). Face à ce défi, « combattre les inégalités » ne suffit pas. Le modèle du développement doit être plus que soutenable et mieux qu’inclusif.
Identifié au renforcement des libertés (comme l’a mis en valeur Amartya Sen) ou du droit de propriété (sur lequel insiste Hernando de Soto), le développement requiert une troisième dimension, la sûreté. Dangers extrêmes, faibles revenus, rareté des capitaux : les pays pauvres ne seraient plus exclus du mouvement de couverture des grands risques si l’on faisait jouer aux marchés financiers un rôle de réassureur ultime des risques primaires qui touchent au coeur le processus de développement. Deux sujets majeurs devraient donc se rejoindre dans l’agenda des responsables politiques : la gestion des grands risques et le développement cohésif.
De fait, réassurer la planète n’est plus vraiment une idée neuve. Parmi les initiatives thématiques ou régionales qui se multiplient, le Global Partnership for Climate and Disaster Risk Finance and Insurance Solutions (Bonn, Cop23) est particulièrement prometteur. Pour la première fois, trois sujets majeurs de notre temps – la vulnérabilité des régions les plus pauvres, les bouleversements climatiques, l’innovation financière – sont réunis dans un même package politique. Une course est engagée entre la rapide dégradation climatique et les lents progrès économiques. Raison de plus pour combattre la vulnérabilité en priorité, avant la pauvreté.
Lorsqu’il publie la note Réassurer la planète (2004 puis 2012), l’Institut Thomas More soutient l’idée que, pour casser la spirale de l’insécurité économique, la couverture efficace des risques extrêmes que subissent les régions pauvres doit viser d’emblée l’échelle mondiale. Le coeur du modèle est une réserve mondiale de réassurance au profit des producteurs pauvres. Il combine plusieurs financements (cotisations, abondements souverains, titrisation) et un accord international doit en fixer le cadre juridique et technique.
L’objectif est à notre portée : l’ampleur des pires catastrophes qui peuvent ruiner un pays à bas revenu est comparable, en milliards de dollars, à la volatilité quotidienne des marchés financiers mondiaux : donc, on sait faire. De leur côté, en affichant massivement leur consentement-à-payer pour des assurances essentielles, les populations pauvres prouvent que le risque a encore un prix pour elles. La véritable inégalité est là, infiniment plus que dans les échelles comptables de revenus ou de patrimoines.
Quant aux outils de transfert alternatif des risques (ART), ils ont fait leurs preuves depuis vingt ans (réassurance financière, « cat bonds », dérivés climatiques, assurances indicielles, etc.) et le développement peut en tirer quatre profits : utilité sociale pour les populations protégées, accès à une large capacité de réassurance, diversification pour l’assureur, rendement pour l’investisseur. La surliquidité monétaire de la période actuelle est effrayante. Osons regarder la capacité globale de réassurance contre la pauvreté comme une gigantesque éponge à liquidités.
Le champ de la réassurance planétaire ignore le danger de bulles spéculatives. L’équilibre actuariel reste fondateur. Mais s’y ajoute aussi l’équilibre financier entre le consentement à payer des uns pour accéder à la sûreté partagée et le rendement escompté par les autres pour prix du risque partagé. Tandis que la planète riche redoute une nouvelle crise, la planète pauvre voudrait une autre alternative pour l’avenir que subir ou partir. Pour concilier ces attentes, les dirigeants du G7 ont les clefs : freiner le surendettement public et réassurer la planète en encourageant massivement l’ART. A eux de jouer, avec deux conditions : un cahier des charges strict pour l’émission des titres, une étanchéité parfaite du circuit contre les fuites vers des budgets généraux.
Demain, le réseau mondial de la sûreté partagée sera organisé par ceux qui auront compris que l’irruption du Big Data ou des drones d’observation agricole dans le monde de la réassurance est une chance pour les pauvres. A l’ère de l’intelligence artificielle, le défi de Condorcet – réduire la misère en opposant le hasard à lui-même, grâce aux progrès du calcul – n’est plus une utopie. Deux siècles plus tard, on aimerait bien entendre ici la voix de la France.