La note qui sème le doute sur la solidité des banques

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

23 octobre 2019 • Opinion •


Le mois d’octobre est un mois funeste dans la mémoire des banquiers. 90 ans après le Jeudi noir, les banques ne semblent toujours pas avoir tiré les leçons des krach boursiers et témoignent encore aujourd’hui d’une très grande fragilité.


Octobre demeure dans l’inconscient des économistes et des peoples comme le mois des krachs boursiers, depuis la chute vertigineuse du 24 octobre 1929 dont nous célébrons les 90 ans jusqu’à la chute des banques en octobre 2008 en passant par le cygne noir d’octobre 1987. Et ce mois d’octobre 2019, alors que pointent à l’horizon de nombreux signes de ralentissement, doit au moins nous conduire à nous interroger sur la solidité du système bancaire.

L’industriel Henri Ford disait que si les peuples comprenaient les tenants et aboutissants du système bancaire, il y aurait une révolution dès le lendemain. Il est vrai que la vindicte populaire n’a cessé de s’exercer contre les banques, depuis qu’elles furent l’épicentre de la grande crise de 2008 et surtout qu’il a fallu se porter à leur secours par le truchement de l’argent public: on pourrait en réalité minorer quelque peu cette perception, car il y a eu facilités de refinancement (pour des institutions qui sont elles-mêmes responsables du financement de l’économie et n’ont jamais fonctionné comme des institutions privées normales, puisque du fait de leur licence bancaire, elles co-participent à la création de monnaie) plus qu’injection d’argent public, et quand ce fut tout de même le cas, les sommes furent vite remboursées.

Paradoxalement, les banques ne sont pas plus solides après des années d’intervention des banques centrales. Au-delà de l’opinion commune en effet, les diverses politiques non conventionnelles (quantitative easing, taux négatifs) ont en réalité détruit le modèle d’affaires des banques. Cela explique par exemple que les banques aux activités les plus spéculatives, telle la Deutsche Bank, soient en difficulté depuis plusieurs années, et ce même pendant la phase ascendante du cycle économique. Mais le pire est à venir, et il tient plus à des éléments structurels voire systémiques qu’aux errements de tel ou tel département d’une banque qui aurait engagé des prêts trop risqués (un classique dans le financement immobilier par exemple).

Une note récente de Mc Kinsey est venue jeter un doute nouveau sur la solidité des banques ; il ne s’agit pas ici de se poser la question d’un impact d’une crise financière ou même de celles des créances douteuses (pour lesquelles la France occupe la seconde place du podium en Europe du fait d’une zombification de certains emprunteurs immobiliers), mais de mettre en exergue deux sujets : comment rester profitable dans un monde de taux durablement bas voire négatifs ? Et quel serait l’impact d’un retournement de conjoncture voire d’une récession, désormais de plus en plus probable en 2020, sur les banques et leur solidité financière ?

Mc Kinsey montre en premier lieu que pour 60% des banques dans le monde, leur retour sur capitaux investis (rémunération des prêts et autres tarifications) est en dessous du coût de leur capital. L’argent peu cher ne compense donc pas l’absence de rendements des investissements. Vivre dans un monde de taux bas est un avantage indéniable côté financement, mais si on ne gagne rien de l’autre côté de l’équation, cela n’a pas un grand intérêt en soi. C’est l’aporie où se trouve le secteur dit FIRE (financials, insurance, real estate) du fait de rendements quasi nuls. Emprunter à 1% pour placer à 1,5% avec des coûts de fonctionnement, d’origination et de structures, cela ne peut fonctionner, sauf pour les nouveaux entrants opérant par exemple sur le web ou en modèle direct. Ces 60% de banques sont dans une situation d’équilibrisme qui s’aggravera en cas de récession. Mais le cabinet de conseil recense aussi un gros tiers de banques, notamment dans les pays émergents, avec des coûts fixes trop élevés, qui ne survivraient pas au scénario d’une récession importante : le cabinet préconise des fusions pour diminuer le nombre de ces banques et abaisser leur point d’équilibre. La croissance des prêts bancaires s’essouffle (4% l’an dernier, le plus bas niveau en cinq ans) avec le ralentissement mondial : les deux phénomènes ne sont que l’avers et le revers du même constat, la fin du cycle d’expansion.

On notera de fortes disparités géographiques entre banques, la plupart des petites banques étant nationales ou locales : les retours sur capitaux propres des banques américaines sont de dix points supérieurs à ceux des banques européennes par exemple. La géographie, la taille (économies d’échelle), mais aussi le mix des activités ont tous une corrélation avec ces retours : sur ce dernier point, un élément idiosyncratique est par exemple le cas de banques qui sont des broker dealers, intervenant sur les marchés de titres. Dans cette activité, marges et volumes se sont effondrés et même un broker dealer sur une bonne géographie avec la taille suffisante, ne couvre plus son coût du capital. Au contraire, la gestion de fortune, la gestion d’actifs et la transaction sont des leviers de créations de valeur, là où le numérique ne tient pas encore ses promesses. Ainsi Mc Kinsey estime que 20% des banques capturent 100% de la valeur économique ajoutée (EVA) dans le secteur : peu importe finalement un coût du financement faible ou un environnement sans risque et volatilité, ce sont fondamentalement des modèles d’affaires obsolètes qui obèrent le futur des banques. In fine, c’est la prochaine récession qui permettra ici de séparer le bon grain de l’ivraie, mais aussi le talent des managers de ces institutions.