Immigration · « Les quotas ne sont qu’un outil, pas une politique »

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

5 novembre 2019 • Entretien •


Mercredi 6 novembre, le gouvernement fera connaître vingt nouvelles mesures sur l’immigration. Si celles-ci sont nécessaires, juge Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More, elles sont encore largement insuffisantes pour réduire les flux migratoires.


Le gouvernement doit dévoiler ce mercredi vingt nouvelles mesures sur l’immigration, une semaine après que le Président a tenu des propos fermes sur cette question dans un entretien à Valeurs Actuelles. L’objectif assumé est-il bel et bien de faire baisser l’immigration en France ?

Non. A aucun moment, le président de la République ni le Premier ministre n’ont publiquement assumé un objectif de baisse de l’immigration légale en France qui était, pour mémoire, de 256 000 personnes en 2018 (+3,4% par rapport à 2017, chiffres ministère de l’Intérieur). La question migratoire constitue un sommet du « en même temps » macronien, une tactique faite pour étourdir l’adversaire sans portée stratégique. L’exécutif n’a pas de vision sur ce dossier. Il se contente de faire des « coups » et d’envoyer de temps à autre des signaux à l’électorat de droite. Avec Emmanuel Macron, la politique migratoire, qui est un sujet grave et lourd compte tenu des tensions identitaires actuelles, est l’otage de calculs politiciens.

Parmi les mesures attendues, figure celle d’imposer des « objectifs chiffrés ou des quotas » pour l’immigration économique légale (Muriel Pénicaud sur BFMTV mardi matin). Quelle sera l’efficacité de cette mesure ?

Si elle vise bel et bien à réduire l’immigration économique, pourquoi pas ? Cela permettrait d’adapter le flux au besoin et, logiquement, de stopper le flux une fois le besoin satisfait. Mais le problème est qu’au-delà de l’effet d’annonce, on ignore le but recherché par l’exécutif. Les quotas ne sont qu’un outil, ils ne font pas une politique.

J’ajoute que si l’immigration économique a connu une forte progression en 2018 (+22% par rapport à 2017), elle ne représente que 13% des entrées légales sur le territoire (33 500 sur les 256 000 évoquées plus haut). Cela veut dire que, si on veut baisser significativement l’immigration légale dans notre pays, il faut actionner d’autres leviers.

Si l’immigration économique ne représente qu’une petite partie du nombre total d’immigrés, quelles autres mesures faudrait-il prendre ? Faut-il s’attaquer à la politique française de regroupement familial ?

Si l’objectif recherché est la baisse de l’immigration, oui, il faut regarder du côté des entrées légales pour motif familial qui ont représenté 90 000 titres délivrés (35% du total) en 2018. Il est parfaitement possible de restreindre l’accès au regroupement familial, les mesures existent : en renforçant les exigences de maîtrise de la langue, en accroissant le coût du visa, en conditionnant le regroupement familial à la capacité de l’étranger à subvenir aux besoins de sa famille, en imposant un délai de cinq ans par exemple avant qu’il puisse bénéficier des allocations familiales ou d’un logement social, etc.

Mais s’attaquer au regroupement familial, c’est forcément poser la question de l’accès à la nationalité. Pourquoi ? Car dans cette catégorie qu’on appelle le « regroupement familial », la sous-catégorie des « familles de Français » représente 53% du total (47 950 en 2018). Elle concerne des citoyens français qui font venir de l’étranger leur conjoint, leurs ascendants ou leurs enfants. C’est elle qui alimente le phénomène d’« autoengendrement des flux familiaux » qu’a mis en lumière Michèle Tribalat et dont la dimension exponentielle est évidente. Dans son livre Les yeux grands fermés paru en 2010, la démographe signale que le nombre de personnes entrées comme « familles de Français » a été multiplié par quatre entre 1996 et 2003. La part des naissances d’origine étrangère dans l’ensemble des naissances en France a presque doublé en quarante ans, passant de 11,6% en 1968 à 18,1% en 2005. De fait, près de trois enfants sur dix nés en France en 2015 ont au moins un parent étranger (chiffre INED).

Le gouvernement, sans s’attaquer réellement à l’AME, envisage également d’instaurer un délai de carence avant d’accéder à la Sécurité sociale…

Pour être précis, il s’agit d’un délai de carence de trois mois avant d’accéder à la Protection universelle maladie (PUMa), la Sécurité sociale de base. Concernant l’Aide médicale d’État (AME) qui bénéficie à 318 000 personnes, il serait question de soumettre certains actes non-urgents à l’accord préalable de la Sécurité sociale. On est assez loin d’un durcissement réel des conditions d’accès… La suppression pure et simple de l’AME serait pourtant aisément envisageable (seuls trois autres pays, la Belgique, les Pays-Bas et le Portugal, offrent un dispositif similaire), ce qui ne signifie évidemment que les situations d’urgence ne seraient pas prises en charge.

Comment parvenir à l’objectif fixé par le chef de l’Etat : 100 % de reconduites à la frontière effectives d’ici la fin du quinquennat ?

Cette annonce est stupéfiante. Comment le président de la République peut-il annoncer un objectif de 100% de reconduites effectives à la frontière alors qu’on sait qu’on est à 4% (chiffre Cours des comptes) ? On est en dehors de toute réalité…

Car la réalité est que la longueur des procédures d’examens des dossiers de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), prolongées de recours presque systématiques auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), la non-exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) amènent à une situation de maintien quasi général des déboutés de l’asile sur le territoire. Une fois que tous les recours sont épuisés, ce qui peut prendre plusieurs années, ces derniers viennent grossir les rangs de l’immigration illégale tolérée de fait. Chaque jour passé en France est alors un pas vers la régularisation, facilitée par la circulaire Valls de 2012.

Face à cela, l’exécutif annonce vouloir réduire les délais d’instruction des dossiers pour les demandeurs d’asile, en accroissant les moyens de l’OFPRA et de la CNDA. Faut-il rappeler que c’était déjà l’une des ambitions de la loi Collomb de septembre 2018, il y a à peine plus d’un an ?…

Une telle politique a un coût important ! La France peut-elle le supporter ?

Il faut d’abord noter que c’est très difficile. Concrètement, cela veut dire que l’immigré débouté doit être accompagné par deux policiers, qu’il faut donc payer trois billets d’avion, qu’il faut affronter les esclandres qui éclatent souvent, les autres passagers qui « défendent » le débouté, etc. Et surtout, il faut que le pays de retour accepte de le recevoir. Il est donc sans doute nécessaire d’accroître les moyens sur la reconduite à la frontière (et en priorité sur les services de police) mais il est douteux que cela ait un effet très significatif.

Preuve de la difficulté, aucun pays européen n’a de bons résultats en la matière. L’Australie, qui est souvent citer en exemple d’une politique migratoire stricte, non plus. Mais je cite l’Australie car elle a compris une chose simple : en attendant de trouver le moyen de faire effectivement quitter le territoire aux immigrés illégaux, elle tâche de limiter drastiquement leur entrée.