Nation et religion · L’expérience marocaine

Sophie de Peyret, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Décembre 2019 • Note 38 •


Avec la montée de l’islam politique, le terrorisme, l’instabilité et les tensions dans les pays musulmans, les problèmes d’intégration dans les pays occidentaux, la question de l’islam domine aujourd’hui l’agenda mondial. Tous les pays, dans le monde musulman et au-dehors, sont à la recherche de nouveaux équilibres. Dans ce contexte, Sophie de Peyret s’est penchée sur le cas du Maroc qui constitue un exemple singulier de construction politico-religieuse…


L’époque est à la « revanche de Dieu »

Au cours des trois siècles écoulés, les avancées scientifiques et la modernité ont prétendu détrôner croyances et superstitions, les idéologies politiques ont entrepris de reléguer les religions au second plan des préoccupations mondiales. Pourtant, depuis quelques décennies, le religieux fait un retour en force et la marche à la sécularisation que certains croyaient définitivement acquise n’a plus rien de triomphal. Ce « retour du religieux » se constate, en Occident, dans l’apparition de formes religieuses et de pratiques nouvelles (essor de l’évangélisme américain, progression des pratiques chamaniques ou des cultes asiatiques). Si le christianisme occidental reste globalement en crise, cela est moins vrai dans d’autres parties du monde : en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. En Chine, qu’il s’agisse de la situation dramatique des Ouïghours ou des persécutions contre les chrétiens, il est manifeste que le pouvoir prend la question religieuse très au sérieux.

Mais le fait religieux qui a le plus spectaculairement fait parler de lui ces quatre dernières décennies est bien sûr l’islam, notamment dans ses dimensions politiques, radicales ou fondamentalistes

De l’avènement de la République islamique en Iran en 1979 à celui de Daesh en 2014, en passant par la montée en puissance des Frères musulmans pendant les décennies 1980-1990 dans de nombreux pays arabes ou le choc du 11 septembre 2001 et la déstabilisation du Moyen-Orient qui s’en est suivi jusqu’aux Printemps arabes, la difficile articulation entre islam et politique constitue l’un des principaux facteurs de déstabilisation des sociétés contemporaines. La montée du fondamentalisme islamique partout dans le monde contraint les États à reconsidérer leurs modes de fonctionnement et leur relation au fait religieux. Ici, comme c’est le cas en France, l’État ne peut plus faire abstraction d’un islam qu’il est pourtant censé ignorer. Ailleurs, l’un prend l’ascendant sur l’autre. Chacun expérimente des manières d’articuler les deux domaines avec des succès contrastés. Tous les pays, partout sur la planète, dans le monde musulman et au-dehors, sont à la recherche de nouveaux équilibres.

Parmi les multiples modèles, l’expérience marocaine apparaît comme un exemple singulier de construction politico-religieuse

Un souverain à la fois autorité temporelle et spirituelle, une orientation religieuse qui cherche à promouvoir la voie de la modération, une volonté de s’imposer non pas comme un modèle mais comme une voix alternative, sont autant de caractéristiques qui justifient qu’on l’analyse en détails. Alors que le pays a fêté les vingt ans de règne de Mohammed VI, il est en effet intéressant d’étudier la manière dont le Maroc s’empare des problématiques contemporaines liées à l’islam (terrorisme, islam politique, libertés, égalité entre les femmes et les hommes, etc.) et de chercher à comprendre dans quelle mesure ses particularités concourent à assurer un pôle de stabilité politique et religieux dans la région et au-delà.

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