20 février 2020 • Opinion •
Dans une tribune publiée par Mediapart, Gérard-François Dumont et Frédéric Ville alertent sur l’enjeu véritable des élections municipales qui se situe dans les territoires ruraux. Mais on regarde ailleurs… Souvent démobilisés ou même démissionnaires en raison de graves menaces portées par les technocrates de tous poils à la démocratie locale, les élus ruraux risquent, c’est une première, de n’être pas en nombre suffisant pour se présenter ou représenter.
En cette période de campagne municipale on entend beaucoup : LREM va-t-il percer ? Les barons locaux PS ou LR céderont-ils la place ou confirmeront-ils leur ancrage dans les territoires ? Et on s’intéresse bien sûr aux foires d’empoigne dans nos métropoles. On nage en pleine politique traditionnelle.
Bénévolat menacé, technocratisation, politisation…
A des milliers de lieues de là, les villages français ont bien d’autres soucis. Ici, c’est la démocratie qui est atteinte en plein cœur. Ici, plus qu’ailleurs, des maires risquent de jeter l’éponge. 59% des maires ruraux, véritables gilets jaunes des élus locaux, indiquaient ne pas vouloir se représenter en 2020, contre 49% pour l’ensemble des maires. Pourquoi ? Les raisons familiales ou personnelles se retrouvent partout. Le ras-le-bol vis-à-vis de l’inflation normative ou des exigences accrues des administrés, voire de leurs violences verbales ou même physiques, frappe également partout. Mais les maires ruraux en souffrent davantage, car contrairement à ceux de plus grandes communes, ils sont en première ligne, connaissent leurs administrés et ne disposent pas de directeurs généraux des services pour faire écran. Et ce ne sont pas les adaptations à la marge de la loi Engagement et proximité du 27 décembre dernier, si nécessaires soit-elles sans doute, mais surtout destinées à cajoler en catastrophe les élus, qui vont changer quoi que ce soit. Les contraintes budgétaires sont elles aussi partout, mais plus fortes dans les communes rurales, celles-ci ayant des recettes par habitant inférieures à celle des villes : quand, dans le même temps, la dotation forfaitaire de l’Etat va de 64€/habitant pour les communes de moins de 500 habitants à 128€/habitant pour les communes de plus de 200 000 habitants, sous prétexte de charges de centralité, mais en omettant les recettes de centralité.
Surtout, les maires ruraux ne souhaitant pas se représenter invoquent à 37% comme première raison la toute-puissance des intercommunalités qui rognent leurs pouvoirs. La réforme territoriale, en regroupant les intercommunalités entre elles pour en faire bien souvent des ensembles XXL, mais aussi en regroupant les communes entre elles à coups d’incitations financières, cette réforme territoriale donc a constitué un broyeur à motivations, particulièrement net dans les territoires ruraux, grands perdants de cette bataille engagée par l’Etat, sous Sarkozy, Hollande, puis Macron. La montée en compétences de ces grands ensembles, si elle a permis ici ou là une action publique plus efficace et plus coordonnée, s’est surtout faite au détriment de la proximité des services et des élus, du bénévolat (remplacement d’élus ou de citoyens bénévoles par des agents). Elle s’est trop souvent accompagnée d’une technocratisation des territoires : il n’est plus rare d’observer des directeurs de haut niveau « commander » à leurs élus, trop peu informés ou impliqués. L’augmentation de la taille des collectivités a provoqué une indéniable politisation des territoires. Tout cela sans que les économies d’échelle annoncées n’aient eu lieu, sauf peut-être pour les achats, et alors même que des « dés-économies d’échelle » ont par contre été prouvées.
Attention ! risques de communes sans candidats
Or, dans un contexte rural resté physiquement et sociologiquement le même, nos grands penseurs de la réforme, obnubilés par le dogme « Plus gros, c’est plus beau », n’ont pas vu venir l’impact désastreux que provoquerait une attaque frontale des éléments constitutifs de l’identité rurale : convivialité, proximité, bénévolat, absence de technocratisation et de politisation. Déjà, puisqu’ils ne peuvent plus peser sur le débat et les décisions, de nombreux conseillers communautaires ruraux ne siègent plus, tout comme de nombreux conseillers municipaux de communes nouvelles, sans parler des nombreux démissionnaires. Mais direz-vous, le gouvernement a souhaité revenir sur la déclaration obligatoire de la nuance politique exigée depuis 2013 pour tous les candidats d’une liste municipale et dans toutes les communes, en introduisant un seuil d’obligation à 9 000 habitants. Pour des raisons politiciennes, parce que les communes rurales risqueraient de polluer les éventuels bons scores de LREM dans les villes, où le parti est mieux implanté. Non pour faciliter l’engagement dans les territoires ruraux, où une tête de liste réclamant uniquement des colistiers de sa tendance risque bien de ne jamais constituer de liste, mais où malgré tout les équipes constituées parviennent à faire du bon travail. Le Conseil d’Etat a logiquement retoqué le seuil à 3 500 habitants. On nage toujours en pleine politique traditionnelle.
Pourtant, le 27 février, date limite de dépôt des candidatures, approche. Alors, pour toutes les raisons évoquées ci-avant, le risque est grand qu’il n’y ait pas seulement 61 communes sans candidats comme en 2014, mais beaucoup plus. Sans parler du nombre de listes souvent réduites à une seule par commune. Sans parler de toute une frange d’élus et candidats issus de milieux populaires, encore abondante jusqu’ici dans les communes rurales, menacée de disparition. Tout cela ne flaire pas bon la démocratie. Mais on anticipe déjà les voix de nos grands penseurs dès le 27 février : « Il faut regrouper les communes, nous ne sommes pas allés assez loin ». Une fois de plus, ils auront confondu et inversé la vraie cause (les coups portés à l’identité rurale) et la vraie conséquence (la pénurie de candidats). Ce n’est qu’à la condition de faire le bon diagnostic qu’on pourra retrouver la vitalité démocratique nécessaire à toute action politique.