27 février 2020 • Entretien •
A l’occasion de publication par l’Institut Thomas More de près de 60 propositions pour les élections municipales des 15 et 22 mars prochains (en savoir +), Jean-Thomas Lesueur explique pourquoi il est urgent de redynamiser l’échelon communal et d’en finir avec le paradigme de la métropolisation.
La métropolisation est souvent présentée comme un phénomène inéluctable dans la mondialisation. Est-il possible de redynamiser l’échelon communal en dehors des grandes métropoles ?
La métropole est un fait, la « métropolisation » du territoire est une erreur. Je veux dire que le fait que l’aménagement du territoire ait été pensé depuis quinze ans à partir d’une petite vingtaine de métropoles branchées sur la mondialisation (avec des entreprises innovantes, des emplois diplômés, des écoles et des universités, des aéroports, etc.) et devant, selon la théorie du ruissellement, irriguer les territoires environnants, constitue une erreur à tous points de vue : historique, politique, social et économique.
Cette vision est celle de hauts fonctionnaires qui ont le goût fanatique des ordonnancements « à la française », suivis par des responsables politiques de moins en moins enracinés et qui ne connaissent ni leur histoire, ni leur géographie ! C’est elle qui a inspiré la loi Notre de 2015 qui a imposé le fait intercommunal de manière rigide et uniforme aux communes, au nom du « big is beautiful » et qui a présidé au découpage des nouvelles régions en 2016, cette fois au nom d’une « taille critique » qui n’existe pas.
Le problème est que tout cela ne correspond pas à la réalité vécue par les territoires et les gens qui y vivent. Il n’y a pas de « taille critique » et l’« effet de taille » est au contraire parfois contre-productif. On peut citer bien des territoires et des communes qui se portent bien loin des métropoles : la Vendée, le Choletais, Rodez, Figeac, etc. Finalement, ce qui fait la réussite d’un territoire, ce n’est pas sa taille, mais la combinaison de plusieurs facteurs : une vision, un ou des hommes dotés d’une vraie force d’entraînement, des acteurs mobilisés et responsabilisés (habitants, familles, associations, entreprises, etc.), un attachement partagé au territoire.
Edouard Philippe a annoncé une libération des licences IV pour créer des nouveaux bistrots en milieu rural. Cette initiative va-t-elle dans le bon sens ?
Tout ce qui permet de recréer un lien humain dans les communes rurales va dans le bon sens. Il y avait 600 000 bistrots en France en 1960, il y en a moins de 35 000 aujourd’hui. A la campagne, le bistrot n’est pas qu’un débit de boissons : c’est aussi l’épicerie, la boulangerie, le bureau de poste, etc. Et il n’a pas qu’une fonction économique. La montée de la solitude et le délitement des liens dans les petites communes sont des faits sociaux majeurs de notre époque.
Que peut-on faire pour redynamiser les centres-villes de la France périphérique ?
La revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs doit donc être conçue comme une ambition politique, c’est-à-dire au service de la vie de la cité, et non strictement économique. Tout ce qui peut être mis en place en faveur du commerce de proximité (fiscalité incitative, plans de circulation, circuits courts, numérique, etc.) doit chercher à ramener de la vie et des relations humaines dans des rues qu’elles ont parfois désertées. Même chose pour le logement, avec les « logements partagés » pour lesquels certaines communes font des conditions avantageuses à des familles qui s’engagent à veiller sur des personnes âgées qui vivent près d’elles. Les exemples que nous présentons et les propositions que nous formulons poursuivent le même objectif : renforcer les solidarités locales et humaines et montrer que des solutions à hauteur d’homme existent.
L’écologie va être un enjeu important des municipales. Là aussi, l’échelon communal est-il pertinent pour s’occuper de la question environnementale ?
Oui et selon la même logique. L’écologie, une fois débarrassée de sa charge idéologique, pose des questions humaines. Elle prend soin de l’homme autant que de la nature, sans les opposer. Les modes de vie et de consommation contemporains ont éloigné l’homme de la nature et contribué à son déracinement. S’il ne peut bien sûr prétendre tout régler, il est certain que l’échelon local, et d’abord communal, peut contribuer à leur réconciliation.
Parmi nos propositions, on peut citer la sensibilisation des enfants de l’école primaire à l’environnement naturel de la commune, le soutien à l’agriculture locale (en favorisant une meilleure reconnaissance des agriculteurs par les habitants de la commune, les circuits courts et l’installation des jeunes agriculteurs), la reconnaissance du monde de la chasse et de la pêche comme premier défenseur de la biodiversité locale, l’encouragement par des solutions locales à la collecte, la valorisation et la réduction des déchets, la construction de logements écologiques et respectueux de l’architecture traditionnelle, etc.
Faut-il aller plus loin dans l’exercice de la démocratie locale ?
Victor de Broglie disait en 1861 que « la France est un pays conquis par son administration ». La centralisation, l’obsession unitaire, la méfiance du centre pour la périphérie sont des constantes de l’histoire de France. Soit. Mais nous connaissons une crise démocratique, une crise de défiance politique sans précédent et je suis bien convaincu qu’une partie de la réponse, je dis bien une partie, réside dans le développement de la démocratie locale.
La commune est le dernier espace de confiance politique dans notre pays. Elle est le lieu de la démocratie en circuit court, de la démocratie de la poignée de main et du face-à-face, des projets réussis parce que conçus au plus près du réel et par nature enracinés : la politique à hauteur d’homme. Alors oui, il faut aller plus loin dans l’exercice de la démocratie locale en réformant enfin l’État pour en finir avec le « réflexe centralisateur », en décentralisant franchement pour faire respirer la France, en revalorisant le rôle du maire, en le libérant des contraintes (administratives et juridiques) et des tutelles qui l’entravent, en lui donnant plus de libertés et plus de responsabilités pour agir au plus près des citoyens, en l’incitant à s’appuyer davantage sur le secteur associatif de sa commune, en autorisant le référendum d’initiative locale, etc. La démocratie locale est l’affaire de tous. Je crois assez peu à la démocratie participative mais bien plus à la participation démocratique.