2 juin 2020 • Opinion •
Alors qu’un documentaire diffusé le mardi 2 juin sur France 5 prétend éclairer les débats sur le projet de loi bioéthique en donnant la parole à sept enfants (dont 5 mineurs), le docteur Christian Flavigny, pédopsychiatre et psychanalyste, dénonce la supercherie qui consiste à utiliser les enfants pour justifier une loi contraire à leur intérêt.
Mardi 2 juin, l’émission « Le monde en face » sur France 5 a prétendu éclairer les débats sur le projet de loi de bioéthique en faisant s’exprimer sept enfants issus de PMA (pour les femmes) ou de GPA, filmés en train de répondre à des questions posées sur leur famille. Cinq d’entre eux sont de jeunes mineurs âgés de 8 à 13 ans. Seuls deux sont majeurs (18 et 20 ans).
Ce documentaire entend montrer que ces enfants sont heureux et que, s’ils ressentent un mal-être, c’est uniquement en raison du « regard pesant » des tiers sur leur histoire et de l’homophobie d’une partie de la société.
Mise en scène des enfants
Cette exhibition des enfants pour les faire parler de leur propre situation familiale est très impudique. Certaines choses parmi les sujets abordés devraient seulement s’évoquer dans un cadre très confidentiel, sous peine de tourner à une sorte de télé-réalité déplaisante conduisant à une véritable exploitation de la parole des enfants.
Que signifie qu’ils sont « filmés à hauteur d’enfant » ? Ils sont surtout saisis dans un piège ; car pour ne pas sembler trahir leurs parents, ils ne peuvent que répondre loyalement ce qui conforte ceux-ci : qu’ils sont heureux. Ce genre d’émission ne peut que demeurer en façade ; on prétend respecter les enfants en leur « accordant » d’écouter leur parole, ce qui est bienvenu, sauf qu’ils ne peuvent répondre en vérité aux questions intimes que leur pose les situations évoquées de leur venue au monde.
Quelle capacité pour l’enfant d’analyser sa propre situation ?
Un enfant ne peut pas être « interviewé » sur les conditions de sa venue au monde ; c’est une aberration psychologique ravalant au concret ce qui est une interrogation existentielle. S’il y a une question que se posent intimement ces enfants, c’est : « pourquoi ce parcours plutôt qu’un enfantement avec un papa et une maman ? » La question pour eux très délicate est au fond : pourquoi je n’ai pas mérité d’avoir un papa et une maman ? Comment voudrait-on que ce type d’interrogation soit abordé en public ? L’émission traite en fait la question des adultes, qui rabattent la réflexion sur le « comment », alors que la question de l’enfant relève du « pourquoi ? » : pourquoi ce détour dans leur désir, qui me prive d’avoir mon père et ma mère ? Les adultes veulent contourner cette question ; et la griserie de l’inhabituel cherche à masquer l’évitement de l’enfantement.
Quelle « normalité » pour l’enfant ?
L’émission feint d’interroger les enfants sur « la normalité » de leur venue au monde alors que, pour un enfant, il n’y a de normalité QUE celle de son histoire familiale. C’est elle qui est la norme. Les enfants découvrent, aux débuts de leur fréquentation scolaire ou lors de cousinage, qu’il y a d’autres manières de faire une famille, d’autres façons d’être mère ou père, d’autres façons d’être aimé ; il n’a par définition aucun rapport à la « normalité » que celle de sa famille, qui lui fait référence.
Ce débat d’adultes sur la normalité résume à une affaire de forme ce qui est une affaire de fond : les enfants sont privés d’une relation d’enfantement, donc du socle psychique leur rendant compte de leur venue au monde, ce qui est pour eux comme le berceau psychique. Ils ont des interrogations sur pourquoi ce contournement ; il est normal qu’ils en parlent en sensibilité à la vie psychique de leurs parents, ce que fait aussi le pédopsychiatre qui ne porte aucun jugement sur la situation des parents mais démêle avec les enfants, tous les enfants, leur besoin de comprendre, leur besoin de « pourquoi », cherchant à s’assurer qu’ils répondent au mieux aux attentes de leurs parents, comme font tous les enfants.
Quel questionnement pour l’enfant ?
Les enfants concernés se posent des questions, mais ce ne sont pas celles posées sur les plateaux de télévision. Dans le cadre intime d’une consultation, c’est celle de leur venue au monde, intrigante pour tous les enfants mais complexifiée pour ceux nés à l’écart de l’enfantement. Cette question, on l’occulte sur les plateaux pour complaire aux adultes qui voudraient que ce soit une non-question.
Les enfants perçoivent bien l’anomalie de ne pas avoir de père ou de mère, non pas anormalité sociale mais écart par rapport à la relation anthropologique de la venue de l’enfant. Ce genre de débat les piège car il fait ignorer qu’une privation leur est faite qui atteint leur raison d’être au monde. Ils sont certes des enfants comme les autres, accueillis comme tels dans la vie sociale ; mais le débat télévisé occulte qu’ils ont été privés du socle de leur vie psychique.
La loi ou le piège ultime
Le problème n’est pas les situations que vivent ces enfants ; tant mieux si elles leur ont permis d’être heureux, même si cela sent l’affichage. L’émission prépare une validation par les lois des pratiques qui contournent la voie qui porte à l’enfant ses repères fondateurs, celle d’un enfantement crédible.
La loi ignorerait la privation faite aux enfants, elle la banaliserait en l’instaurant de droit, elle obturerait leur compréhension en prétendant qu’il n’y a aucun sujet à considérer, elle les empêcherait de penser ce qui aux tréfonds d’eux-mêmes demeure une interrogation existentielle. L’enfant intimement ressent la privation de père ou de mère, l’émission télévisée détourne de cette question essentielle mais très intime, inavouable en public.