On ne peut supprimer le père au nom de l’égalité

Elizabeth Montfort, présidente du pôle Famille de l’Institut Thomas More

31 juillet 2020 • Opinion •


« Ne pas avoir un mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée. Et ça évite que mes enfants le soient aussi » : les propos tenus par l’élue parisienne EELV Alice Coffin, qui a eu raison de son collègue Christophe Girard, en dit long sur la chasse au père désormais engagée et sur le matraquage médiatique, via les réseaux sociaux, pour venir au secours du projet de loi très controversé dans son article 1er, l’ouverture à la PMA pour toutes, qui vient d’être adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale.

C’est oublier que la majorité des pères ne sont ni violents, ni violeurs et qu’il est profondément injuste que des pères soucieux de l’éducation de leurs enfants et présents dans la famille soient cloués au pilori du tribunal médiatique au nom des pères délictueux ou criminels. C’est oublier aussi que tout acte délictueux ou criminel doit être condamné par un tribunal de la République et non par un hashtag #BalancelePère qui condamnerait tous les enfants à être privé de père au motif que quelques-uns d’entre eux sont violents, sur l’air de « pour supprimer la violence des pères, supprimons la figure du père ».

Cela rappelle certains propos du Sommet mondial de Pékin de 1995 sur les femmes qui avaient pourtant ouvert tant de perspectives avec le raisonnement suivant : « pour éviter que les femmes ne fassent l’objet de violence, supprimons le concept de femme ». Nous avons vu par la suite, l’idéologie du gender se déployer et s’imposer dans le débat public.

Ces propos n’arrivent pas par hasard. Le gouvernement est à la peine avec cette deuxième lecture des révisions des lois de bioéthiques à l’Assemblée nationale. On nous a dit que ce vote était urgent. Or lundi soir, premier jour du débat, peu de députés de la majorité n’était présent au point qu’il a fallu une suspension de séance pour que ces députés veuillent bien se rendre dans l’hémicycle. Si la question de la PMA n’est pas la seule concernée par le projet de loi, elle en est la plus symbolique, car elle concerne la filiation dans ce qu’elle a de plus fondateur pour une société. Elle pose un certain nombre de questions graves concernant le père.

On ne peut réduire le père à une « figure »

L’ancien ministre de la Santé avait déclaré que la figure du père pouvait être exercée par un oncle ou une tante ou par une grand-mère ! Comme si le père était réduit à une fonction. C’est oublier que le père est celui qui a enfanté, ou a été dans une situation telle avec la mère qu’il aurait pu enfanter (en cas d’adoption, par exemple). C’est ce qui rend légitime son autorité et sa responsabilité sur l’enfant dont il est le père. L’enfantement ou la capacité de l’enfantement précède la fonction paternelle. Elle requiert l’altérité des sexes car la procréation est la seule activité humaine qui nécessite l’engagement de deux personnes de sexe différent. Ce n’est pas faire offense à la liberté des adultes. C’est un constat que certains défenseurs de la nature, grands partisans de la « PMA pour toutes », veulent oublier à toute force.

En septembre 2019, l’Académie de médecine avait rendu un avis où elle déclarait que « la conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture anthropologique majeure » et n’était « pas sans risques » pour son « développement psychologique » et son « épanouissement ». Elle ajoutait qu’elle reconnaissait « la légitimité du désir de maternité chez toute femme quelle que soit sa situation » mais concluait qu’il fallait « aussi au titre de la même égalité des droits tenir compte du droit de tout enfant à avoir un père et une mère dans la mesure du possible ».

Est-il sérieux que l’enfant soit à ce point le grand oublié du projet de loi ? Et que révèle politiquement, philosophiquement, anthropologiquement, le refus acharné de la majorité à offrir une définition claire et précise à « l’intérêt supérieur de l’enfant » dans le texte ?

On ne peut supprimer le père au nom de l’égalité

Le principe d’égalité ne fonctionne pas davantage. On nous avait dit : « Au nom de l’égalité, tous les couples doivent avoir droit à la PMA. Puisque les couples de sexe différent y ont accès, les couples de même sexe doivent y avoir droit ». C’est oublier qu’une minorité de couples de sexe différent y ont accès : ceux qui ont un problème médical qui les empêchent de procréer ou ceux qui risqueraient de transmettre une maladie infectieuse ou génétique. Le recours à la PMA est bien un palliatif à un problème médical.

Ou alors, soyons clairs ! Si, au nom de l’égalité, les couples de même sexe peuvent avoir droit à la PMA, cette technique ne concerne que les couples de femmes. Que deviennent les couples d’hommes ? En raison de l’éviction des pères, n’auraient-ils pas droit à la GPA ? Ne nous leurrons pas. Cette ligne rouge que le gouvernement ne veut pas franchir, le sera tôt ou tard, au nom de l’égalité. Elle l’est déjà largement dans l’esprit de certains.

Mais poussons plus loin le raisonnement : au nom de l’égalité, est-il juste que certains enfants vivent avec leur père, et non tous les enfants, parce que la loi les en auraient privé ? Certes, les aléas de la vie peuvent priver un enfant de son père. Mais celui-ci n’a pas été rayé de la famille a priori. Ce qui serait le cas avec ce projet de loi.

On ne peut accepter une filiation bancale en supprimant le père

La « PMA pour toutes » remet en cause les fondations de la filiation dont on peut distinguer plusieurs aspects : biologique, psychologique, juridique et sociale. Aucun aspect pris isolément n’exprime l’intelligibilité de la filiation nécessaire à l’enfant pour sa croissance et son équilibre. Réduire la filiation à la seule volonté de l’adulte est un critère subjectif trop fragile pour être retenu par la loi, sauf à remettre en cause le rôle fondateur du droit. Il suffirait pour être reconnu « parents » de déclarer au notaire, dans une déclaration anticipée, sa volonté d’être parents. Si la volonté de l’adulte à être parent disparaît, l’enfant se retrouvera-t-il orphelin ?

Pris en défaut par les démonstrations imparables de l’opposition, le gouvernement a abattu sa dernière carte dans le débat parlementaire : l’argument de l’amour. L’amour des adultes ou le désir d’enfant suffiraient à légitimer la « PMA pour toutes ».

Bien sûr, tout enfant a besoin d’amour pour grandir. On voit trop les désastres psychologiques chez les enfants qui en sont privé. Mais affirmer, comme le fait le rapporteur du texte Jean-Louis Touraine que les techniques de la PMA « peuvent renforcer la famille basée sur l’amour » est un sophisme irresponsable. Et les autres familles ? Celles qui n’ont pas recours aux techniques de procréation seraient-elles dénuées d’amour ?

Le point de vue manichéen que les partisans de la « PMA pour toutes » ont réussi à imposer – d’un côté l’amour, de l’autre la biologie ; d’un côté les familles choisies par le recours à la PMA et fondées sur l’amour, de l’autre les familles réduites à la biologie, donc passéistes – est une vue de l’esprit. Procréer n’est pas réductible à un acte biologique. Si l’engendrement est premier, il engage les deux parents, père et mère, à prendre soin de leur enfant, à assurer son éducation et sa sécurité, ce qui exige l’amour, l’affection et beaucoup de patience.

Retenir l’amour comme seul critère légitimant le recours à la PMA est un argument irresponsable. Ainsi lors des célébrations des mariages civils, l’amour n’est jamais retenu comme un élément constitutif validant le mariage. Car l’amour comme la volonté n’est pas un critère objectif que le droit peut retenir. Si l’amour disparaît, l’enfant devient-il orphelin ?

Tout se passe comme si l’individu se prenait pour sa propre mesure et la mesure du monde. Sa volonté dans le grand marché libéral des biotechniques doit le rendre invincible. Tout doit lui être soumis. Ce qu’il dénie à la nature doit lui être donné par la loi. C’est une véritable révolution juridique et anthropologique qui se joue par ce projet de loi. Est-ce vraiment ce que souhaitent les citoyens français ?

Il faut élever une digue face aux passions tristes du hashtag #BalancelePère et du féminisme haineux. Des initiatives existent. La Fondation des Femmes, par exemple, propose un chemin plus positif et plus durable. C’est le sens de la campagne « Tu seras un homme mon fils », qui vise à sensibiliser les hommes en les mettant en scène dans leur quotidien avec leur fils, lors d’épreuves sportives, à l’école, dans des relations avec les femmes, etc… Cette manière de reconnaître la place du père dans l’éducation de son fils au respect des femmes montre combien son absence pourrait être préjudiciable à l’enfant.

Avec ce chamboulement, et alors que le confinement a été l’occasion pour un grand nombre de pères de s’impliquer davantage dans la vie de famille, leur restera-t-il encore une place pour qu’ils puissent prendre soin de leurs enfants, les éduquer et les conduire vers l’âge adulte où ils seront à leur tour responsables et libres ?